|
Tout dort… à mon chevet veille une sainte femme… |
12 |
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Le jour se fait en moi, recueillons-nous, mon âme ! |
12 |
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Le sommeil sur mes yeux ne peut plus s'arrêter, |
12 |
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Où mon cœur est toujours, mes pas voudraient monter ; |
12 |
145 |
Mais ma force ne peut les soulever encore ; |
12 |
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Mes pieds me porteront demain avec l'aurore, |
12 |
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Ces sœurs me laisseront de ce lieu me lever, |
12 |
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Pour courir… où je tremble, ô mon Dieu, d'arriver ! |
12 |
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Oh ! dans cette éternelle et brûlante insomnie, |
12 |
150 |
Les scènes de la veille et de mon agonie |
12 |
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Remontent par un vague et lointain souvenir |
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Comme des fils brisés qu'on cherche à réunir : |
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Ils viennent dans mon front se renouer en foule ; |
12 |
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De moi-même à mes yeux le tableau se déroule ; |
12 |
155 |
Je me comprends enfin, je me sens, je me vois, |
12 |
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Je vis ce jour terrible une seconde fois ! |
12 |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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De l'évêque captif le juge populaire |
12 |
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Avait voté la mort le soir dans sa colère ; |
12 |
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J'entendais en passant les coups sourds du marteau |
12 |
160 |
Qui clouait dans la nuit le bois de l'échafaud ; |
12 |
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J'entrai dans la prison ; des escaliers rapides |
12 |
|
La descente était longue et les marches humides, |
12 |
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Et dans leur froid brouillard chaque pas, en glissant, |
12 |
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Semblait sur les degrés se coller dans du sang ; |
12 |
165 |
Je ne sais quelle odeur de larmes sous les voûtes, |
12 |
|
Quelle sueur des murs coulant à larges gouttes, |
12 |
|
Des angoisses de l'homme y peignaient les tourmens ; |
12 |
|
Chaque dalle y rendait de longs gémissemens : |
12 |
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On eût dit que ces murs, ces froides gémonies |
12 |
170 |
Comme des condamnés suaient leurs agonies. |
12 |
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Au bas de cet obscur et profond entonnoir, |
12 |
|
L'affreux cachot s'ouvrait sur un corridor noir, |
12 |
|
Tout creusé dans le roc, hormis l'étroite porte |
12 |
|
Dont les lourds gonds scellaient la grille basse et forte ; |
12 |
175 |
Sous la main du geôlier qui tourna les verrous |
12 |
|
La porte en gémissant recula devant nous ; |
12 |
|
L'ombre humide pâlit au feu de sa lanterne, |
12 |
|
Qui jeta sur les murs un jour livide et terne ; |
12 |
|
Et je vis le vieillard, ébloui par ce jour, |
12 |
180 |
Qui regardait sans voir du fond du noir séjour ; |
12 |
|
Le rayon concentré, dardant sur sa figure, |
12 |
|
La détachait en clair de la muraille obscure, |
12 |
|
Comme si, du cachot pour racheter l'affront, |
12 |
|
Une auréole sainte eût éclairé son front. |
12 |
185 |
Fléchissant sous ses fers rivés dans la muraille, |
12 |
|
Leur poids lourd affaissait un peu sa haute taille ; |
12 |
|
De ses habits troués les somptueux débris |
12 |
|
Laissaient percer partout ses membres amaigris ; |
12 |
|
Il serrait d'une main autour de sa ceinture |
12 |
190 |
Des pauvres prisonniers la blanche couverture, |
12 |
|
De l'autre il soutenait le gros faisceau de fers |
12 |
|
Qui tombait en anneaux de ses bras découverts ; |
12 |
|
Ses pieds nus, que nouaient deux restes de sandales, |
12 |
|
Tout violets de froid, frissonnaient sur les dalles. |
12 |
195 |
Un tas de paille humide et rongé par les bords |
12 |
|
Gardant encor l'empreinte et les plis de son corps, |
12 |
|
Une écuelle de bois pour recevoir la soupe, |
12 |
|
Une goutte de vin dans le fond d'une coupe, |
12 |
|
De son palais de boue étaient l'ameublement, |
12 |
200 |
Le breuvage, le lit, le vase et l'aliment ; |
12 |
|
Mais les traits allongés de son pâle visage, |
12 |
|
Ses cheveux éclaircis, souillés, blanchis par l'âge, |
12 |
|
Sur son front demi-chauve en couronne bouclés, |
12 |
|
Ou sur son maigre buste en anneaux déroulés, |
12 |
205 |
Sa barbe que d'un an le fer n'a retranchée |
12 |
|
Sur le creux de sa joue en écume épanchée, |
12 |
|
Ses yeux caves, cernés par un sillon d'azur, |
12 |
|
Brillant comme un charbon dans leur orbite obscur, |
12 |
|
Son regard affaibli par cette ombre éternelle |
12 |
210 |
Nous cherchant sans nous voir du fond de sa prunelle, |
12 |
|
La force écrite en haut dans ses sourcils épais, |
12 |
|
Sur sa lèvre entr'ouverte un sourire de paix ; |
12 |
|
Dans ses traits imprégnés d'une sainte harmonie, |
12 |
|
La résignation au sein de l'agonie, |
12 |
215 |
L'humanité vaincue asservie à la foi, |
12 |
|
Tout éclatait en lui !… Je crus voir devant moi |
12 |
|
Un de ces champions des vérités nouvelles |
12 |
|
Que les anges de Dieu servaient, couvaient des ailes, |
12 |
|
Et qui, nourris déjà du pain caché du fort, |
12 |
220 |
Exultaient du supplice et vivaient de leur mort. |
12 |
|
À l'entrée, ébloui par ce front de lumière, |
12 |
|
Sur mes genoux tremblans je tombai sur la pierre, |
12 |
|
Comme si quelque main m'eût forcé de plier, |
12 |
|
N'osant ni m'approcher, ni m'enfuir ; le geôlier |
12 |
225 |
Lui dit : « Que votre nuit avec Dieu se consomme ! |
12 |
|
« J'ai rempli ma promesse, et voilà ce jeune homme. » |
12 |
|
Puis posant à mes pieds sa lanterne, il sortit, |
12 |
|
Et refermé sur nous le battant retentit. |
12 |
|
« Est-ce vous, mon enfant ? venez que je vous voie ! |
12 |
230 |
« Oh ! que ma dernière heure ait la dernière joie |
12 |
|
« De presser sur mon cœur un fils en Jésus-Christ, |
12 |
|
« Un frère dans ma foi nourri du même esprit ! |
12 |
|
« Soyez béni, mon Dieu, dont la grâce infinie |
12 |
|
« Me gardait en secret ce don pour l'agonie, |
12 |
235 |
« J'ai vidé jusqu'au fond mon calice de fiel, |
12 |
|
« Mais la dernière goutte a l'avant-goût du ciel ! |
12 |
|
« Mon fils ! je vais mourir ; mon éternelle aurore |
12 |
|
« De ma dernière nuit va tout à l'heure éclore ; |
12 |
|
« Demain j'entonnerai l'Hosanna triomphant ; |
12 |
240 |
« Aujourd'hui je suis homme et pécheur ; mon enfant, |
12 |
|
« Devant le Saint des saints avant que de paraître, |
12 |
|
« J'ai besoin de laver mon âme aux eaux du prêtre ; |
12 |
|
« Chargé du saint troupeau pour le sanctifier, |
12 |
|
« J'ai mon divin bercail, partant, à confier ; |
12 |
245 |
« Je ne puis déposer que dans sa main sacrée |
12 |
|
« Les clefs du saint des saints dont je gardais l'entrée ; |
12 |
|
« Je ne puis en mourant recevoir que de lui |
12 |
|
« Le pardon que j'avais, que j'implore aujourd'hui ; |
12 |
|
« Mais tous ceux qui portaient le divin caractère, |
12 |
250 |
« Fugitifs ou proscrits, sont errans sur la terre ; |
12 |
|
« L'exil ou la prison, ou le couteau mortel |
12 |
|
« N'épargnent nul de ceux qui montaient à l'autel : |
12 |
|
« Il ne reste que vous, pauvres jeunes lévites, |
12 |
|
« Qui n'aviez pas encoreencor lié vos mains bénites ! |
12 |
255 |
« J'en demandais au ciel un seul, à deux genoux : |
12 |
|
« Dieu m'inspirait, mon fils, et je pensais à vous ! |
12 |
|
« Oh ! que mon cœur, d'ici, pressentait bien le vôtre ! |
12 |
|
« J'étais sûr que, fidèle au devoir de l'apôtre, |
12 |
|
« La prison, l'échafaud vous verrait accourir, |
12 |
260 |
« Séduit par le martyre et tenté de mourir, |
12 |
|
« Et que plus il est plein de l'horreur du supplice, |
12 |
|
« Plus vous accepteriez de boire mon calice… » |
12 |
|
Je ne répondais rien, et je n'entendais plus, |
12 |
|
Et je baissais dans l'ombre un front rouge et confus. |
12 |
265 |
« Faut-il mieux m'expliquer ? reprit-il : un saint prêtre |
12 |
|
« Est nécessaire à Dieu ; mon fils, vous allez l'être ! |
12 |
|
« Pour qu'un double holocauste ici soit consommé, |
12 |
|
« La Providence et moi, nous vous avons nommé ; |
12 |
|
« Je vais vous consacrer sur ce bord de ma tombe : |
12 |
270 |
« Baissez la tête, enfant, pour que le chrême y tombe ! |
12 |
|
« Et quand l'esprit de force aura coulé sur vous, |
12 |
|
« Je vais, pécheur, mourant, tomber à vos genoux, |
12 |
|
« Et recevoir de vous dans le saint sacrifice |
12 |
|
« Le pain du viatique et le vin du supplice. |
12 |
275 |
« Recevez du martyr l'auguste sacrement, |
12 |
|
« Mourez pour que Dieu vive !… » — « O mon père, un moment ! |
12 |
|
Lui dis-je en repoussant du front le sacré signe, |
12 |
|
« Arrêtez, arrêtez ; tremblez, j'en suis indigne ! |
12 |
|
« Mon âme est à mon Dieu ; mon sang est à ma foi ; |
12 |
280 |
« Mais mes jours profanés, ils ne sont plus à moi, |
12 |
|
« Et Dieu n'exige pas que je lui sacrifie |
12 |
|
« Deux morts dans une mort, deux cœurs dans une vie ! » |
12 |
|
Son œil sonda le mien, et son front s'obscurcit ; |
12 |
|
Alors, balbutiant, je lui fis le récit |
12 |
285 |
De ces deux ans passés loin de lui, de ma fuite, |
12 |
|
De cette enfant par Dieu dans mon désert conduite, |
12 |
|
De son triste abandon, de ma tendre pitié, |
12 |
|
De cet amour longtemps couvé sous l'amitié, |
12 |
|
De ces habits trompeurs qui, me cachant la femme, |
12 |
290 |
A la séduction apprivoisaient mon âme ; |
12 |
|
De ce secret fatal et découvert trop tard, |
12 |
|
De nos sermens donnés, de mon furtif départ, |
12 |
|
De sa mort qui suivrait au même instant la mienne |
12 |
|
Si j'arrachais ainsi cette main de la sienne, |
12 |
295 |
Si, même au prix du ciel, d'un mot j'allais tromper |
12 |
|
Ce cœur que du poignard mieux eût valu frapper. |
12 |
|
Je me tus ; dans ses traits indignés je crus lire |
12 |
|
Tantôt l'horreur, tantôt un dédaigneux sourire. |
12 |
|
« Ainsi donc, mon enfant, voilà ce grand secret |
12 |
300 |
« Dont tout autre qu'un père en l'écoutant rirait ; |
12 |
|
« Voilà dans quel honteux et ridicule piège |
12 |
|
« L'esprit trompeur poussait vos pas au sacrilège. |
12 |
|
« Insensé ! bénissez ce hasard de ma mort |
12 |
|
« Qui vous prend sur l'abîme et vous arrête au bord. |
12 |
305 |
« Que l'esprit tentateur prêt à vous y conduire |
12 |
|
« Connaissait bien ce cœur qu'il avait à séduire ; |
12 |
|
« Quand il ne peut au crime entraîner nos élus, |
12 |
|
« Il les y mène aussi, mon fils, parleurs vertus. |
12 |
|
« Ah ! brisez son embûche, et rougissez de honte. |
12 |
310 |
« Quoi ! ce rêve d'une âme à s'enflammer trop prompte |
12 |
|
« Pour un enfant jeté par hasard sous vos pas, |
12 |
|
« Ce trouble d'un cœur pur qui ne se connaît pas, |
12 |
|
« D'un périlleux amour cette amitié prélude, |
12 |
|
« Mauvais fruit du loisir et de la solitude ; |
12 |
315 |
« Ces élans, ces soupirs, ces serremens de main, |
12 |
|
« Que le vent de la vie emportera demain ; |
12 |
|
« Ces jeux de deux enfans loin des yeux de leurs mères |
12 |
|
« Qui prennent pour amour leurs naïves chimères ; |
12 |
|
« Risible enfantillage et des sens et du cœur ! |
12 |
320 |
« Voilà ce qui du ciel en vous serait vainqueur ? |
12 |
|
« Voilà pour quel appât, voilà pour quelle cause |
12 |
|
« Vous trahiriez le vœu que ce temps vous impose ? |
12 |
|
« Vous laisserez ma mort sans secours, sans adieu, |
12 |
|
« Le temple sans ministre et le monde sans Dieu ? |
12 |
325 |
« Je ne me doutais pas que dans ces jours sinistres |
12 |
|
« Où l'autel est lavé du sang de ses ministres, |
12 |
|
« Pendant que des cachots chacun d'eux comme moi |
12 |
|
« S'élance à l'échafaud pour confesser sa foi, |
12 |
|
« Pendant que l'univers avec horreur admire |
12 |
330 |
« La bataille de sang du juge et du martyre, |
12 |
|
« Hésitant pour savoir où décider son cœur, |
12 |
|
« Des bourreaux ou de nous qui restera vainqueur ; |
12 |
|
« Je ne me doutais pas qu'un des soldats du temple, |
12 |
|
« Du lévite autrefois la lumière et l'exemple, |
12 |
335 |
« Au grand combat de Dieu refusant son secours, |
12 |
|
« Amollissait son âme à de folles amours ; |
12 |
|
« Au pied des échafauds où périssaient ses frères, |
12 |
|
« Sacrifiait au Dieu des femmes étrangères : |
12 |
|
« Pensant sous quel débris des temples du Seigneur |
12 |
340 |
« Il cacherait sa couche avec son déshonneur ! » |
12 |
|
— « O mon père, pitié ! Quel mot osez-vous dire ? |
12 |
|
« Le ciel sait si mon cœur a tremblé du martyre, |
12 |
|
« Il sait si j'hésitai, pour arriver à vous, |
12 |
|
« D'affronter cette mort dont je serais jaloux ; |
12 |
345 |
« Mais ébloui de zèle, et moins homme qu'apôtre, |
12 |
|
« Vous ne jugez, hélas ! nos cœurs que par le vôtre ; |
12 |
|
« Vous croyez que mon cœur, de l'amour triomphant, |
12 |
|
« N'arracherait qu'un rêve au sein de cet enfant, |
12 |
|
« Que le sien m'oublîrait ; que je pourrais moi-même |
12 |
350 |
« Rapporter aux autels tout l'amour dont je l'aime, |
12 |
|
« Absous par votre main d'un parjure innocent, |
12 |
|
« Noyer son souvenir dans des pleurs ou du sang ; |
12 |
|
« Que cette affection au cœur enracinée, |
12 |
|
« Cette existence à deux, ce rêve d'une année, |
12 |
355 |
« Ce rayon qui nous fit ensemble épanouir, |
12 |
|
« Comme un rêve d'un soir pourrait s'évanouir ? |
12 |
|
« Connaissez mieux l'amour de l'homme et de la femme, |
12 |
|
« Il joint leur double vie en une seule trame ; |
12 |
|
« Il survivrait, coupable, à la honte, au remord, |
12 |
360 |
« Plus vivant que la vie, et plus fort que la mort. » |
12 |
|
— « Silence ! cria-t-il, vous profanez cette heure, |
12 |
|
« Ces momens tout au ciel, ces fers, cette demeure, |
12 |
|
« Où du Dieu trois fois pur un indigne martyr |
12 |
|
« N'eût jamais entendu de tels mots retentir ! |
12 |
365 |
« Parler d'amour, grand Dieu ! sous ces ombres muettes ! |
12 |
|
« Insensé, regardez, et songez où vous êtes ! |
12 |
|
« Voyez dans les cachots ces membres amaigris, |
12 |
|
« Ces bras levés à Dieu, par des chaînes meurtris ; |
12 |
|
« Cette couche où l'Église expire et sent en rêve |
12 |
370 |
« Le baiser de l'Époux dans le tranchant du glaive ! |
12 |
|
« Ce sépulcre des morts par la vie habité, |
12 |
|
« Qui ne se rouvre plus que sur l'éternité ! |
12 |
|
« Ces fers dont les anneaux tout rouilles sur nos membres |
12 |
|
« Ont rivé Jésus-Christ à chacun de ses membres ! |
12 |
375 |
« Et ce pain d'amertume, et ce vase de fiel, |
12 |
|
« Délicieux banquet de ces noces du ciel ! |
12 |
|
« Et c'est là, c'est devant ces témoins du supplice, |
12 |
|
« Devant ce moribond qui marche au sacrifice, |
12 |
|
« Que vous osez parler de ces amours mortels ! |
12 |
380 |
« Vous ! dévoué d'avance à nos heureux autels ! |
12 |
|
« Vous ! que leur sacré deuil, le sang qui les colore, |
12 |
|
« Par un plus fort lien y consacrait encore ! |
12 |
|
« Ah ! que cette amertume ajoute à mon trépas ! |
12 |
|
« Quoi ! vous, trahir ! mais non, cela ne se peut pas ! |
12 |
385 |
« Vous ne souillerez pas une si chaste vie, |
12 |
|
« Vous ne jetterez pas à mon front cette lie, |
12 |
|
« Vous ne donnerez pas cette absinthe, au lieu d'eau, |
12 |
|
« Au vieillard qui demande une goutte au bourreau ! |
12 |
|
« Vous ne laisserez pas l'âme de votre père |
12 |
390 |
« Partir sans emporter le pardon qu'elle espère, |
12 |
|
« Sans avoir entendu d'un ministre de Dieu |
12 |
|
« La parole de paix et le salut d'adieu ! |
12 |
|
« Ah ! que j'ai demandé cette heure au divin maître ! |
12 |
|
« Combien j'ai soupiré pour qu'un juste, un saint prêtre |
12 |
395 |
« A ses pieds, comme Dieu me reçût à genoux, |
12 |
|
« Me dît avant la mort : Vivez, je vous absous ! |
12 |
|
« Pour qu'il offrît pour moi, la veille du supplice, |
12 |
|
« Cette coupe du sang, ce fruit du sacrifice |
12 |
|
« Que mes doigts mutilés ne peuvent plus tenir, |
12 |
400 |
« Et me bénît ce pain que je n'ose bénir ! |
12 |
|
« Et quand l'ange exauçant enfin ma dernière heure, |
12 |
|
« Vous amène du ciel au père qui vous pleure ; |
12 |
|
« Quand, pour diviniser cette heure du trépas, |
12 |
|
« Il ne me faut qu'un mot !… Vous ne le diriez pas ! |
12 |
405 |
« Oh ! mon enfant, au nom de ces larmes dernières |
12 |
|
« Qui sur vos mains de fils tombent de mes paupières, |
12 |
|
« Au nom de ces cheveux blanchis dans les cachots, |
12 |
|
« De ces membres promis demain aux échafauds ; |
12 |
|
« Au nom des tendres soins que j'ai pris de votre âme, |
12 |
410 |
« Au nom de votre mère ! au nom de cette femme |
12 |
|
« Qui, si son œil de vierge ici pouvait vous voir, |
12 |
|
« Vous pousserait du geste et du cœur au devoir ! |
12 |
|
« Et qui, fille du Christ, ne voudrait pas sans doute |
12 |
|
« Acheter votre vie au prix qu'elle vous coûte, |
12 |
415 |
« Déchirez le bandeau qui recouvre vos yeux, |
12 |
|
« Dites ce mot, mon fils, que je l'emporte aux cieux !… |
12 |
|
La sueur de mon front tombant à grosse goutte, |
12 |
|
Avançant, reculant, comme un homme qui doute, |
12 |
|
Je demeurais muet, méditant, interdit. |
12 |
420 |
D'un courroux surhumain son regard resplendit ; |
12 |
|
Son corps se redressa comme si son idée |
12 |
|
L'eût soulevé du sol, grandi d'une coudée ; |
12 |
|
Son bras chargé de fers s'étendit contre moi ; |
12 |
|
Le cachot s'éclaira de l'éclair de sa foi. |
12 |
425 |
Je crus voir de son front la foudre intérieure |
12 |
|
Jaillir et serpenter dans la sombre demeure ; |
12 |
|
Sa voix prit la colère et la vibration |
12 |
|
Du prophète lançant la malédiction, |
12 |
|
Des lions de Juda rugissement terrible ! |
12 |
430 |
« Eh bien ! puisqu'à mes pleurs vous restez insensible ; |
12 |
|
« Puisque la charité pour un père expirant |
12 |
|
« Ne peut en rallumer en vous le feu mourant ; |
12 |
|
« Puisque entre le salut que le vieillard implore |
12 |
|
« Et votre infâme amour vous hésitez encore, |
12 |
435 |
« Vous n'êtes plus chrétien ni prêtre de Jésus : |
12 |
|
« Retirez-vous de moi… je ne vous connais plus ! |
12 |
|
« Sortez de ce Calvaire où votre maître expire ; |
12 |
|
« Vous n'êtes qu'un bourreau de plus qui l'y déchire ; |
12 |
|
« Vous n'êtes qu'un témoin lâche, indigne de voir |
12 |
440 |
« Comment le chrétien souffre et meurt pour le devoir, |
12 |
|
« Mais digne seulement de garder dans la rue |
12 |
|
« L'habit ensanglanté du licteur qui le tue ! |
12 |
|
« Oui, sortez de mon ombre et de ce lieu sacré ; |
12 |
|
« Sortez, mais non pas tel que vous êtes entré ; |
12 |
445 |
« Sortez, en emportant la divine colère |
12 |
|
« Sur vous et sur l'objet… » — « N'achevez pas, mon père ; |
12 |
|
« Ne la maudissez pas, arrêtez ! tout sur moi ! » |
12 |
|
Il lut d'un seul coup d'œil sa force et mon effroi, |
12 |
|
Comme le bûcheron voit l'arbre qui chancelle. |
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450 |
« Écoutez ! » me dit-il d'une voix solennelle, |
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Comme s'il eût parlé d'au delà du trépas |
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A des hommes de chair qui l'écoutaient en bas : |
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« Il est dans notre vie une heure de lumière, |
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« Entre ce monde et l'autre indécise frontière, |
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« Où l'âme des chrétiens prête à quitter le corps, |
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« De l'abîme des temps voit déjà les deux bords, |
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« Où de l'éternité l'atmosphère divine |
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« D'un jour surnaturel dans sa nuit l'illumine, |
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« Et des choses d'en bas lui découvrant le sens, |
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« Donne un son prophétique à ses derniers accens. |
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« Sans crainte alors on parle et l'on entend sans cloute ; |
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« Dans la voix du mourant c'est Dieu que l'on écoute ! |
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« Je suis à cet instant, et je sens dans mon cœur |
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« Ce Verbe du Très-Haut qui parle sans erreur. |
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« Il me dit d'arracher, d'une main surhumaine, |
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« Un de ses fils au piège où le monde l'entraîne ; |
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« Il donne à mes accens l'autorité du sort ; |
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« Je prends sur moi l'arrêt qui de mes lèvres sort, |
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« Je prends sur mon salut la sainte violence |
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« Qui vous jette à mes pieds sans plus de résistance : |
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« Obéissez à Dieu, qui tonne dans ma voix ! » |
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De sa main, de ses fers mon front sentit le poids ; |
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Je crus sentir de Dieu la main et le tonnerre |
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Qui m'écrasaient du bruit et du coup sur la terre ; |
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Pétrifié d'horreur, tous les sens foudroyés, |
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Je tombai sans parole et sans souffle à ses pieds : |
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Un changement divin se fit dans tout mon être ; |
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Quand il me releva de terre, j'étais prêtre !… |
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Le vieillard à son tour à mes pieds se jeta, |
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Et confessa sa vie au Dieu qui l'écouta ; |
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Puis me fit célébrer pour lui le saint mystère. |
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Un angle du rocher fut notre autre Calvaire. |
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Sur cet autel des pleurs, un noir morceau de pain |
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Fut l'image du Dieu que lui rompit ma main ; |
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Une coupe de bois fut le divin calice |
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Où le vin figura le sang du sacrifice ; |
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Et la lampe jetant ses funèbres clartés |
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Le cierge et le flambeau de nos solennités. |
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Je répétais les mots qu'il me dictait lui-même. |
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Quand je fus au moment où du festin suprême |
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Le prêtre, rappelant le symbolique adieu, |
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Dans ce pain voit un corps et dans ce corps un Dieu : |
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Le lieu, l'émotion, l'heure, ces murs funèbres, |
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L'écho des mots sacrés roulant dans ces ténèbres, |
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Ce mourant à mes pieds dans un divin transport, |
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Me demandant des yeux l'aliment de sa mort, |
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Ce sentiment confus de m'immoler moi-même |
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A cette charité dont je tenais l'emblème, |
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Ce retentissement de ma pensée en moi, |
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Tout concentra mon âme en un éclair de foi ; |
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Je crus sentir le Dieu qui souffre et qui console, |
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Du ciel même arraché par la sainte parole, |
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Descendre et transformer en sang nouveau le vin, |
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Le pain du prisonnier en aliment divin, |
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Et je crus dans ce pain que notre foi consomme, |
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Humaniser le Verbe et diviniser l'homme ! |
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Sa lèvre l'aspira dans un élan d'amour, |
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La lampe s'éteignit dans l'ombre… — Il était jour. |
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