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Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
LIVRE DEUXIÈME
I
HYMNE A L'ÉPÉE
Fils des Francs ! aimons notre épée ; 8
Son acier nous va mieux que l'or ; 8
Et Dieu, qui l'a si bien trempée. 8
Veut, par nous, s'en servir encor. 8
5 La paix, ici-bas, n'est qu'un rêve. 8
Un peuple en abdiquant le glaive 8
Abdique et son nom et ses droits. 8
Malheur aux races amollies 8
Reniant leurs saintes folies, 8
10 Et brisant l'épée ou la croix ! 8
Toi qui du glaive des ancêtres 8
Trouves le fer lourd à ta main, 8
Apprends à ramper sous des maîtres 8
Tu seras esclave demain. 8
15 Dieu nous donne à chacun nos armes ; 8
La vierge a l'éclat de ses charmes, 8
Ses yeux invitant au bonheur ; 8
Un respect entoure l'enfance, 8
Elle a ses larmes pour défense… 8
20 L'homme a son épée et l'honneur. 8
L'acier porté par l'homme libre 8
N'insulte pas à l'innocent ; 8
Sa vertu vient faire équilibre 8
Entre le faible et le puissant. 8
25 Guerrier ! moi, j'ai lu dans ton âme 8
Brillante aux yeux comme ta lame ; 8
Dès longtemps j'ai su te chérir ; 8
Quand j'érige ici ta statue, 8
Ce n'est pas à l'homme qui tue. 8
30 Mais à l'homme qui sait mourir. 8
Celui qui frappe avec le glaive 8
Périt par le glaive à son tour ; 8
Il le sait ! la mort qui l'enlève 8
L'a vu sourire avec amour. 8
35 Pour aller où l'attend le sage, 8
Il choisit le plus court passage, 8
Toujours prêt quand il faut partir ; 8
Baptisé dans le sang qu'il donne, 8
Il reçoit, là-haut, sa couronne 8
40 Des mains du Dieu qui fut martyr. 8
Oui, même aux jours vils où nous sommes, 8
L'empire est au plus généreux ; 8
Et ceux-là seront rois des hommes 8
Qui ceindront le glaive pour eux. 8
45 Car tu n'es pas, ô noble épée, 8
Tu n'es pas la force usurpée 8
Du bras qu'un hasard fait vainqueur ; 8
C'est l'âme, après tout, qui te porte ; 8
Tu n'obéis qu'à la plus forte, 8
50 Et tu vaux ce que vaut le cœur. 8
J'aime à voir jaillir l'étincelle 8
Du casque et des glaives d'acier ; 8
La splendeur dont l'arme ruisselle 8
Vient d'ailleurs que du fer grossier. 8
55 Dans l'éclair des lames guerrières 8
J'ai puisé de saintes lumières. 8
J'ai lu patrie, honneur et foi ; 8
Et j'entends, au choc des armures, 8
Parler, plus haut que mes murmures, 8
60 Un Dieu qui se réveille en moi. 8
La nature en nos mains abdique.. 8
Tu le dis, orgueilleux savoir ! 8
Mais le fer de l'âge héroïque 8
Est le ressort de ton pouvoir. 8
65 Toi, poète, en ton vain délire, 8
Sais-tu pourquoi l'or de ta lyre 8
Conserve encore une vertu ? 8
C'est que tu naquis de l'épée, 8
Et que tu vis sur l'épopée 8
70 Où tes pères ont combattu. 8
En brisant leurs lances hautaines, 8
Crois-tu, dans ta sainte ferveur, 8
Rompre aussi le faisceau des haines 8
Et foncier la paix, ô rêveur ? 8
75 Crois-tu que ta voix fera taire, 8
Mieux que le clairon militaire, 8
Les clameurs des ambitions, 8
Et qu'une plume de ton aile 8
Renversera l'hydre éternelle 8
80 Qui surgit de nos passions ? 8
Non ! le soldat fier de lui-même 8
Gardera sou fer sans remords ; 8
Sa main n'est pas la main qui sème 8
Les cruels ferments de la mort. 8
85 Quand l'éclair des armes de guerre, 8
Éteint dans ta forge vulgaire, 8
N'offusquera plus tes regards, 8
Crains de voir s'allumer sans nombre 8
Et luire, à chaque pas, dans l'ombre, 8
90 L'affreuse lueur des poignards. 8
Malheur au peuple de faux sages 8
Qui déposera le premier 8
Le glaive sacré des vieux âges 8
Et l'orgueil du noble cimier ! 8
95 En vain sur la terre il déploie 8
Ses beaux tissus d'or et de soie ; 8
Il roule sur des chars de feu ; 8
Le monde entier court à ses fêtes. 8
Et l'on demande à ses prophètes 8
100 Ce qu'ils daignent penser de Dieu. 8
Tous ces trésors dont lu te pares, 8
O toi qui ne sais plus mourir ! 8
Ils appartiennent aux barbares 8
S'ils veulent bien les conquérir. 8
105 Vantez-moi tous vos arts serviles ! 8
J'entends, aux portes de vos villes, 8
Des pieds lourds chaussés d'éperons ; 8
Et les esclaves des Vandales 8
Viennent essuyer leurs sandales, 8
110 O rêveurs, sur vos nobles fronts. 8
La science est là qui nous raille, 8
Sans voir à deux pas le tombeau, 8
Lorsqu'avec un fer de bataille 8
Tu forges quelque outil nouveau. 8
115 Va ! sous sa forme pacifique, 8
L'acier que ta mollesse abdique 8
Devient plus homicide encor ; 8
Poussé par ta sombre avarice, 8
Il sacrifie à chaque vice, 8
120 Et nous frappe aux pieds du veau d'or. 8
Mais restons ceints du glaive, ô frères ! 8
L'étranger fût-il endormi… 8
Troublé par mille instincts contraires. 8
Chacun porte en soi l'ennemi. 8
125 Toujours quelque horde sauvage 8
Rôde en nos cœurs et les ravage, 8
Les incline au joug de l'enfer ; 8
Trop souvent nous sentons notre âme 8
Se prendre à quelque nœud infâme 8
130 Qu'il faut trancher avec le fer. 8
Donc, ô vous, restez ceints du glaive. 8
Fiers amants de la liberté ! 8
La vie est un combat sans trêve 8
Pour le droit toujours insulté. 8
135 Restez armes en sentinelles, 8
Amis des gloires éternelles, 8
Luttez pour les cœurs défaillants ; 8
Veillez dans votre armure austère ; 8
Dans le ciel comme sur la terre 8
140 La paix n'appartient qu'aux vaillants. 8
Gloire à l'épée ! il faut encore, 8
O ma France, en charger ta main ! 8
L'éclat du fer qui te décore 8
Est le soleil du genre humain. 8
145 Tout va crouler si tu chancelles ; 8
Ta parole a des étincelles 8
Sans qui tout n'est qu'obscurité ; 8
Et, quand tu gardes le silence. 8
Un rayon du bout de ta lance 8
150 Éclaire encor la vérité. 8
D'autres sur le luth d'Ionie 8
Peindront mieux les molles douleurs, 8
Diront avec plus d'harmonie 8
L'accord des sons et des couleurs. 8
155 Mais toi, France, ouvrant ta poitrine, 8
Verse ton sang et ta doctrine, 8
Par qui tout l'univers se meut. 8
Ta croisade n'est pas fermée ; 8
Sois toujours la parole armée, 8
160 Et frappe en criant : Dieu le veut ! 8
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