SIXIÈME ÉPOQUE |
26 mars 1795, dans une maison de retraite ecclésiastique, à Grenoble, pendant le délire de la fièvre.
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J'ai quitté pour jamais cet Éden de ma vie |
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Où cette Ève à mon cœur fut montrée et ravie, |
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Comme le premier homme, hélas ! quitta le sien. |
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Mais combien son exil ferait envie au mien ! |
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Des pas suivaient ses pas loin des portes fermées ; |
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Ses sanglots s'étouffaient sur des lèvres aimées, |
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Et de deux cœurs brisés l'âpre conformité |
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Faisait de deux malheurs une félicité ; |
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Moi, seul toute la vie, et seul au jour suprême, |
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Abhorré du seul cœur que je tue et que j'aime, |
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Obligé d'étouffer mes plaintes sans échos, |
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Et de noyer mon cœur dans ses propres sanglots ; |
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Obligé d'arracher à l'âme sa pensée |
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Comme on arrache une arme aux mains d'une insensée ; |
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Ayant tout mon bonheur à mes pieds répandu |
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Sans pouvoir y jeter un regard défendu, |
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Le cœur vide et saignant jusqu'à ce qu'il en meure, |
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Et n'osant même à Dieu nommer ce que je pleure, |
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Il faut vivre et marcher sans ombre, toujours seul, |
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Mort parmi les vivans, cet habit pour linceul ; |
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Mort ! ah ! plutôt jeté tout bouillonnant de vie |
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Parmi ces morts dont l'âme est déjà refroidie ! |
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Étouffant sans pouvoir mourir, et nourrissant |
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Le ver de mon tombeau du plus chaud de mon sang !… |
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25 |
Oh ! que t'avais-je fait, éternelle justice, |
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Pour mériter si jeune un si rare supplice ? |
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Cet amour, comme un piège à mon cœur préparé, |
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Sans toi, sans tes desseins, l'aurais-je rencontré ? |
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N'en avais-je pas fui, tout brûlant et tout jeune, |
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Le péril inconnu dans la veille et le jeûne, |
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Pour sauver mon cœur chaste et garder mon œil pur, |
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Entre le monde et moi mis l'épaisseur d'un mur ? |
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Est-ce moi qui l'ai fait s'écrouler sur ma tête ? |
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Et quand pour m'abriter au nid de la tempête |
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J'allais m'ensevelir dans le creux du rocher, |
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Seigneur, est-ce elle ou vous que j'y venais chercher ? |
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Est-ce moi, qui prenant cette enfant inconnue, |
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La portais, l'enfermais avec moi dans la nue, |
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Et, par mon ignorance et son déguisement, |
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Me créais le péril d'un double sentiment ? |
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Est-ce moi qui, couvrant de nos deux cœurs la flamme, |
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Nous fis pendant deux ans vivre d'une seule âme, |
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Pour qu'en nous séparant tout à coup sans pitié, |
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Chacun des deux de l'autre emportât la moitié ? |
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Si c'est Dieu qui l'a fait, pourquoi moi qui l'expie ? |
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L'innocent à ses yeux paye-t-il pour l'impie ? |
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Ou plutôt est-il donc dans ses sacrés desseins |
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Que ceux qu'il a choisis ici-bas pour ses saints, |
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Avant de brûler l'homme à ses bûchers sublimes, |
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Les premiers sur l'autel lui servent de victimes ? |
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Ah ! je me soumettrais sans murmure à ta loi, |
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Dieu jaloux ! si du fer tu n'égorgeais que moi ! |
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J'ai voulu, j'ai tenté ton cruel ministère, |
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Je saurai jusqu'au sang le subir et me taire ! |
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Mais elle ! mais cet être à peine descendu, |
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Pauvre ange, prise au piège à l'homme seul tendu, |
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Tendre enfant, par toi-même à mon sein confiée, |
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Que par mon amour même, ô Dieu ! sacrifiée, |
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Proscrite de ces bras ouverts pour la porter, |
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60 |
Elle aille en retombant à mes pieds se heurter, |
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Traîner dans les langueurs d'un éternel veuvage |
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Du front qu'elle adora l'ineffaçable image ! |
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Ou porter, jeune et morte, aux bras d'un autre époux, |
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D'un cœur tout calciné les précoces dégoûts… |
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65 |
M'accuser à jamais du froid qui la dévore, |
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Et blasphémer son Dieu par le nom qu'elle adore ! |
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Ah ! c'est plus qu'un mortel ne pouvait accepter, |
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Ce qu'au prix du ciel même il fallait racheter, |
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Ce que j'achèterais de ma vie éternelle, |
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De l'immortalité que je maudis sans elle !… |
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O Laurence ! ô pitié ! reviens, pardonne-moi ! |
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Je t'immolais à Dieu, mon seul dieu c'était toi ! |
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Je ne puisais qu'en toi cette force suprême |
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Qui m'élevait de terre au-dessus de toi-même, |
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Qui me faisait trouver, pour mieux te protéger, |
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Tout sacrifice faible et tout fardeau léger. |
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Je me croyais un dieu !… non, je n'étais qu'un homme. |
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Je maudis mon triomphe avant qu'il se consomme ! |
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Je me repens cent fois de ma fausse vertu ! |
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Ah ! s'il est temps encor, Laurence, m'entends-tu ? |
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Je me jette à tes pieds, je t'ouvre pour la vie |
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Ces bras où sur mon sein tu retombes ravie, |
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Oui, ces bras dont l'étreinte, ô ma fille ! ô ma sœur ! |
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Vont en se renfermant te sceller sur mon cœur ! |
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Oh ! tu m'entends ! oh ! viens, oh ! viens, vivante ou morte ! |
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Dans notre ciel à nous viens que je te remporte ! |
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Renversons le rocher, courons, n'écoutons pas |
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Ce qui gronde là-haut, ce qui maudit en bas ; |
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N'entendons pas ces voix mentant à la nature : |
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L'oracle est dans le cœur de chaque créature, |
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L'irrésistible voix qui convie au bonheur ; |
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C'est mieux que la vertu, l'innocence et l'honneur ; |
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C'est le cri du ciel même entendu sur la terre ! |
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Aimons-nous, ô ma vie ! Allons dans le mystère |
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Cacher à l'œil humain d'ineffables amours |
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Qui n'auront d'autre fin que celle de nos jours. |
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De notre double vie épuisons les délices ; |
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Quand la mort dans nos dents vient briser les calices, |
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Qui sait quel est le sage ou quel est l'insensé, |
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De celui qui l'a bu tel que Dieu l'a versé, |
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Ou qui, les refusant à sa soif assouvie, |
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Au songe de la mort sacrifia sa vie ? |
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Ce doute existât-il, je voudrais l'encourir. |
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Une vie avec toi, puis à jamais mourir ! |
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Une vie avec toi, puis l'enfer et ses flammes ! |
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Une vie avec toi, puis la mort à nos âmes ! |
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Car cette horrible vie est un enfer sans toi ! |
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Le néant éternel y commence pour moi ! |
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Oui, c'en est fait, je fuis, je t'arrache à ce monde ; |
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Je te rapporte au ciel. |
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(On entend la cloche de la chapelle, qui sonne l'office du soir
et appelle les jeunes prêtres aux stalles.) |
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Je te rapporte au ciel. Airain sacré qui gronde ! |
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Cri d'en-haut qui m'appelle aux marches de ma croix, |
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Ah ! mon cœur égaré se retrouve à ta voix. |
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Comme des ailes d'ange en mon ciel balancées |
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Tu chasses de mon front mes honteuses pensées ! |
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Tu refoules le crime avec le désespoir |
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Dans ce sein qui renaît aux accens du devoir. |
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De mes propres sanglots il semble que tu pleures. |
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Sympathique instrument de ces saintes demeures, |
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Que de poids d'un cœur lourd n'as-tu pas soulevé ! |
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Combien d'âmes en peine à tes glas ont rêvé ! |
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Combien de bons élans, d'ardeurs sanctifiées, |
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Les anges à tes sons n'ont-ils pas confiées ! |
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Que de pesans soupirs, de l'ombre du saint lieu, |
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N'ont-ils pas remonté sur tes ailes à Dieu ! |
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Et combien n'as-tu pas des saintes agonies |
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Sonné pour la vertu les angoisses finies ! |
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Tu chantes aux mortels l'aube et le soir des jours ; |
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Tu sais combien du temps les longs momens sont courts, |
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Combien ce que la vie emporte sur son aile |
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Est sans comparaison avec l'heure éternelle ! |
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Encore un peu d'exil, encore un peu de fiel, |
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O mon âme, et tes jours sonneront dans le ciel ! |
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Marchons en attendant, marchons tête baissée, |
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Comme un homme écrasé du poids de sa pensée ! |
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Au Dieu consolateur allons la confier. |
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Ah ! lorsque l'un pour l'autre on peut encor prier |
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Au vaste sein de Dieu dont l'amour nous rassemble, |
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Se rencontrer en lui, n'est-ce pas être ensemble ? |
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De sa cellule, à Grenoble,
14 mai 1797.
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Pour retremper mon âme au feu des saints parvis, |
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Chez ces hommes de Dieu, depuis deux ans je vis ; |
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Mais l'aspect de leur paix, de leur béatitude, |
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Ne peut de mon esprit dompter l'inquiétude. |
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Que le fardeau des jours semble léger pour eux ! |
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Comme à tous leurs devoirs portant un front heureux, |
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On sent que sans effort leur cœur vierge se sèvre ! |
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Le sourire du juste est toujours sur leur lèvre ; |
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Jamais rien de leur sein ne soulève un soupir. |
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Ah ! si comme eux, mon cœur, tu pouvais t'assoupir ! |
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Si l'apparition du passé qui se lève |
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Pouvait de mon regard s'effacer même en rêve ! |
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Si l'ombre de ces murs pouvait me la cacher ! |
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Mais sur mes pas toujours elle semble marcher ; |
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Mais sous chaque lambris, mais sous chaque colonne, |
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Je la vois qui descend, qui monte, qui rayonne ; |
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Et si pour échapper au fantôme adoré |
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Je veux fermer les yeux, dans l'âme il est entré !… |
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O sommets de montagne ! air pur ! flots de lumière ! |
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Vents sonores des bois, vagues de la bruyère ! |
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Onde calme des lacs, flots poudreux des torrens, |
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160 |
Où l'extase égarait mes yeux, mes sens errans, |
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Où d'un bras convulsif, au lieu de ces froids marbres, |
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J'embrassais, en pleurant, les racines des arbres, |
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Et me collant au sol comme pour écouter, |
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Je croyais sur mon cœur sentir Dieu palpiter ! |
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165 |
Désert retentissant des bruits de la nature ! |
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Que mon âme, à l'étroit dans cette enceinte obscure, |
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Pleurant son magnifique et premier horizon, |
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Brise d'ardens soupirs les murs de sa prison ! |
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Il me semble, ô mon Dieu ! que ce toit qui m'écrase |
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170 |
Rend plus lourde la vie et comprime l'extase ; |
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Que je respirerais plus librement ailleurs, |
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Que le vent sécherait l'âcreté de mes pleurs, |
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Et que l'air m'aiderait, comme il aide les aigles, |
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A m'élever à Dieu, mieux que ces froides règles ! |
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175 |
Ces hommes sont heureux cependant sous ces lois ; |
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Ils suivent sans détours leur route ; ah ! je le crois, |
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Ils n'ont pas respiré l'air de feu des tempêtes, |
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L'ombre de ces arceaux couvrit toujours leurs têtes, |
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De Dieu seul, de sa loi, leur souvenir est plein ; |
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180 |
Ils n'ont point à couver un foyer dans leur sein, |
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A tuer leur pensée, à tromper, à sourire |
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En cachant dans leur main l'aspic qui la déchire ; |
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Leur jour n'a pas une ombre, et leur cœur pas un pli ; |
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Mais moi, Seigneur, mais moi !… Mon Dieu, l'oubli, l'oubli ! |
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Même maison,
25 juillet 1797.
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185 |
Ah ! je me doutais bien que la fausse apparence |
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Aurait jusqu'au tombeau terni notre innocence, |
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Qu'on ne croirait jamais qu'en un même séjour |
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Deux cœurs dans le désert, couvant deux ans l'amour, |
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Se fussent conservés purs, seuls, sans autre garde |
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190 |
Que l'œil toujours présent du Dieu qui les regarde ; |
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Ce soupçon est écrit pour moi sur tous les fronts, |
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Leur sainte charité m'épargne les affronts ; |
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Mais malgré la douceur que leur parole affecte, |
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On voit qu'à leur vertu ma présence est suspecte, |
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195 |
Qu'on me craint, qu'on m'évite, et que je suis pour eux |
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Un objet de dégoût, comme un pauvre lépreux. |
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Partout où je parais j'étends ma solitude ; |
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Seul au pied des autels, aux repas, à l'étude, |
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Dans les délassemens du soir plus seul encor ; |
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200 |
Dès que mon pas résonne au bout d'un corridor, |
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La conversation cesse, et tout front est sombre, |
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On se range, on s'écarte, on fait place à mon ombre ; |
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Chacun devant, mes yeux détourne un œil glacé, |
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Et le bruit ne reprend qu'après que j'ai passé ; |
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205 |
Et moi, baissant la tête, et sans un cœur qui m'aime, |
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Je passe en m'effaçant tout honteux de moi-même. |
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Oh ! qu'un regard ami pourtant m'eût fait de bien ! |
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Peut-être aussi mon cœur a-t-il voilé le mien ! |
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Peut-être que la flamme en mon sein amortie |
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210 |
A dévoré d'un jet toute ma sympathie, |
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Et que mon œil de marbre, incapable d'aimer, |
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Éteint tout sentiment qui voudrait s'allumer ! |
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Août 1797, Grenoble.
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L'évêque enfin m'a dit : j'abrège votre épreuve, |
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Mon fils ; de serviteurs ma pauvre église est veuve ; |
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215 |
La vieillesse, le glaive ou l'infidélité, |
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Des pasteurs de mon peuple, hélas ! ont limité |
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Le nombre insuffisant déjà pour ses misères ; |
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L'herbe croît sur le seuil de tous mes presbytères ; |
12 |
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Chaque jour de l'année une paroisse en deuil, |
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220 |
Où l'enfance est sans père et la mort sans cercueil, |
12 |
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Vient me redemander l'homme de l'Évangile : |
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Je pourrais vous donner à choisir entre mille ; |
12 |
|
Mais vous n'ignorez pas, mon enfant, que sur nous |
12 |
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Le monde, avec raison, veille d'un œil jaloux, |
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225 |
Qu'il veut, pour toucher Dieu, les mains chastes des anges. |
12 |
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Il a couru sur vous, mon fils, des bruits étranges, |
12 |
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Je veux les ignorer ; votre fidélité, |
12 |
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Si vous fûtes un jour faible, a tout racheté ; |
12 |
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Le repentir, semblable au charbon d'Isaïe, |
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230 |
En consumant le cœur renouvelle la vie. |
12 |
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Mais l'ombre du passé ne doit jamais ternir |
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Le ministre du ciel ; nul mortel souvenir, |
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Dans le prêtre de Dieu ne doit rappeler l'homme, |
12 |
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Du seul nom de pasteur il convient qu'on le nomme ; |
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235 |
Que son nom d'ici-bas dans l'autre soit perdu ; |
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Qu'il paraisse du ciel à l'autel descendu, |
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Et que l'éloignement, le mystère et la grâce, |
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De ses pas dans la vie aient effacé la trace. |
12 |
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Il est au dernier plan des Alpes habité |
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240 |
Un village à nos pas accessible en été, |
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Et dont pendant huit mois la neige amoncelée |
12 |
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Ferme tous les sentiers aux fils de la vallée. |
12 |
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Là, dans quelques chalets sur les pentes épars, |
12 |
|
Quelques rares tribus de pauvres montagnards |
12 |
245 |
Dans des champs rétrécis qu'ils disputent à l'aigle, |
12 |
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Parmi les châtaigniers sèment l'orge et le seigle, |
12 |
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Dont le pâle soleil de l'arrière-saison |
12 |
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Laisse à peine le temps d'achever la moisson. |
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Le Dieu de l'indigent vous donne ce royaume : |
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250 |
Son autel est de bois et n'a qu'un toit de chaume ; |
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Mais mieux que sur l'autel de luxe éblouissant |
12 |
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Aux mains jointes du peuple et du prêtre il descend. |
12 |
|
Il se souvient encor que son humble lumière, |
12 |
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Avant l'orgueil du temple, éclaira la chaumière ; |
12 |
255 |
Et ces âmes des champs, toutes du même prix, |
12 |
|
Il vous les comptera là-haut. Allez, mon fils. |
12 |
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17 septembre 1797.
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J'irai, j'attacherai mon âme aux solitudes, |
12 |
|
J'écorcherai mes pieds dans des sentiers plus rudes. |
12 |
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Bénissez-moi, Seigneur ; que mon cœur consumé |
12 |
260 |
Par l'amour, et puni pour avoir trop aimé, |
12 |
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Au foyer de l'autel s'éteigne et se rallume, |
12 |
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Et d'un feu plus céleste en mon sein se consume ; |
12 |
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Mais pour aimer en vous, avec vous et pour vous, |
12 |
|
Tous, au lieu d'un seul être, et cet être dans tous ! |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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LETTRE A SA SŒUR |
Sept mois plus tard, Du village de Valneige,
mai 1798.
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265 |
Ma sœur ! Oh ! quel doux temps ce doux nom me rappelle ! |
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Tendre couple buvant à la même mamelle, |
12 |
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Que notre jeune mère, en se penchant sur nous, |
12 |
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Asseyait et berçait sur les mêmes genoux ! |
12 |
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Ma sœur ! Oh ! laisse-moi l'effacer pour l'écrire, |
12 |
270 |
Ce nom que mon regard n'est jamais las de lire, |
12 |
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Ce nom que j'écrirais du soir au lendemain |
12 |
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Si je laissais mon cœur s'écouler sous ma main ! |
12 |
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Oh ! ce nom si longtemps muet à mon oreille, |
12 |
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Combien de cendre éteinte en mon âme il réveille ! |
12 |
275 |
Toute cette moitié froide et morte du cœur |
12 |
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Retrouve à ce doux nom son monde intérieur, |
12 |
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Monde de sentiment, d'amour et d'innocence, |
12 |
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Où, comme en un berceau, Dieu couve notre enfance ; |
12 |
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Dont le regret cuisant nous poursuit ; où plus tard |
12 |
280 |
L'œil se voile de pleurs en tournant un regard. |
12 |
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Ma mère ! est-il bien vrai ? Dieu nous rend notre mère ! |
12 |
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Les vents ont sous sa voile aplani l'onde amère ! |
12 |
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Toi, ton mari, vous tous ! tous rendus par les flots, |
12 |
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Plus trois petits enfans pendant l'exil éclos, |
12 |
285 |
Comme ces passereaux que dans notre jeune âge |
12 |
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Nous trouvâmes un jour, sous l'arbre après l'orage, |
12 |
|
Que du rameau cassé notre main recueillit, |
12 |
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Et qu'en ton tablier tu rapportas du nid ! |
12 |
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Mais tu ne m'as pas dit assez sur eux, sur elle, |
12 |
290 |
Oh ! sur elle surtout ! Ma mémoire fidèle |
12 |
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La voit bien à travers le lointain souvenir, |
12 |
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Telle qu'à mon départ je la vis me bénir, |
12 |
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Telle, qu'une exceptée, aucune créature |
12 |
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Ne me laissa dans l'œil sa céleste figure ! |
12 |
295 |
Mais, dis-moi, rien n'a-t-il changé sur ses beaux traits ? |
12 |
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Le temps, le long exil, ses soucis, ses regrets, |
12 |
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Des cieux plus durs ont-ils passé sur ce visage |
12 |
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Sans laisser, comme au ciel, trace de leur passage ? |
12 |
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Son œil a-t-il toujours ce tendre et chaud rayon |
12 |
300 |
Dont nos fronts ressentaient la tiède impression ? |
12 |
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Sur sa lèvre attendrie et pâle, a-t-elle encore |
12 |
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Ce sourire toujours mourant ou près d'éclore ? |
12 |
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Son front a-t-il gardé ce petit pli rêveur |
12 |
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Que nous baisions tous deux pour l'effacer, ma sœur, |
12 |
305 |
Quand son âme, le soir, au jardin recueillie, |
12 |
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Nous regardait jouer avec mélancolie ? |
12 |
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Les séparations et les longs désespoirs |
12 |
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N'ont-ils pas éclairci, dis-moi, ses cheveux noirs, |
12 |
|
Ou blanchi sur son front ces deux boucles de soie |
12 |
310 |
Où sa tempe pensive et profonde se noie ? |
12 |
|
Sa voix a-t-elle encor ce doux timbre d'argent, |
12 |
|
Ces caresses de sons sur des lèvres nageant, |
12 |
|
D'où notre nom tombait et résonnait si tendre, |
12 |
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Que souvent ma pensée en rêve croit l'entendre ? |
12 |
315 |
Et puis, te serre-t-elle encor contre son sein |
12 |
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Ainsi qu'elle faisait quand il était trop plein ? |
12 |
|
Du matin et du soir sa pieuse caresse, |
12 |
|
Ma sœur, te donne-t-elle aussi la même ivresse ? |
12 |
|
Sens-tu, rien qu'à poser ton front sur ses genoux, |
12 |
320 |
Ces extases du ciel qui descendaient sur nous ?… |
12 |
|
Mon amour t'interroge avec inquiétude, |
12 |
|
Car les traits de sa main dont j'ai tant l'habitude, |
12 |
|
Dans ce peu de mots d'elle à ta lettre ajouté, |
12 |
|
Tromperaient l'œil d'un fils ; j'aurais presque douté |
12 |
325 |
Si la main ne s'était révélée aux paroles. |
12 |
|
Tu te fais, diras-tu, des symptômes frivoles ! |
12 |
|
Peut-être ; mais à l'œil longtemps sevré d'un fils, |
12 |
|
Hélas ! tout est symptôme et peur, tout est sans prix ; |
12 |
|
Il veut tout retrouver d'une tête si chère ! |
12 |
330 |
Le moindre trait de plume, ah ! c'est encor sa mère ! |
12 |
|
S'il voit dans l'écriture un signe de langueur, |
12 |
|
Il craint qu'un changement n'altère aussi le cœur ; |
12 |
|
Que ces traits affaissés, que son œil étudie, |
12 |
|
Ne révèlent au fond tristesse ou maladie ! |
12 |
335 |
Dis-moi que de sa main cette altération |
12 |
|
N'était que du bonheur la tendre émotion ! |
12 |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
Et maintenant il faut que ma plume décrive |
12 |
|
La demeure sauvage où Dieu veut que je vive ; |
12 |
|
Vous devez, dites-vous, savoir où me trouver |
12 |
340 |
Quand d'un frère ou d'un fils votre cœur veut rêver. |
12 |
|
Afin qu'en se cherchant, nos âmes réunies, |
12 |
|
Hantent les mêmes bords, vivent des mêmes vies ; |
12 |
|
O mes anges absens, suivez-moi donc des yeux ; |
12 |
|
Je vais vous raconter la maison et les lieux. |
12 |
|
345 |
Sur un des verts plateaux des Alpes de Savoie, |
12 |
|
Oasis dont la roche a fermé toute voie, |
12 |
|
Où l'homme n'aperçoit, sous ses yeux effrayés |
12 |
|
Qu'abîme sur sa tête et qu'abîme à ses pieds, |
12 |
|
La nature étendit quelques étroites pentes |
12 |
350 |
Où le granit retient la pierre entre ses fentes |
12 |
|
Et ne permet qu'à peine à l'arbre d'y germer, |
12 |
|
A l'homme de gratter la terre et d'y semer. |
12 |
|
D'immenses châtaigniers aux branches étendues |
12 |
|
Y cramponnent leurs pieds dans les roches fendues, |
12 |
355 |
Et pendent en dehors sur des gouffres obscurs |
12 |
|
Comme la giroflée aux parois des vieux murs ; |
12 |
|
On voit à mille pieds au-dessous de leurs branches, |
12 |
|
La grande plaine bleue avec ses routes blanches ; |
12 |
|
Les moissons jaune d'or, les bois comme un point noir, |
12 |
360 |
Et les lacs renvoyant le ciel comme un miroir ; |
12 |
|
La toise de pelouse à leur ombre abritée, |
12 |
|
Par la dent des chevreaux et des ânes broutée, |
12 |
|
Épaissit sous leurs troncs ses duvets fins et courts, |
12 |
|
Dont mille filets d'onde humectent le velours, |
12 |
365 |
Et pendant le printemps, qui n'est qu'un court sourire ; |
12 |
|
Enivre de leurs fleurs le vent qui les respire. |
12 |
|
Des monts tout blancs de neige encadrent l'horizon |
12 |
|
Comme un mur de cristal de ma haute prison, |
12 |
|
Et quand leurs pics sereins sont sortis des tempêtes, |
12 |
370 |
Laissent voir un pan bleu de ciel pur sur nos têtes ; |
12 |
|
On n'entend d'autre bruit, dans cet isolement, |
12 |
|
Que quelques voix d'enfans, ou quelque bêlement |
12 |
|
De génisse ou de chèvre au ravin descendues, |
12 |
|
Dont le pas fait tinter les cloches suspendues. |
12 |
375 |
Les sons entrecoupés du nocturne angélus, |
12 |
|
Que le père et l'enfant écoutent les fronts nus, |
12 |
|
Et le sourd ronflement des cascades d'écume, |
12 |
|
Au quel, en l'oubliant, l'oreille s'accoutume, |
12 |
|
Et qui semble, fondu dans ces bruits du désert, |
12 |
380 |
La basse sans repos d'un éternel concert. |
12 |
|
|
Les maisons, au hasard, sous les arbres perchées, |
12 |
|
En groupes de hameaux sont partout épanchées, |
12 |
|
Semblent avoir poussé sans plans et sans dessein, |
12 |
|
Sur la terre, avec l'arbre et le roc de son sein ; |
12 |
385 |
Les pauvres habitans, dispersés dans l'espace, |
12 |
|
Ne s'y disputent pas le soleil et la place, |
12 |
|
Et chacun sous son chêne, au plus près de son champ, |
12 |
|
A sa porte au matin et son mur au couchant. |
12 |
|
Des sentiers où des bœufs le lourd sabot s'aiguise |
12 |
390 |
Mènent de l'un à l'autre et de là vers l'église, |
12 |
|
Dont depuis deux cents ans à tous ces pieds humains |
12 |
|
Le baptême et la mort ont frayé les chemins. |
12 |
|
|
Elle s'élève seule au bout du cimetière |
12 |
|
Avec ses murs épais et bas, verdis de lierre, |
12 |
395 |
Et ses ronces grimpant en échelle, en feston, |
12 |
|
Jusqu'au chaume moussu qui lui sert de fronton. |
12 |
|
On ne peut distinguer cette chaumière sainte |
12 |
|
Qu'au plus grand abandon du petit champ d'enceinte. |
12 |
|
Où le sol des tombeaux, par la mort cultivé, |
12 |
400 |
N'offre qu'un tertre ou deux tous les ans élevé, |
12 |
|
Que recouvrent bientôt la mauve et les orties, |
12 |
|
Premières fleurs toujours de nos cendres sorties, |
12 |
|
Et qu'à l'humble clocher qui surmonte les toits |
12 |
|
Et s'ouvre aux quatre vents pour répandre sa voix. |
12 |
|
405 |
Ma demeure est auprès ; ma maison isolée |
12 |
|
Par l'ombre de l'église est au midi voilée, |
12 |
|
Et les troncs des noyers qui la couvrent du nord |
12 |
|
Aux regards des passans en dérobent l'abord. |
12 |
|
Des quartiers de granit que nul ciseau ne taille, |
12 |
410 |
Tels que l'onde les roule, en forment la muraille ; |
12 |
|
Ces blocs irréguliers, noircis par les hivers, |
12 |
|
De leur mousse natale y sont encor couverts ; |
12 |
|
La joubarbe, la menthe, et ces fleurs parasites |
12 |
|
Que la pluie enracine aux parois décrépites, |
12 |
415 |
Y suspendent partout leurs panaches flottans |
12 |
|
Et les font comme un pré reverdir au printemps. |
12 |
|
Trois fenêtres, d'en haut, par le toit recouvertes, |
12 |
|
Deux au jour du matin, l'autre au couchant, ouvertes, |
12 |
|
Se creusant dans le mur comme des nids pareils, |
12 |
420 |
Reçoivent les premiers et les derniers soleils ; |
12 |
|
Le toit qui sur les murs déborde d'une toise |
12 |
|
A pour tuiles des blocs et des pavés d'ardoise, |
12 |
|
Que d'un rebord vivant le pigeon bleu garnit, |
12 |
|
Et sous les soliveaux l'hirondelle a son nid. |
12 |
425 |
Pour défendre ce toit des coups de la tempête |
12 |
|
Des quartiers de granit sont posés sur le faîte ; |
12 |
|
Et faisant ondoyer les tuiles et les bois, |
12 |
|
Au vol de l'ouragan ils opposent leur poids. |
12 |
|
|
Bien que si haut assise au sommet d'une chaîne, |
12 |
430 |
Son horizon borné n'a ni grand ciel, ni plaine ; |
12 |
|
Adossée au penchant d'un étroit mamelon, |
12 |
|
Elle n'a pour aspect qu'un oblique vallon |
12 |
|
Qui se creuse un moment comme un lac de verdure, |
12 |
|
Pour donner au verger espace et nourriture ; |
12 |
435 |
Puis, reprenant sa pente et s'y rétrécissant, |
12 |
|
De ravins en ravins avec les monts descend. |
12 |
|
Les troncs noirs des noyers, un pan de roche grise, |
12 |
|
L'herbe de mon verger, les murs nus de l'église, |
12 |
|
Le cimetière avec ses sillons et ses croix, |
12 |
440 |
Et puis un peu de ciel, c'est tout ce que je vois. |
12 |
|
|
Mais combien au regard du peintre et du poète, |
12 |
|
En vie, en mouvement, la nature rachète |
12 |
|
Ce qu'elle a refusé d'espace à l'horizon ! |
12 |
|
Une cascade tombe au pied de la maison, |
12 |
445 |
Et le long d'une roche en nappe blanche et fine |
12 |
|
Y joue avec le vent dont un souffle l'incline, |
12 |
|
Y joue avec le jour dont le rayon changeant |
12 |
|
Semble s'y dérouler dans ses réseaux d'argent, |
12 |
|
Et par des rocs aigus, dans sa chute brisée, |
12 |
450 |
Aux feuilles du jardin se suspend en rosée. |
12 |
|
Légère, elle n'a pas ce bruit tonnant et sourd, |
12 |
|
Qu'en se précipitant roule un torrent plus lourd ; |
12 |
|
Elle n'a qu'une plainte intermittente et douce, |
12 |
|
Selon qu'elle rencontre ou la pierre ou la mousse, |
12 |
455 |
Que le vent faible ou fort la fouette à ses parois, |
12 |
|
Lui prête ou lui retire, ou lui rend plus de voix ; |
12 |
|
Dans les sons inégaux que son onde module |
12 |
|
Chaque soupir de l'âme en note s'articule ; |
12 |
|
Harpe toujours tendue, où le vent et les eaux |
12 |
460 |
Rendent dans leurs accords des chants toujours nouveaux, |
12 |
|
Et qui semble la nuit, en ces notes étranges, |
12 |
|
L'air sonore des cieux froissé du vol des anges ! |
12 |
|
Maintenant vous avez mon horizon dans l'œil, |
12 |
|
Demain vous passerez, ma sœur, mon pauvre seuil ! |
12 |
|
|
SUITE DE LA LETTRE A SA SŒUR |
Valneige,
3 mai 1798.
|
465 |
Une cour le précède, enclose d'une haie |
12 |
|
Que ferme sans serrure une porte de claie ; |
12 |
|
Des poules, des pigeons, deux chèvres, et mon chien, |
12 |
|
Portier d'un seuil ouvert et qui n'y garde rien, |
12 |
|
Qui jamais ne repousse et qui jamais n'aboie, |
12 |
470 |
Mais qui flaire le pauvre et l'accueille avec joie ; |
12 |
|
Des passereaux montant et descendant du toit, |
12 |
|
L'hirondelle rasant l'auge où le cygne boit ; |
12 |
|
Tous ces hôtes, amis du seuil qui les rassemble, |
12 |
|
Famille de l'ermite, y sont en paix ensemble ; |
12 |
475 |
Les uns couchés à l'ombre en un coin du gazon, |
12 |
|
D'autres se réchauffant contre un mur au rayon ; |
12 |
|
Ceux-ci léchant le sel le long de la muraille, |
12 |
|
Et ceux-là becquetant ailleurs l'herbe ou la paille ; |
12 |
|
Trois ruches au midi sous leurs tuiles, et puis |
12 |
480 |
Dans l'angle sous un arbre, au nord, un large puits |
12 |
|
Dont la chaîne rouillée a poli la margelle, |
12 |
|
Et qu'une vigne étreint de sa verte dentelle ; |
12 |
|
Voilà tout le tableau ; sept marches d'escalier |
12 |
|
Sonore, chancelant, conduisent au palier |
12 |
485 |
Qu'un avant-toit défend du vent et de la neige, |
12 |
|
Et que de ses réseaux un vieux lierre protège ; |
12 |
|
Là, suspendus le jour au clou de mon foyer, |
12 |
|
Mes oiseaux familiers chantent pour m'égayer. |
12 |
|
|
Jusqu'ici, grâce aux lieux, au ciel, à la nature, |
12 |
490 |
Ton doux regard de sœur sourit à ma peinture' ; |
12 |
|
Ta tendre illusion dure encor, mais, hélas ! |
12 |
|
Si tu veux la garder, ô ma sœur, n'entre pas !… |
12 |
|
Mais non, pour vos deux cœurs je n'ai point de mystère, |
12 |
|
Pourrais-je devant vous rougir de ma misère ? |
12 |
495 |
Entrez, ne plaignez pas ma riche pauvreté, |
12 |
|
Ces murs ne sentent pas leur froide nudité ! |
12 |
|
|
Des travaux journaliers voilà d'abord l'asile, |
12 |
|
Où le feu du foyer s'allume, où Marthe file ; |
12 |
|
Marthe, meuble vivant de la sainte maison, |
12 |
500 |
Qui suivit dans le temps son vieux maître en prison, |
12 |
|
Pauvre fille, à ces murs trente ans enracinée, |
12 |
|
Partageant leur prospère ou triste destinée, |
12 |
|
Me servant sans salaire et pour l'honneur de Dieu, |
12 |
|
Surveillant à la fois la cure et le saint lieu, |
12 |
505 |
Et qui, voyant de Dieu l'image dans son maître, |
12 |
|
Croit s'approcher du ciel en vivant près du prêtre ; |
12 |
|
Quelques vases de terre, ou de bois, ou d'étain, |
12 |
|
Où de Marthe attentive on voit briller la main ; |
12 |
|
Sur la table un pain noir sous une nappe blanche, |
12 |
510 |
Dont chaque mendiant vient dîmer une tranche ; |
12 |
|
Des grappes de raisin que Marthe fait sécher, |
12 |
|
De leur pampre encor vert décorent le plancher ; |
12 |
|
La sève en hiver même y jaunit leurs grains d'ambre. |
12 |
|
De ce salon rustique on passe dans ma chambre ; |
12 |
515 |
C'est celle dont le mur s'éclaire du couchant : |
12 |
|
Tu sais que pour le soir j'eus toujours du penchant, |
12 |
|
Que mon âme un peu triste a besoin de lumière, |
12 |
|
Que le jour dans mon cœur entre par ma paupière, |
12 |
|
Et que j'aimais tout jeune à boire avec les yeux |
12 |
520 |
Ces dernières lueurs qui s'éteignent aux cieux. |
12 |
|
La chaise où je m'assieds, la natte où je me couche, |
12 |
|
La table où je t'écris, l'âtre où fume une souche, |
12 |
|
Mon bréviaire vêtu de sa robe de peau, |
12 |
|
Mes gros souliers ferrés, mon bâton, mon chapeau, |
12 |
525 |
Mes livres pêle-mêle entassés sur leur planche, |
12 |
|
Et les fleurs dont l'autel se pare le dimanche, |
12 |
|
De cet espace étroit sont tout l'ameublement. |
12 |
|
|
Tout ! oh non ! j'oubliais son divin ornement, |
12 |
|
Qui surmonte tout seul mon humble cheminée, |
12 |
530 |
Ce Christ, les bras ouverts et la tête inclinée, |
12 |
|
Cette image de bois du maître que je sers, |
12 |
|
Céleste ami, qui seul me peuple ces déserts ; |
12 |
|
Qui, lorsque mon regard le visite à toute heure, |
12 |
|
Me dit ce que j'attends dans cette âpre demeure, |
12 |
535 |
Et, recevant souvent mes larmes sur ses pieds, |
12 |
|
Fait resplendir sa paix dans mes yeux essuyés ; |
12 |
|
Ce Christ ! tu le connais ; c'est celui que ma mère |
12 |
|
Colla dans l'agonie aux lèvres de mon père ; |
12 |
|
C'est celui que plus tard moi-même en un grand jour |
12 |
540 |
Au pur sang d'un martyr je teignis à mon tour ; |
12 |
|
D'autres lèvres encore il conserve la trace, |
12 |
|
Et Dieu sait de combien de pitié je l'embrasse !… |
12 |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
SUITE DES LETTRES A SA SŒUR |
Valneige,
4 mai 1798.
|
|
Tu me demanderas de quoi j'existe ici ? |
12 |
|
Je me le demandai, moi, bien souvent aussi ; |
12 |
545 |
Mais pour l'homme et l'oiseau la Providence est grande |
12 |
|
De l'autel relevé la volontaire offrande, |
12 |
|
Ces âmes qui, cherchant une voix pour prier, |
12 |
|
A défaut d'ange, hélas ! nous glissent leur denier ; |
12 |
|
Les époux qu'on bénit, les enfans qu'on baptise, |
12 |
550 |
Ces dîmes du bonheur que l'on jette à l'église, |
12 |
|
Quelques fonds que l'évêque adresse à ses curés, |
12 |
|
Le jardin, le verger, quelques arpens de prés, |
12 |
|
Les châtaignes, les noix, de petits coins de terre, |
12 |
|
Que je bêche moi-même autour du presbytère, |
12 |
555 |
Suffisent amplement pour moi, Marthe et le chien. |
12 |
|
A la table frugale il ne nous manque rien : |
12 |
|
Le lait de mon troupeau, le vin blanc de mes treilles, |
12 |
|
Les fruits de mes pommiers, le miel de mes abeilles, |
12 |
|
Tout abonde ; le pain y cuit pour l'indigent, |
12 |
560 |
Et Marthe dans l'armoire a même un peu d'argent. |
12 |
|
Qui m'eût dit qu'un peu d'or me ferait tant de joie ? |
12 |
|
Je n'en ai pas besoin, prenez, je vous l'envoie !… |
12 |
|
|
SUITE DES LETTRES A SA SŒUR |
5 mai 1798.
|
|
Voulez-vous maintenant, ô mes anges, savoir |
12 |
|
Comment je fais toucher le matin et le soir, |
12 |
565 |
Et par quelle insensible et monotone chaîne |
12 |
|
Le jour s'unit au jour et forme la semaine ? |
12 |
|
Ah ! chaque heure le sait quand elle s'accomplit : |
12 |
|
La cloche avant le jour m'arrache de mon lit ; |
12 |
|
Je crois entendre au son de sa voix balancée |
12 |
570 |
L'ange qui du sommeil appelle ma pensée |
12 |
|
Et lui donne à porter son fardeau pour le jour ; |
12 |
|
Je convoque à l'autel les maisons d'alentour ; |
12 |
|
Des vieillards, des enfans, quelques pieuses femmes, |
12 |
|
Ceux qui sentent de Dieu plus de soif dans leurs âmes |
12 |
575 |
D'un cercle rétréci m'entourent à genoux, |
12 |
|
Le Dieu des humbles fois descend du ciel sur nous ; |
12 |
|
Combien la sainte aurore et ses voûtes divines |
12 |
|
Entendent de soupirs s'échapper des poitrines |
12 |
|
Et d'aspirations de terre s'élancer ; |
12 |
580 |
Et combien il est doux, ô ma sœur, de penser |
12 |
|
Que tous ces poids du cœur que cette heure soulève |
12 |
|
Sur ses propres soupirs au ciel on les élève, |
12 |
|
Qu'à chacun à leur place on rapporte un saint don, |
12 |
|
Grâce, miséricorde, amour, paix ou pardon ; |
12 |
585 |
Que l'on est l'encensoir où tout cet encens brûle |
12 |
|
Et la corbeille pleine où le pain qui circule, |
12 |
|
Symbole familier du céleste aliment, |
12 |
|
Va nourrir tout ce peuple avec un pur froment ! |
12 |
|
Du maître en peu de mots j'explique la parole : |
12 |
590 |
Ce peuple du sillon aime la parabole, |
12 |
|
Poème évangélique, où chaque vérité |
12 |
|
Se fait image et chair par sa simplicité. |
12 |
|
Lorsque j'ai célébré le pieux sacrifice, |
12 |
|
J'enseigne les enfans, je me fais leur nourrice, |
12 |
595 |
Je donne goutte à goutte à leurs lèvres le lait |
12 |
|
D'une instruction simple et tendre, et qui leur plaît. |
12 |
|
Je rentre, et du matin la tâche terminée, |
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A ma table de fruits et de lait couronnée |
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Je m'assieds un moment, comme le voyageur |
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Qui s'arrête à moitié du jour et reprend cœur ; |
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Le reste du soleil dans mes champs je le passe |
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A ces travaux du corps dont l'esprit se délasse ; |
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A fendre avec la bêche un sol dur ; à semer |
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L'orge qu'un court été pressera de germer ; |
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A faucher mon pré mûr pour ma blonde génisse ; |
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A délier la gerbe afin qu'elle jaunisse ; |
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A faire à chaque plante à son heure pleuvoir |
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En insensible ondée un pesant arrosoir ; |
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Car de l'homme à la fois cette terre réclame |
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La sueur de son front et la sueur de l'âme ! |
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Le soir quand chaque couple est rentré du travail, |
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Quand le berger rassemble et compte son bétail, |
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Mon bréviaire à la main je vais de porte en porte, |
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Au hasard et sans but comme le pied me porte, |
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M'arrêtant plus ou moins un peu sur chaque seuil, |
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A la femme, aux enfans, disant un mot d'accueil ; |
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Partout, portant un peu de baume à la souffrance, |
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Aux corps quelque remède, aux âmes l'espérance, |
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Un secret aux maladesau malade, aux partans un adieu, |
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Un sourire à chacun, à tous un mot de Dieu. |
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Ainsi passe le jour sans trop peser sur l'heure ; |
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Mais quand je rentre seul dans ma pauvre demeure, |
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Que ma porte est fermée, et que la longue nuit, |
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Excepté dans ma tempe, a fait tomber tout bruit, |
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Ah ! ma sœur ! c'est alors que mon âme blessée |
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Sent son mal, et retourne en saignant sa pensée, |
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Comme on retourne en vain le fiévreux dans son lit ; |
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C'est alors qu'une image ou l'autre m'assaillit, |
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Que vous m'apparaissez, vous, ma sœur et ma mère, |
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Avec tout ce qui rend l'absence plus amère, |
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Avec vos traits si doux, avec vos douces voix, |
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Vos tendresses, vos mots, vos baisers d'autrefois, |
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Et que de ce passé la présence est si forte |
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Que je vous tends les bras, que mon âme m'emporte |
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Vers vous et dans le sein d'autre fantôme cher, |
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Que je crois les revoir, leur parler, les toucher, |
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Et qu'en ne retrouvant qu'un chevet solitaire |
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Mon cœur comme en tombant s'écrase contre terre ; |
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Alors pour m'arracher par force à ce transport, |
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Pour desserrer les dents du serpent qui me mord, |
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Le front brûlant, collé sur ma table de chêne, |
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J'attache mon esprit, comme avec une chaîne, |
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A ces livres usés du regard qui les lit, |
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Où le jour de ma lampe en m'éclairant pâlit ; |
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Comme un esprit du doute et de la solitude |
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J'enivre ma raison de science et d'étude ; |
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Tantôt, dans ces débris que l'histoire a laissés |
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Comme des siècles morts les pas presque effacés, |
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Je cherche à retrouver les traces d'une route, |
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Ce vain fil qui se brise entre les mains du doute, |
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Ce long dessein de Dieu qui mène les humains, |
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Fait de leurs monumens la fange des chemins, |
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Dissipe leur empire et leur foi comme un rêve, |
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Sur leur propre monceau de débris les élève, |
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Et du dogme et du temps qui ne croit plus finir |
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Ne fait qu'un marchepied pour l'obscur avenir. |
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Mais ce fil dans mes mains se brouille, à chaque haleine, |
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Dans l'énigme de Dieu dont chaque page est pleine ; |
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Des choses, des esprits l'éternel mouvement |
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N'est pour nous que poussière et qu'éblouissement : |
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Le mystère du temps dans l'ombre se consomme ; |
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Le regard infini n'est pas dans l'œil de l'homme, |
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Et devant Dieu caché dans sa fatalité, |
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Notre seule science est notre humilité ! |
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Tantôt, las de sonder ces obscures merveilles, |
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Je livre aux bardes saints mon âme et mes oreilles, |
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J'écoute avec le cœur ces cœurs mélodieux |
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Qui, se brisant à terre en retombant des cieux, |
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En soupirs immortels sur la harpe éclatèrent, |
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Et pour diviniser leurs plaintes les chantèrent, |
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Oh ! de l'humanité ces hommes sont la voix, |
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Les mots harmonieux s'ordonnent à leur choix, |
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Comme au signe de Dieu s'ordonnent ses ouvrages, |
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Et vibrent en musique ou brillent en images ; |
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Leurs vers ont des échos cachés dans notre cœur ; |
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Ils versent aux soucis cette molle langueur, |
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Cet opium divin que dans sa soif d'extase |
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Le rêveur Orient puise en vain dans son vase ; |
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Mais eux, l'ange des vers leur apporte aux autels |
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Pour s'enivrer de Dieu des rêves immortels ! |
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Ils versent goutte à goutte en mon âme attendrie, |
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Comme un sommeil du ciel, leur tendre rêverie ; |
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Mon songe, enfant des leurs, les suit, et quelquefois |
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Comme une voix qui chante entraîne une autre voix, |
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Ma lèvre, s'abreuvant aux flots de leurs ivresses, |
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Se surprend à chanter avec eux ses tristesses. |
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Plus souvent, desséché par mon affliction, |
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Je trempe un peu ma lèvre à l'Imitation, |
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Livre obscur et sans nom, humble vase d'argile, |
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Mais rempli jusqu'au bord des sucs de l'évangile, |
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Où la sagesse humaine et divine à longs flots |
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Dans le cœur altéré coulent en peu de mots ; |
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Où chaque âme, à sa soif, vient, se penche, et s'abreuve |
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Des gouttes de sueur du Christ à son épreuve ; |
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Trouve, selon le temps, ou la peine, ou l'effort, |
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Le lait de la mamelle ou le pain fort du fort ; |
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Et sous la croix où l'homme ingrat le crucifie, |
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Dans les larmes du Christ boit sa philosophie !… |
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Ainsi lisant, priant, écrivant tour à tour, |
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Tantôt le cœur trop plein et débordant d'amour, |
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Tantôt frappant mon sein sans que l'onde en jaillisse, |
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Ne trouvant qu'une lie au fond de tout calice, |
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Puis regardant fumer ma lampe qui pâlit, |
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Puis tombant à genoux sur les bords de mon lit, |
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Mouillant de pleurs mes draps qu'entre mes dents je froisse, |
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En sanglots étouffés comprimant mon angoisse ; |
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Puis quand du coup au cœur tout le sang a coulé, |
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Relevant vers la croix un regard consolé, |
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Ouvrant mes deux volets pour respirer à l'aise |
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Les brises de la nuit dont la fraîcheur m'apaise, |
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Le front pâle et terni d'une moite sueur, |
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Dans mes veilles sans fin je ressemble, ô ma sœur, |
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A ce Faust enivré des philtres de l'école, |
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De la science humaine éblouissant symbole, |
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Quand dans sa sombre tour, parmi ses instrumens, |
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On l'entendait causer avec les élémens, |
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Et qu'au lever du jour dans son laboratoire |
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On ne retrouvait plus qu'un peu de cendre noire ! |
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Hélas ! si ce n'était la, grâce du Seigneur, |
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Que retrouverait-on le matin dans mon cœur ? |
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Oui, c'est Faust, ô ma sœur, mais, dans ces nuits étranges, |
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Au lieu d'esprits impurs, consolé par les anges ! |
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Oui, c'est Faust, ô ma sœur, mais Faust avec un Dieu. |
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Que de choses encor ! La cloche sonne, adieu. |
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(Un grand nombre de pages manquaient ici au manuscrit.) |
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