Métrique en Ligne
LAM_8/LAM141
Alphonse de LAMARTINE
JOCELYN
1836
TROISIÈME ÉPOQUE
Quand ce soleil d'été, foyer flottant de vie, 12
Me force à rabaisser ma paupière éblouie, 12
Et sous ce voile ardent m'éblouissant encor 12
Passe à travers mes cils en tièdes reflets d'or ; 12
5 Quand ces rayons, frappant ces neiges éternelles, 12
Rejaillissent de terre en gerbes d'étincelles, 12
Font ressembler ces pics et ce bleu firmament 12
A la mer qui blanchit sur un roc écumant ; 12
Que dans ce ciel semblable à des lacs sans rivage 12
10 Je ne vois que l'Éther limpide où rien ne nage 12
Excepté l'aigle noir, qui comme un point obscur 12
Semble dormir cloué dans l'immobile azur, 12
Ou qui, bercé là haut sur ses serres obliques, 12
S'abaisse en décrivant des cercles concentriques, 12
15 Lance d'un revers d'aile au soleil en plongeant, 12
De sa plume bronzée un vif reflet d'argent, 12
Et jette, en me voyant couché près de son aire, 12
Un cri d'étonnement où vibre sa colère ; 12
Quand l'arbre ou le rocher répand sous le rayon 12
20 Quelque île fraîche d'ombre au milieu du gazon ; 12
Qu'étendu mollement sur cette couche verte, 12
Du pavillon des cieux seulement recouverte, 12
L'herbe haute, qu'un poids de fleurs fait replier, 12
Dans ces gouffres touffus m'engloutit tout entier ; 12
25 Que du foin desséché le parfum m'environne, 12
Et que je n'entends rien que l'air chaud qui bourdonne, 12
Mon souffle qui se mêle à l'air vierge des cieux, 12
Ou ma tempe qui bat mon front silencieux ; 12
Alors je sens en moi des voluptés si vives, 12
30 Un si complet oubli des heures fugitives, 12
Que mon âme, âmes sens échappant quelquefois, 12
De son corps détaché ne sent pas plus le poids 12
Que le cygne, essayant son aile déjà forte, 12
Ne sent le poids léger de l'aile qui le porte ! 12
35 J'aime dans ce silence à me laisser bercer, 12
A ne me sentir plus ni vivre ni penser ; 12
A croire que l'esprit qu'en vain le corps rappelle, 12
A quitté sans retour l'enveloppe mortelle 12
Et nage pour jamais dans les rayons du ciel, 12
40 Comme dans ces rayons d'été la mouche à miel ! 12
Dans cet état, où l'homme en Dieu se transfigure, 12
Le temps fuit et renaît sans que rien le mesure ; 12
On a le sentiment de l'immortalité ; 12
Puis quand un souffle, un vol d'un insecte d'été 12
45 Me rappelle à la fin à mes sens que j'oublie, 12
Dans un plaisir amer sur moi je me replie ; 12
Je sens que dans ce ciel d'où je descends si las, 12
Dieu m'écoute, il est vrai, mais ne me répond pas ; 12
Je cherche autour de moi, là, plus bas, dans ce monde, 12
50 Quelque chose qui sente avec moi, qui réponde ; 12
Mon cœur est trop rempli pour ne pas déborder, 12
Et si mon sort voulait seulement m'accorder 12
Un second cœur, un cœur vide et muet encore, 12
Où la vie et l'amour ne fissent que d'éclore ; 12
55 Cette ardeur que le mien ne peut plus renfermer, 12
Suffirait pour l'étreindre et pour le consumer ; 12
Je verserais en lui le trop-plein de mon âme ; 12
Sa flamme servirait d'aliment à ma flamme, 12
Cette double existence, en multipliant moi, 12
60 Me rendrait, ô mon Dieu ! comme une ombre de toi ; 12
Je sens que je pourrais dans cet autre moi-même, 12
Jeter ce qui m'oppresse et doubler ce que j'aime, 12
Au miroir de mon cœur m'embrasser à mon tour, 12
Créer l'âme de l'âme, et l'amour de l'amour, 12
65 Et comme ton regard se voit dans ton ouvrage, 12
Consumé de mes feux, m'aimer dans mon image ! 12
Alors ce dôme bleu me semble un beau linceul, 12
J'entr'ouvre en vain mes bras au vent, mon cœur est seul ; 12
Je cherche en vain des yeux dans cette vie aride, 12
70 Je jette en vain un nom au hasard à ce vide ; 12
Le désert seul, hélas ! m'entoure et me répond, 12
Je vais du lac au pic et de la grotte au pont, 12
Je reviens sur mes pas, je m'assieds, je me lève, 12
Mon propre sein me pèse et rien ne le soulève, 12
75 Il semble qu'à mon être il manque une moitié, 12
Objet de chaste amour ou de sainte amitié, 12
Que je marche à tâtons, que je suis dans ce monde 12
Une voix qui n'a pas d'écho qui lui réponde, 12
Un œil qui dans un œil ne se réfléchit pas, 12
80 Un corps qui ne répand point d'ombre sur ses pas, 12
Et que malgré ce ciel, ce beau lieu qui m'enivre, 12
Vivre seul c'est languir ! c'est attendre de vivre ! 12
Tout mon bonheur ainsi se change en vague ennui ; 12
Solitude ! un Dieu seul peut te remplir de lui ! 12
85 Poussé par cet instinct qui vers l'homme m'attire, 12
J'ai franchi ce matin le seuil de mon empire, 12
J'ai mesuré de l'œil la chute du torrent, 12
J'ai touché de la main l'arc-en-ciel transparent, 12
Et d'un pied plus hardi, que l'audace accoutume, 12
90 Passé le roc tremblant sous la voûte d'écume. 12
Dans l'herbe au moindre bruit soigneux de me cacher, 12
Et les pieds nus, de peur qu'on m'entendît marcher, 12
Suivant dans ses contours le ravin qui serpente, 12
De ces monts, pas à pas, j'ai descendu la pente 12
95 Jusqu'au bord d'une gorge où j'entendais parfois 12
Mugir les bœufs du pâtre et chanter une voix ; 12
Là, tapi sous la feuille, et dérobé derrière 12
Les troncs des châtaigniers qui bordent la clairière, 12
Sans être découvert, pouvant tout entrevoir, 12
100 J'ai vu ce que mon cœur aimait à concevoir, 12
Une scène de paix, d'amour et d'innocence, 12
Que l'on rêve la nuit, et qu'éveillé l'on pense ; 12
Image innée ! hélas ! d'un temps qui nous a fui, 12
Que comme un souvenir tout homme porte en lui ! 12
105 Des chèvres, des brebis, et de grasses génisses, 12
Celles-là, se pendant aux fleurs des précipices, 12
Celles-ci, dans le pré plongeant jusqu'aux genoux, 12
Ruminaient en paissant sous des buissons de houx, 12
Tandis que des taureaux, jouant sur des pelouses, 12
110 Penchant leur tête oblique et leurs cornes jalouses, 12
Sur leurs jarrets dressés, choquaient comme deux blocs 12
Leur front sonore et lourd, retentissant des chocs. 12
A l'angle d'un buisson, sous un tronc de charmille, 12
Un jeune montagnard, près d'une jeune fille, 12
115 Sur la même racine étaient assis tous deux ; 12
Seuls, n'ayant que le ciel et les bois autour d'eux ; 12
Ils gardaient sans soucis ces troupeaux dont la cloche, 12
Comme un appel lointain, tintait de roche en roche, 12
Laissaient veiller le dogue, ou chantaient quelquefois 12
120 Pour qu'un chevreau perdu se guidât sur la voix. 12
Les coudes appuyés sur ses genoux, le pâtre 12
Penchait son front chargé de cheveux noirs sur l'âtre 12
Où fumait parmi l'herbe un reste de tison ; 12
Et regardant le sol, du bout de son bâton 12
125 Il semblait au hasard écrire sur la cendre ; 12
Sa rêverie avait quelque chose de tendre, 12
Et quand il relevait son front de ses genoux, 12
Qu'il ouvrait au grand jour son œil limpide et doux, 12
Dans le pli gracieux de sa lèvre ridée 12
130 On voyait en passant sourire son idée ; 12
Et quand de son amour ce regard s'inondait, 12
Un soupir contenu de son sein débordait ; 12
Mais ce soupir n'était qu'un élan sans tristesse, 12
Un poids levé du cœur que le bonheur oppresse. 12
135 La jeune fille avait cette fleur de beauté 12
Que n'a mûrie encore aucun rayon d'été, 12
Ce duvet de la joue où la rougeur colore 12
La moindre impression qu'un regard fait éclore ; 12
Son œil humide et bleu laissait lire au plein jour 12
140 La calme volupté d'un mutuel amour ; 12
Pour cacher une honte, une ombre, une pensée, 12
Sa paupière aux longs cils n'était jamais baissée ; 12
Mais son regard posait confiant, affermi, 12
Comme pose une main dans la main d'un ami. 12
145 Un réseau noir serrait ses cheveux dans sa maille ; 12
Deux tresses seulement descendant sur sa taille, 12
Où quelques blanches fleurs des prés s'entremêlaient, 12
Sur l'herbe derrière elle en blonds anneaux roulaient ; 12
Un étroit corset rouge embrassait sa ceinture ; 12
150 Une robe aux plis lourds et de couleur obscure 12
Lui venait à mi-jambe, et laissait voir ses pieds 12
Nus et blancs, sur la mousse au soleil appuyés, 12
Comme dans les débris dont la terre est couverte, 12
Deux pieds de marbre blanc brillent sur l'herbe verte ; 12
155 Ses doigts tressaient l'osier, tandis que son regard 12
Dans le vague du pré s'égarait au hasard. 12
L'heure ainsi s'en allait l'une à l'autre semblable, 12
L'ombre tournait autour des troncs noueux d'érable, 12
Le bœuf rassasié, sur l'herbe se couchait, 12
160 Des dormantes brebis l'agneau se rapprochait, 12
Sans que les deux amans, ivres de solitude, 12
Changeassent de bonheur, de regard, d'attitude. 12
On voyait à la paix de leur lent entretien, 12
Que leur cœur n'était pas vide comme le mien ; 12
165 A peine quelques mots, de distance en distance, 12
S'écoulaient de leur lèvre et troublaient le silence, 12
Comme une eau qui s'enfuit d'un bassin transparent 12
S'échappe goutte à goutte et coule en murmurant. 12
Quand le soleil, qui monte en raccourcissant l'ombre, 12
170 Fut à moitié du ciel, sur l'herbe molle et sombre 12
Le jeune homme étendit son corps pour sommeiller, 12
Et, comme abandonnant son front à l'oreiller, 12
Sur les genoux pliés de sa paisible amie, 12
Laissa tomber son coude et sa tête endormie. 12
175 Elle ne dormait pas pendant qu'il sommeillait, 12
Mais essuyant son front que la sueur mouillait, 12
Jouant dans ses cheveux avec ses doigts d'ivoire, 12
Roulait et déroulait leur boucle épaisse et noire. 12
L'heure du repas vint ; ils mangèrent ; leur main 12
180 Puisa le même lait, rompit le même pain. 12
Leurs genoux rapprochés leur servirent de table ; 12
Ils choisirent la fraise au même plat d'érable, 12
Partagèrent la grappe et le rayon de miel, 12
Et dans la même coupe ils burent l'eau du ciel. 12
185 Mais le rayon du soir, qui pompe les orages, 12
Sur le vallon plus sombre abaissait les nuages ; 12
La feuille qu'à midi le vent laissait dormir, 12
Dans les bois murmurans commença de frémir, 12
Et, comme aux flancs des monts un brouillard qui s'essuie, 12
190 La brume descendit sur l'herbe en fine pluie ; 12
Ils vinrent s'abriter contre le tronc noirci 12
Du hêtre, où le troupeau se rassemblait aussi ; 12
Et, comme au bruit du vent qui secouait sa voûte, 12
La feuille sur leurs cous distillait goutte à goutte, 12
195 Sous les flancs ténébreux d'une arche de rocher 12
Où les oiseaux mouillés à l'abri vont percher, 12
Dérobés à mes yeux par un rideau d'ombrage, 12
Ils laissèrent en paix égoutter le nuage. 12
En écoutant de loin leur naïf entretien, 12
200 Jaloux, je comparais leur sort avec le mien ; 12
Et le vent m'apportait quelque rire folâtre, 12
Où se mêlait la voix de la vierge et du pâtre. 12
Je quittai cette scène, emportant dans mes yeux 12
Ce tableau du bonheur comme un rêve des cieux, 12
205 Plus dévoré du feu de mon inquiétude, 12
Plus seul dans ma pensée et dans ma solitude, 12
Et me promettant bien de ne plus m'approcher 12
De ces eaux où ma soif s'accroît sans s'étancher. 12
Il repose ; écrivons. Quel jour ! quelle semaine ! 12
210 De deuil et de bonheur pour moi comme elle est pleine ! 12
Et par quel coup de foudre, hélas ! ai-je acheté 12
Cet enfant, compagnon de mon adversité ? 12
Le jour baissait ; j'avais passé l'heure après l'heure ; 12
Errant de site en site autour de ma demeure, 12
215 Je venais de m'asseoir sur le roc incliné 12
Qu'en tombant des hauteurs la cascade a miné ; 12
Mes jambes et mon front pendaient sur cet abîme, 12
Et je suivais des yeux ce tourbillon sublime 12
Qui, m'enivrant de bruit et d'étourdissement, 12
220 De mes propres pensers m'ôtait le sentiment ; 12
Je dominais de là l'ouverture profonde 12
Où la neige d'été roule en poudre avec Ponde, 12
Et le pont naturel qui sur son double bord 12
Se dresse, et de mon lac défend l'affreux abord. 12
225 Mon âme se laissait, indolemment bercée, 12
Emporter flots à flots et pensée à pensée, 12
Et se perdant au sein de ces œuvres de Dieu, 12
Était déjà bien loin et du jour et du lieu ; 12
Quand un coup de fusil, que l'écho répercute, 12
230 Tonne et roule au-dessus du bruit sourd de la chute. 12
Je m'éveille en sursaut, je me lève, je vois 12
Deux soldats poursuivant deux proscrits aux abois : 12
A peine séparés par une courte avance, 12
Les fuyards n'avaient plus qu'une faible espérance ; 12
235 Les soldats rechargeaient leurs armes en courant ; 12
Les deux proscrits touchaient aux parois du torrent, 12
Il fallait ou périr, ou trouver un passage. 12
Ils s'arrêtent glacés d'horreur sur le rivage ; 12
Le gouffre est sous leurs yeux et la mort sur leurs pas. 12
240 Je les vois s'embrasser ; je ne réfléchis pas 12
Qu'un cri de mon séjour va trahir le mystère ; 12
Je jette un cri soudain, perçant, involontaire ; 12
Ils m'entendent, j'accours ; je montre de ma main 12
Sur le gouffre fumant, le hasardeux chemin. 12
245 Aussitôt des proscrits le plus âgé s'élance, 12
Donnant la main à l'autre encore dans l'enfance ; 12
Pour soutenir leurs pas j'accours de mon côté ; 12
Au droit sommet du pont ils ont déjà monté ; 12
Déjà le plus âgé me tend du haut de l'arche 12
250 L'enfant pâle et tremblant dont je soutiens la marche ; 12
« Sauvez, sauvez, dit-il, généreux étranger, 12
« Cet enfant que je vais ou défendre ou venger ; 12
« J'entraînerai du moins ses bourreaux dans ma chute ; 12
« Fuyez, et que ma mort vous donne une minute ! » 12
255 Déjà les deux soldats, poussés par leur ardeur, 12
Sans sonder du ravin l'immense profondeur, 12
Sur ces blocs suspendus, plus polis que la glace 12
Leurs crosses à l'épaule avançaient sur sa trace. 12
Quand le proscrit les voit au plus horrible pas, 12
260 Il arme son fusil pour un douille trépas ; 12
Quatre éclairs à la fois jaillissent de la pierre, 12
Les quatre coups partis ne font qu'un seul tonnerre ; 12
Les deux soldats, frappés par cette double mort, 12
Tombent comme un seul bloc, glissent, roulent du bord ; 12
265 En vain leurs doigts crispés et leurs dents convulsives 12
Du pont sans parapet pressent, mordent les rives, 12
La cascade les jette à l'abîme ondoyant, 12
Leurs jambes et leurs bras plongent en tournoyant, 12
Tout leur corps sur le roc, pilé par l'avalanche, 12
270 N'est plus qu'un point obscur dans sa poussière blanche ; 12
Le proscrit, qui les voit tomber, encor debout, 12
Sent sa poitrine enfin saignant d'un double coup : 12
Son sang, dont ce regard suspendait seul la perte, 12
S'échappe en deux ruisseaux de sa chemise ouverte ; 12
275 Il tente un pas, son pied ne peut le soutenir, 12
Il va rouler ; mon bras a su le retenir ; 12
Je le traîne expirant sur l'herbe du rivage. 12
Le bonheur et la mort luttent sur son visage ; 12
Il baise avec amour son fusil triomphant, 12
280 Sa voix rend la parole et l'âme à son enfant. 12
Nous étanchons son sang, nous lavons sa blessure, 12
Puis, formant à la hâte un brancard de verdure, 12
L'enfant portant les pieds, moi le front, nous marchons, 12
Et dans ma grotte enfin mourant nous le couchons. 12
285 Étendu sur un lit de mousse ensanglantée, 12
Sur les bras de son fils sa tête était jetée ; 12
Son regard seul sur lui pouvait se soulever, 12
Quelquefois il semblait s'endormir et rêver, 12
Et sur son lit, sa main échappée à la mienne 12
290 Cherchait, en tâtonnant un fil qui la retienne. 12
Le pauvre enfant voulait me dérober en vain 12
Des sanglots qui sortaient malgré lui de son sein ; 12
Chaque fois qu'il levait son front pâli d'alarmes, 12
Je voyais dans ses yeux rouler de grosses larmes, 12
295 Qui pleuvaient sur le front que son cœur appuyait, 12
Et qu'un baiser craintif de sa bouche essuyait ; 12
Puis il interrogeait mes yeux comme pour lire 12
L'affreuse vérité que je n'osais lui dire, 12
Et, quand malgré mes yeux mon trouble lui parlait, 12
300 De ses bras convulsifs l'étreinte redoublait ; 12
Il me jetait dans l'ombre un regard de colère, 12
Et, de son corps entier enveloppant son père, 12
Il semblait défier le ciel et le trépas 12
De pouvoir arracher ce mourant de ses bras ; 12
305 Alors ses blonds cheveux tombant sur son visage, 12
Mêlés aux cheveux blancs de ce front d'un autre âge, 12
Me cachaient leur figure, et je n'entendais plus 12
De baisers, de sanglots, qu'un murmure confus, 12
Deux souffles confondus dans une seule haleine, 12
310 Tantôt forte, tantôt se distinguant à peine, 12
Où les derniers élans de deux cœurs, de deux voix 12
Semblaient se ranimer et s'éteindre à la fois. 12
Ma torche cependant dans ces mornes ténèbres 12
Jetait son jour rougeâtre et ses vapeurs funèbres ; 12
315 Moi, debout dans un coin de la grotte, à l'écart, 12
De peur de profaner la douleur d'un regard, 12
Tantôt je ranimais la torche évanouie, 12
Tantôt, pour réveiller quelque signe de vie, 12
Je jetais au blessé l'eau froide du courant, 12
320 Ou soufflais la chaleur sur les pieds du mourant ; 12
Et, tantôt à genoux dans l'ombre la plus noire, 12
Cherchant les chants sacrés épars dans ma mémoire, 12
Le Christ entre mes mains, je murmurais tout bas 12
Les hymnes dont la foi berce encor le trépas, 12
325 Afin qu'une prière au moins, de cette terre, 12
Précédât dans le ciel cette âme solitaire ! 12
La moitié de la nuit ainsi se consuma ; 12
Vers l'aurore, la vie un peu se ranima. 12
Il contempla son fils, il jeta sur la voûte 12
330 Un regard où semblait hésiter quelque doute, 12
Puis, reportant sur moi l'œil fixe de la mort, 12
Et recueillant ses sens en un dernier effort : 12
« Je meurs, murmura-t-il, et le ciel vous confie 12
« Ce fils mon seul regret, ce fils mon autre vie ; 12
335 « Veillez sur ce destin que j'abandonne à Dieu ! 12
« Soyez pour lui, soyez un père, un frère ! Adieu ! » 12
La parole à sa lèvre, hélas ! montait encore, 12
Mais dans les sons éteints ne pouvait plus éclore ; 12
De momens en momens sa tête s'égarait ; 12
340 Aucun fil ne liait les mots qu'il murmurait ; 12
Il parlait aux absens, aux morts, à sa famille ; 12
Et regardant son fils, il appelait sa fille. 12
Enfin, quand le regard s'éteignit dans ses yeux, 12
Il posa sur sa bouche un doigt mystérieux, 12
345 Et d'un reste de voix nommant encor Laurence, 12
Il mourut en faisant le geste du silence !… 12
J'ai passé tout ce jour comme dans un tombeau, 12
Le mort enveloppé dans son sanglant manteau, 12
Le pauvre enfant auprès, étendu sur la terre, 12
350 Le front enseveli dans le linceul du père, 12
Tantôt comme endormi sur le même oreiller, 12
Tantôt comme écoutant son père sommeiller, 12
Soulevant le manteau qui couvre sa figure, 12
Prenant pour son haleine un souffle qui murmure, 12
355 Collant longtemps l'oreille à sa bouche, et longtemps 12
Retenant dans son sein ses sanglots haletans ; 12
Puis enfin détrompé, sur le front mort qu'il pleure, 12
Attachant un regard triste et long comme l'heure, 12
Un de ces forts regards qui semble en un moment 12
360 Concentrer toute une âme en un seul sentiment, 12
Et qui rendrait, hélas ! la vie à la mort même 12
Si l'amour seul pouvait ranimer ce qu'il aime ! 12
Pendant qu'un lourd sommeil plus fort que nos douleurs 12
Fermait enfin les yeux de l'enfant dans ses pleurs, 12
365 J'ai dénoué ses bras du corps froid de son père, 12
Et j'ai rendu ce soir la dépouille à la terre. 12
Au bord du lac, il est une plage dont l'eau 12
Ne peut même en hiver atteindre le niveau ; 12
Mais où le flot, qui bat jour et nuit sur sa grève, 12
370 Déroule un sable fin qu'en dunes il élève. 12
Là, le mur du rocher, sous sa concavité, 12
Couvre un tertre plus vert de son ombre abrité ; 12
La roche en cet endroit par sa forme rappelle 12
Le chœur obscur et bas d'une antique chapelle, 12
375 Quand la nature en a revêtu les débris 12
De liane rampante et d'arbustes fleuris. 12
Là, du pauvre étranger, la nuit, mes mains creusèrent 12
La couche dans la terre et mes pleurs l'arrosèrent ; 12
Et les mots consacrés à ce suprême adieu 12
380 Remirent son sommeil et son réveil à Dieu. 12
Puis pour sanctifier la place par un signe, 12
Et de son saint dépôt la rendre à jamais digne, 12
Je fis tomber d'en haut cinq grands blocs suspendus, 12
Gigantesque débris de ces rochers fendus ; 12
385 Et les groupant en croix sur la couche de sable, 12
J'imprimai sur le sol ce signe impérissable ; 12
Bientôt la giroflée et les câpriers verts 12
De réseaux et de fleurs les auront recouverts, 12
Et le cygne y viendra, saint et charmant présage, 12
390 En sortant de la vague, y changer de plumage. 12
Nos cœurs se sont ouverts ; mon jeune compagnon 12
M'a confié ce soir son histoire et son nom ; 12
Il est fils d'un proscrit, il se nomme Laurence ; 12
Sa jeune mère est morte en lui donnant naissance ; 12
395 Il n'a ni sœur ni frère ; à seize ans parvenu, 12
Dans toute son enfance, il n'a jamais connu 12
D'autres soins, d'autre amour, d'autre front sur la terre, 12
Que les soins, que l'amour, que le front de son père. 12
Heureux avec lui seul, et près de lui toujours, 12
400 Jusqu'à ces temps de meurtre il a passé ses jours 12
Dans un manoir désert d'une aride campagne, 12
Sur les bords orageux de la mer de Bretagne ; 12
Quand l'orage civil en ces lieux retentit, 12
Pour ses lois et son Dieu son père combattit ; 12
405 Vaincu, forcé de fuir ses champs héréditaires, 12
Cachant sous un faux nom son nom et ses misères, 12
Il avait traversé la France avec son fils ; 12
Du haut de ces sommets qu'il visita jadis, 12
D'espoir et de bonheur l'âme déjà remplie, 12
410 Ses yeux voyaient de près les champs de l'Italie, 12
Quand, aux bords de l'Isère aperçu, des soldats 12
Par de vils délateurs sont lancés sur ses pas ; 12
Ils allaient échapper dans la nuit ; nuit funeste ! 12
Ses larmes l'étouffaient, et je savais le reste. 12
415 Mon cœur me l'avait dit : toute âme est sœur d'une âme ; 12
Dieu les créa par couple et les fit homme ou femme ; 12
Le monde peut en vain un temps les séparer, 12
Leur destin tôt ou tard est de se rencontrer ; 12
Et quand ces sœurs du ciel ici-bas se rencontrent, 12
420 D'invincibles instincts l'une à l'autre les montrent ; 12
Chaque âme de sa force attire sa moitié. 12
Cette rencontre, c'est l'amour ou l'amitié, 12
Seule et même union qu'un mot différent nomme, 12
Selon l'être et le sexe en qui Dieu la consomme, 12
425 Mais qui n'est que l'éclair qui révèle à chacun 12
L'être qui le complète, et de deux n'en fait qu'un. 12
Quand il a lui, le feu du ciel est moins rapide. 12
L'œil ne cherche plus rien, l'âme n'a plus de vide, 12
Par l'infaillible instinct le cœur soudain frappé, 12
430 Ne craint pas de retour, ni de s'être trompé ; 12
On est plein d'un attrait qu'on n'a pas senti naître, 12
Avant de se parler on croit se reconnaître, 12
Pour tous les jours passés on n'a plus un regard, 12
On regrette, on gémit de s'être vu trop tard, 12
435 On est d'accord sur tout avant de se répondre, 12
L'âme de plus en plus aspire à se confondre ; 12
C'est le rayon du ciel, par l'eau répercuté, 12
Qui remonte au rayon pour doubler sa clarté ; 12
C'est le son qui revient de l'écho qui répète, 12
440 Seconde et même voix, à la voix qui le jette ; 12
C'est l'ombre qu'avec nous le soleil voit marcher, 12
Sœur du corps, qu'à nos pas on ne peut arracher. 12
Vous me l'avez donné ce complément de vie, 12
Mon Dieu ! ma soif d'aimer est enfin assouvie. 12
445 Du jour où cet enfant sous ma grotte est venu, 12
Tout ce que je rêvais jadis, je l'ai connu. 12
Pour la première fois, moi, dont l'âme isolée 12
A d'autres jusqu'ici ne s'était pas mêlée, 12
Moi qui trouvais toujours dans ce qui m'approchait 12
450 Quelque chose de moins que mon cœur ne cherchait ; 12
Au visage, au regard, au son de voix, au geste, 12
A l'émanation de ce rayon céleste, 12
Aux premières douceurs du premier entretien, 12
Au cœur de cet enfant j'ai reconnu le mien. 12
455 Mon âme, que rongeait sa vague solitude, 12
A répandu sur lui toute sa plénitude. 12
Et mon cœur abusé, ne comptant plus les jours, 12
Croit en l'aimant d'hier l'avoir aimé toujours. 12
Je ne sens plus le poids du temps ; le vol de l'heure 12
460 D'une aile égale et douce en s'écoulant m'effleure ; 12
Je voudrais chaque soir que le jour avancé 12
Fût encore au matin à peine commencé ; 12
Ou plutôt que le jour naisse ou meure dans l'ombre, 12
Que le ciel du vallon soit rayonnant ou sombre, 12
465 Que l'alouette chante ou non à mon réveil, 12
Mon cœur ne dépend plus d'un rayon de soleil, 12
De la saison qui fuit, du nuage qui passe ; 12
Son bonheur est en lui ; toute heure, toute place, 12
Toute saison, tout ciel, sont bons quand on est deux ; 12
470 Qu'importe aux cœurs unis ce qui change autour d'eux ? 12
L'un à l'autre ils se font leur temps, leur ciel, leur monde ; 12
L'heure qui fuit revient plus pleine et plus féconde, 12
Leur cœur intarissable, et l'un à l'autre ouvert, 12
Leur est un firmament qui n'est jamais couvert. 12
475 Ils y plongent sans ombre, ils y lisent sans voile, 12
Un horizon nouveau sans cesse s'y dévoile ; 12
Du mot de chaque ami le retentissement 12
Éveille au sein de l'autre un même sentiment ; 12
La parole dont l'un révèle sa pensée 12
480 Sur les lèvres de l'autre est déjà commencée ; 12
Le geste aide le mot, l'œil explique le cœur, 12
L'âme coule toujours et n'a plus de langueur ; 12
D'un univers nouveau l'impression commune 12
Vibre à la fois, s'y fond, et ne fait bientôt qu'une ; 12
485 Dans cet autre soi-même, où tout va retentir, 12
On se regarde vivre, on s'écoute sentir ; 12
En laissant échapper sa pensée ingénue, 12
On s'explique, on se crée une langue inconnue ; 12
En entendant le mot que l'on cherchait en soi, 12
490 On se comprend soi-même, on rêve, on dit : C'est moi ! 12
Dans sa vivante image, on trouve son emblème, 12
On admire le monde à travers ce qu'on aime ; 12
Et la vie appuyée, appuyant tour à tour, 12
Est un fardeau sacré qu'on porte avec amour ! 12
495 Quand je reviens le soir de mes lointaines chasses, 12
Les pieds meurtris, les doigts déchirés par les glaces, 12
Rapportant sur mon dos l'élan ou le chamois, 12
Et que du haut d'un pic du plus loin j'aperçois 12
Mon lac bleu resserré comme un peu d'eau qui tremble 12
500 Dans le creux de la main où l'enfant la rassemble, 12
Le feston vert bordant sa coupe de granit, 12
De mes chênes penchés la tête qui jaunit, 12
Et vacillante au fond de la grotte qui fume, 12
La lueur du foyer que Laurence rallume ; 12
505 Quand je rêve un moment, quand je me dis : Là-bas, 12
Dans ce point lumineux qu'un lynx ne verrait pas, 12
J'ai la meilleure part, l'autre part de moi-même, 12
Un regard qui me cherche, un souvenir qui m'aime, 12
Un ami dont mon pas fera battre le cœur, 12
510 Un être dont le ciel m'a fait le protecteur, 12
Pour moi tout, et pour qui je suis tout sur la terre, 12
Patrie, amis, parais, mère, sœur, frère et père, 12
Qui compte tous mes pas dans son cœur palpitant, 12
Et pour qui loin de moi le jour n'a qu'un instant, 12
515 L'instant où, de ces monts me voyant redescendre, 12
Il vient de ses deux bras à mon cou se suspendre, 12
Et, bondissant après comme un jeune chevreuil, 12
En courant devant moi m'entraîne à notre seuil. 12
Alors, pressant le pas sur mon chemin de neige, 12
520 Je me trace de l'œil le sentier qui l'abrège ; 12
Le glacier suspendu m'oppose en vain son mur, 12
Je me laisse glisser sur ses pentes d'azur ; 12
Je retrouve Laurence au pied de la montagne, 12
Car je ne permets pas encor qu'il m'accompagne ; 12
525 Il passe alors son bras plus faible sous le mien ; 12
Je lui conte mon jour, il me conte le sien ; 12
Nous rentrons, il me dit combien nos tourterelles 12
Ont couvé le matin d'œufs éclos sous leurs ailes, 12
Combien la chèvre noire a donné de son lait, 12
530 Ou de petits poissons ont rempli son filet ; 12
Il me montre les tas de mousses et de feuille 12
Que pour tapisser l'antre avant l'hiver il cueille, 12
Les fruits qu'il a goûtés et rapportés du bois, 12
Et dont l'épine aiguë ensanglante ses doigts, 12
535 Les bras de vigne vierge, ou de lierre qui flotte, 12
Qu'il a fait serpenter dans les flancs de la grotte, 12
Les oiseaux qu'il a pris en leur jetant du grain, 12
Et les chevreuils privés qui mangent dans sa main ; 12
Car soit par préférence, ou soit par habitude, 12
540 Tous ces doux compagnons de notre solitude, 12
Biche de la montagne, élans, oiseaux des bois, 12
Accourent à sa vue et volent à sa voix. 12
Nous mangeons sur la main ce que le jour nous donne, 12
Le lait, les simples mets que la joie assaisonne ; 12
545 Nous mordons tour à tour à des fruits inconnus, 12
Ou pour nous abreuver nous en pressons le jus ; 12
Pour les mortes saisons, nous mettons en réserve 12
Ceux que le soleil sèche et que le temps conserve ; 12
A chaque invention de l'un, l'autre applaudit ; 12
550 On prévoit, on combine, on se trompe et l'on rit ; 12
Dans ces mille entretiens le long soir se consume ; 12
Sur le foyer dormant le dernier tison fume, 12
Et souvent dans le lac, miroir de notre huit, 12
Nous voyons se lever l'étoile de minuit ; 12
555 Alors nous nous mettons à genoux sur la pierre, 12
Vers la fenêtre où flotte un reste de lumière, 12
D'où Laurence inclinant son front grave et pieux, 12
Sur la croix du tombeau jette souvent les yeux ; 12
Et quand après avoir béni cette journée, 12
560 Que nous rendons à Dieu comme il nous l'a donnée, 12
Après avoir prié pour que d'autres soleils 12
Nous ramènent demain, toujours, des jours pareils ; 12
Après avoir offert nos vœux pour ceux qui vivent, 12
Au souvenir des morts nos prières arrivent ; 12
565 Laurence, en répondant aux versets, bien des fois 12
A, malgré ses efforts, des larmes dans sa voix, 12
Et de ses pleurs de fils, non encore épuisées, 12
Ses mains jointes après sont souvent arrosées. 12
Ainsi finit le jour, et puis chacun en paix 12
570 Va s'endormir couché sur son feuillage épais, 12
Jusqu'à ce que la voix du premier qui s'éveille 12
Vienne avec l'alouette enchanter son oreille. 12
Depuis que sa douleur par le temps s'engourdit, 12
Comme Laurence est fier et beau ! comme il grandit ! 12
575 Par moment, quand sur moi son visage rayonne, 12
La splendeur de son front m'éblouit et m'étonne ; 12
Je ne puis soutenir l'éclat de sa beauté, 12
Et quand dans son regard le mien tombe arrêté, 12
Je crois sentir en moi parfois ce qu'éprouvèrent, 12
580 Près du sacré tombeau, les femmes qui trouvèrent 12
L'homme assis, qui leur dit : Allez, il n'est plus là ; 12
Quand leur cœur à ces mots en elles se troubla, 12
Et que, croyant parler à l'homme, chose étrange, 12
Leurs regards dessillés s'aperçurent de l'ange !… 12
585 Ce soir je regardais Laurence à la clarté 12
Du foyer flamboyant sur son front reflété, 12
Pendant qu'assis à terre, il regardait lui-même 12
Jouer entre ses pieds le jeune faon qu'il aime ; 12
Jamais rien de si doux et de si gracieux 12
590 Que la biche et l'enfant ne s'offrit à mes yeux. 12
Repliant ses pieds blancs sous son ventre, la biche, 12
Comme dans l'herbe molle où le jour elle niche, 12
S'arrangeait confiante entre ses deux genoux, 12
Levait sur lui son œil intelligent et doux, 12
595 Broutait entre ses doigts de tendres jets de saule, 12
Allongeait et posait le col sur son épaule, 12
Et me jetant de là son regard triomphant, 12
Léchait et mordillait les cheveux de l'enfant. 12
L'enfant ! je ne puis plus nommer ainsi Laurence, 12
600 Ses seize ans l'ont conduit à son adolescence, 12
Son front s'élève presque à la hauteur du mien, 12
A la course, mon pied, gagne à peine le sien ; 12
Seulement sa voix tendre, angélique, argentine, 12
Conserve encor l'accent de sa voix enfantine, 12
605 Et ses inflexions, vibrantes de douceur, 12
Me font rêver souvent à la voix de ma sœur ; 12
Alors, pour un instant, mon cœur que ce son frappe, 12
Pour remonter un peu le cours du temps m'échappe, 12
Et me reporte aux jours où ces tendres accens 12
610 De femmes, mère ou sœur, résonnaient à mes sens, 12
Et donnant tant de charme au foyer domestique, 12
De mon enfance étaient la suave musique ; 12
Je les cherche, mon cœur des absens s'entretient ; 12
Des larmes dans mes yeux montent ; Laurence vient, 12
615 S'assied à mes genoux, me regarde en silence, 12
Me demande pourquoi je pleure, à qui je pense ? 12
Je lui dis mon enfance, il pleure en m'écoutant : 12
« Comme ils t'aimaient, dit-il ! mais moi je t'aime autant ; 12
« Ne suis-je pas pour toi comme un fils de ta mère ? 12
620 « N'as-tu pas remplacé dans mon cœur même un père ? 12
Puis sur la même pierre appuyant nos deux fronts, 12
L'un vis-à-vis de l'autre ensemble nous pleurons. 12
Mais quand à cette voix revenu de mon rêve, 12
Pour m'essuyer les yeux ma tète se relève, 12
625 Que l'ombre de mon front s'éclaire, et que je voi 12
Ce visage charmant, tout en eau devant moi, 12
Se relever aussi, s'éclairer à mesure 12
Comme un miroir vivant de ma propre figure, 12
Comme une ombre animée où tout ce que je sens 12
630 Bat dans un autre cœur, se peint dans d'autres sens ; 12
Quand je pense que Dieu me rend, dans ce seul être, 12
Tous ceux parmi lesquels sa bonté me fit naître, 12
Que ce pauvre orphelin n'a que moi pour appui, 12
Qu'il existe en moi seul comme moi tout en lui, 12
635 Que mon bras est son bras, que ma vie est sa vie, 12
Et que Dieu même a fait l'amitié qui nous lie, 12
Ah ! mes larmes bientôt tarissent, et mon cœur 12
Dans un seul sentiment trouve assez de bonheur ! 12
Beauté ! secret d'en haut, rayon, divin emblème, 12
640 Qui sait d'où tu descends ? qui sait pourquoi l'on t'aime ? 12
Pourquoi l'œil te poursuit, pourquoi le cœur aimant 12
Se précipite à toi comme un fer à l'aimant, 12
D'une invincible étreinte à ton ombre s'attache, 12
S'embrase à ton approche et meurt quand on l'arrache ? 12
645 Soit que, comme un premier ou cinquième élément, 12
Répandue ici-bas et dans le firmament, 12
Sous des aspects divers ta force se dévoile, 12
Attire nos regards aux rayons de l'étoile, 12
Aux mouvemens des mers, à la courbe des cieux, 12
650 Aux flexibles ruisseaux, aux arbres gracieux ; 12
Soit qu'en traits plus parlans sous nos yeux imprimée 12
Et frappant de ton sceau la nature animée, 12
Tu donnes au lion l'effroi de ses regards, 12
Au cheval l'ondoiement de ses longs crins épars, 12
655 A l'aigle l'envergure et l'ombre de ses ailes, 12
Ou leurs enlacemens au cou des tourterelles ; 12
Soit enfin qu'éclatant sur le visage humain, 12
Miroir de ta puissance, abrégé de ta main, 12
Dans les traits, les couleurs dont ta main le décore, 12
660 Au front d'homme ou de femme, où l'on te voit éclore, 12
Tu jettes ce rayon de grade et de fierté 12
Que l'œil ne peut fixer sans en être humecté ; 12
Nul ne sait ton secret, tout subit ton empire ; 12
Toute âme à ton aspect ou s'écrie ou soupire, 12
665 Et cet élan, qui suit ta fascination, 12
Semble de notre instinct la révélation. 12
Qui sait si tu n'es pas en effet quelque image 12
De Dieu même qui perce à travers ce nuage ? 12
Ou si cette âme, à qui ce beau corps fut donné, 12
670 Sur son type divin ne l'a pas façonné ? 12
Sur la beauté suprême, ineffable, infinie, 12
N'en a pas modelé la charmante harmonie ? 12
Ne s'est pas en naissant, par des rapports secrets, 12
Approprié sa forme et composé ses traits ? 12
675 Et dans cette splendeur que la forme révèle, 12
Ne nous dit pas aussi : L'habitante est plus belle ? 12
Nous le saurons un jour, plus tard, plus haut ; pour moi, 12
Dieu seul m'en est témoin et lui seul sait pourquoi ; 12
Mais soit que la beauté brille dans la nature, 12
680 Dans les cieux, dans une herbe, ou sur une figure, 12
Mon cœur né pour l'amour et l'admiration, 12
Y vole de lui seul comme l'œil au rayon, 12
La couve d'un regard, s'y délecte et s'y pose, 12
Et toujours de soi-même y laisse quelque chose, 12
685 Et mon âme allumée y jette tour à tour 12
Une étincelle ou deux de son foyer d'amour. 12
Je me suis reproché souvent ces sympathies, 12
Trop soudaines en moi, trop vivement senties, 12
Ces instincts du coup d'œil, ces premiers mouvemens, 12
690 Qui d'une impression me font des sentimens. 12
Je me suis dit souvent : Dieu peut-être condamne 12
Ces penchans où du cœur la flamme se profane ; 12
Mais, hélas ! malgré nous l'œil se tourne au flambeau ; 12
Est-ce un crime, ô mon Dieu, de trop aimer le beau ? 12
695 Ces pensers, car toujours c'est à lui que je pense, 12
Me vinrent l'autre jour en regardant Laurence. 12
Jamais la main de Dieu sur un front de quinze ans 12
N'imprima l'âme humaine en traits plus séduisans, 12
Et de plus de beautés combinant le mélange, 12
700 Ne laissa l'œil douter entre l'enfant et l'ange ; 12
Tout ce qu'à son matin l'âme a de pureté, 12
Tout ce qu'un œil sans tache a de limpidité, 12
Tout ce qu'à son aurore une vie a d'ivresse, 12
Tout ce qu'un cœur plus mûr a de grave tendresse, 12
705 Réuni dans ses traits rians ou sérieux, 12
Y forme dans l'accord un tout harmonieux, 12
Et selon le rayon que la pensée y verse, 12
L'ombre qui les parcourt, l'éclair qui les traverse, 12
Y brille dans ses yeux en rayon de splendeur, 12
710 Y rougit sur sa joue en rose de candeur, 12
Y flotte à sa paupière en larme transparente, 12
Y nage en ses regards en rêverie errante, 12
S'y creuse en plis pensifs entre ses deux sourcils, 12
S'y recueille caché sous le bord de ses cils, 12
715 Sur sa lèvre entr'ouverte en désir vague aspire, 12
Ou s'épand sur sa bouche en langoureux sourire ; 12
Partout où l'enfant passe, on dirait qu'il a lui ; 12
Un jour intérieur semble sortir de lui ; 12
Bien souvent, sur la fin d'un jour mourant et sombre, 12
720 Lorsque la grotte et moi, tout est déjà dans l'ombre, 12
Autour de sa figure il fait encor grand jour ; 12
Son éclat se reflète aux objets d'alentour ; 12
Il éclaire la nuit d'un reste de lumière, 12
Et son regard me force à baisser la paupière ; 12
725 On dirait ces rayons du jour dont Raphaël 12
A couronné le front de ses vierges du ciel. 12
Peut-être que ce jour n'était pas un symbole, 12
Et que dès ici-bas l'âme a son auréole ? 12
J'ai beau chercher bien loin dans ma mémoire ; rien 12
730 Des visages connus ne rappelle le sien ; 12
Aucun des compagnons de ma première enfance, 12
Des lévites amis de mon adolescence, 12
N'avait ces traits si purs, ce front, cette langueur, 12
Ce son de voix ému qui vibre au fond du cœur, 12
735 Cette peau qu'un sang bleu sous les veines colore, 12
Ce regard qu'on évite et qui vous perce encore, 12
Cet œil noir qui ressemble au firmament obscur, 12
Lorsque l'aube naissante y lutte avec l'azur, 12
Où l'humide rayon de l'âme qu'il dévoile 12
740 Sur un fond ténébreux jaillit comme une étoile ; 12
Ces cheveux dont la soie imite en blonds anneaux 12
Les ondulations et les courbes des eaux ; 12
Il semble, à cette forme où tout est luxe et grâce, 12
Que cet être céleste est né d'une autre race 12
745 Et n'a rien de commun avec ceux d'ici-bas 12
Que ce regard d'ami qui l'attache à mes pas. 12
Et quand sur ses hauteurs, ses beaux pieds sans chaussure, 12
Sa cravate nouée autour de sa ceinture, 12
Dans sa veste sans pli jusqu'au cou boutonné, 12
750 A peine resserrant son sein emprisonné, 12
Son col nu, et portant sa tête avec souplesse 12
Comme un front de coursier qu'on flatte et qu'on caresse, 12
Ses cheveux, que d'un an le fer n'a retranchés, 12
Des deux côtés du col en boucles épanchés, 12
755 Et son front tout baigné de sueur ou de pluie, 12
Renversé vers le ciel pour qu'un rayon l'essuie, 12
Je le vois accourir de loin, et tout à coup 12
Sur un pic du glacier m'apparaître debout ; 12
Je crois voir, tout troublé, la céleste figure, 12
760 Comme un être idéal au-dessus de nature, 12
Se détacher de terre et se transfigurer, 12
Et je suis quelquefois tenté de l'adorer ; 12
Mais de sa douce voix la tendre résonnance 12
Me rappelle à moi-même et me montre Laurence ! 12
765 Des aiguilles de glace où s'éclairent ces monts 12
L'année a pour six mois retiré ses rayons ; 12
Le soleil est noyé dans la mer de nuages 12
Qui brise jour et nuit contre ces hautes plages, 12
Et jette au lieu d'écume, à leur cime, à leurs flancs, 12
770 La neige que la bise y fouette en flocons blancs. 12
Le jour n'a qu'un rayon brisé par les tempêtes, 12
Qui s'étend un moment tout trempé sur ces faîtes, 12
Et que l'ombre qui court vient soudain balayer, 12
Comme le vent la feuille au pied du peuplier. 12
775 Il semble que de Dieu la dernière colère 12
Abandonne au chaos ces cimes de la terre ; 12
L'éternel ouragan torture ces sommets, 12
Les vagues de brouillards n'y reposent jamais ; 12
Un sourd mugissement, qu'une plainte accompagne, 12
780 Roule dans l'air et sort des os de la montagne ; 12
C'est la lutte des vents dans le ciel ; c'est le choc 12
Des nuages jetés contre l'écueil du roc ; 12
C'est l'âpre craquement de la branche flétrie 12
Qui sous les lourds glaçons se tord, éclate et crie ; 12
785 Du corbeau qui s'abat l'aigre croassement ; 12
Des autans engouffrés le triste sifflement ; 12
Les bonds irréguliers de la lourde avalanche 12
Qui tombe, et que le vent roule en poussière blanche ; 12
L'éternel contre-coup des chutes des torrens 12
790 Qui sillonnent les rocs sous leurs bonds déchirans, 12
Et font ronfler le gouffre où la cascade tonne 12
D'un souffle souterrain continu, monotone, 12
Tout semblable de loin aux frémissemens sourds 12
De la corde d'un arc qui vibrerait toujours. 12
795 Plus de fêtes du ciel sur ces cimes voilées, 12
D'aurore étincelante ou de nuits étoilées ; 12
Plus de festons de fleurs pendans à mon rocher ; 12
Plus d'oiseaux accourus pour chanter ou nicher ; 12
La corneille égarée y suit ses noires bandes ; 12
800 Les frimas congelés sont les seules guirlandes 12
Qui garnissent la roche où nous nous enfonçons ; 12
Le jour ne nous y vient qu'à travers les glaçons ; 12
Mais dans l'air tiède assis, les deux mains sur la braise, 12
Aux lueurs du foyer qu'entretient le mélèze, 12
805 Nous passons sans ennui le temps des mauvais jours ; 12
Ils sont si bien remplis que nous les trouvons courts ; 12
Des entretiens coupés de quelque heure d'étude 12
Nous font de notre grotte une douce habitude ; 12
Nous nous y recueillons avec la volupté 12
810 De l'oiseau dans son nid près de l'antre abrité, 12
Que sous un ciel de pluie ou sur la plaine blanche 12
Le vain courroux des vents berce au chaud sur sa branche ; 12
Plus les vents déchaînés hurlent d'horribles cris, 12
Plus l'avalanche gronde et roule de débris, 12
815 Plus la nuit s'épaissit sous un ciel bas et terne, 12
Plus la neige s'entasse autour de la caverne, 12
Plus dans ces sifflemens, ces terreurs du dehors, 12
Nous trouvons d'âpre joie et d'intimes transports ; 12
Plus nous nous concentrons dans la roche qui tremble, 12
820 Et nous sentons la main de Dieu qui nous rassemble ; 12
Et si d'un ciel d'hiver quelque rare soleil 12
Effleure par hasard la fenêtre au réveil, 12
Échappés du rocher comme un chevreuil du gite, 12
Pour jouir du rayon nous nous élançons vite ; 12
825 Nous crions de plaisir en voyant les cristaux 12
Formant des murs, des tours, de transparais châteaux, 12
Des arches de saphir, des grottes où l'aurore 12
Des verts reflets de l'onde en passant se colore, 12
Des troncs éblouissans où le givre entassé 12
830 Colle autour des rameaux un feuillage glacé, 12
Et la neige sans borne et dont chaque parcelle, 12
En criant sous nos pieds, luit comme une étincelle. 12
Dans ces déserts mouvans, nous creusons au hasard 12
Des sentiers dont la poudre éblouit le regard, 12
835 Comme dans l'herbe en fleurs où le chevreau se noie, 12
Dans ces lits de frissons nous nous roulons de joie ; 12
Nous rions en voyant tous deux nos cheveux blancs, 12
Poudrés par les frimas, de givre ruisselans ; 12
Nous nous lançons la neige où nos doigts s'engourdissent ; 12
840 De plaisir, en rentrant, nos pieds transis bondissent ; 12
Car Dieu, qui nous confine en ce rude séjour, 12
Donne même en hiver sa joie à chaque jour. 12
La nuit, quand par hasard je m'éveille, et je pense 12
Que dehors et dedans tout est calme et silence, 12
845 Et qu'oubliant Laurence auprès de moi dormant, 12
Mon cœur mal éveillé se croit seul un moment ; 12
Si j'entends tout à coup son souffle qui s'exhale, 12
Régulier, de son sein sortir à brise égale, 12
Ce souffle harmonieux d'un enfant endormi ! 12
850 Sur un coude appuyé je me lève à demi, 12
Comme au chevet d'un fils une mère qui veille ; 12
Cette haleine de paix rassure mon oreille ; 12
Je bénis Dieu tout bas de m'avoir accordé 12
Cet ange que je garde et dont je suis gardé ; 12
855 Je sens aux voluptés dont ces heures sont pleines, 12
Que mon âme respire et vit dans deux haleines ; 12
Quelle musique aurait pour moi de tels accords ? 12
Je l'écoute longtemps dormir, et me rendors ! 12
Que rendrai-je au Seigneur pour les biens qu'il me donne ? 12
860 Tandis que sous nos pieds la tempête résonne, 12
Que le jour verse au jour des larmes et du sang, 12
L'inaltérable paix sur ces hauts lieux descend, 12
Et la tendre amitié, qui hait la multitude, 12
Nous fait un univers de notre solitude. 12
865 Que cet enfant s'attache à mon ombre, et combien 12
Son cœur à son insu se mêle avec le mien ! 12
Oh ! qui pourra jamais démêler ces deux âmes 12
Que la terre et le ciel joignent par tant de trames ? 12
L'un de l'autre il serait plus aisé d'arracher 12
870 Ces deux hêtres jumeaux qu'un nœud semble attacher, 12
Et qui de jour en jour s'enlaçant avec force, 12
Croissent du même tronc et sous la même écorce ! 12
Mais les comparaisons manquent ; je me souvien 12
D'avoir eu pour ami, dans mon enfance, un chien, 12
875 Une levrette blanche, au museau de gazelle, 12
Au poil ondé de soie, au cou de tourterelle, 12
A l'œil profond et doux comme un regard humain ; 12
Elle n'avait jamais mangé que dans ma main, 12
Répondu qu'à ma voix, couru que sur ma trace, 12
880 Dormi que sur mes pieds, ni flairé que ma place ; 12
Quand je sortais tout seul et qu'elle demeurait, 12
Tout le temps que j'étais dehors, elle pleurait ; 12
Pour me voir de plus loin aller ou reparaître, 12
Elle sautait d'un bond au bord de ma fenêtre, 12
885 Et les deux pieds collés contre les froids carreaux 12
Regardait tout le jour à travers les vitraux, 12
Ou parcourant ma chambre, elle y cherchait encore 12
La trace, l'ombre au moins du maître qu'elle adore, 12
Le dernier vêtement dont je m'étais couvert, 12
890 Ma plume, mon manteau, mon livre encore ouvert, 12
Et l'oreille dressée au vent pour mieux m'entendre, 12
Se couchant à côté, passait l'heure à m'attendre ; 12
Dès que sur l'escalier mon pas retentissait 12
Le fidèle animal à mon bruit s'élançait, 12
895 Se jetait sur mes pieds comme sur une proie, 12
M'enfermait en courant dans des cercles de joie, 12
Me suivait dans la chambre au pied de mon fauteuil, 12
Paraissant endormi me surveillait de l'œil ; 12
Là, le son de ma voix, la plainte inachevée, 12
900 Ma respiration plus ou moins élevée, 12
Le moindre mouvement du pied sur le tapis, 12
Le clignement des yeux sur le livre assoupis, 12
Le froissement léger du doigt entre la page, 12
Une ombre, un vague éclair passant sur mon visage, 12
905 Semblaient dans son sommeil passer et rejaillir, 12
D'un contre-coup soudain la faisaient tressaillir : 12
Ma joie ou ma tristesse en son œil retracée 12
N'était qu'un seul rayon d'une double pensée ; 12
Elle mourut, encor son bel œil sur le mien. 12
910 Que de pleurs je versai ! Je l'aimais tant ! Eh bien, 12
Quoique ma plume tremble, en glissant sur la page, 12
De ternir dans mon cœur l'amitié par l'image, 12
Que de l'âme à l'instinct toute comparaison 12
Profane la nature, et mente à la raison, 12
915 Ce charmant souvenir de mon heureuse enfance 12
Me revient dans le cœur quand je songe à Laurence. 12
Cet ami de ma race à présent m'aime autant ; 12
Il ne peut plus de moi se passer un instant, 12
Il s'attriste, il languit pour une heure d'absence, 12
920 Il marche quand je marche, il pense quand je pense ; 12
Son regard suit le mien, comme si de nos cœurs 12
Le rayon ne pouvait se diriger ailleurs ; 12
Comme mon pauvre chien ou comme l'hirondelle 12
Qui ne s'alarme plus de nous voir autour d'elle, 12
925 Il s'est apprivoisé pas à pas, jour à jour, 12
Il boude à mon départ, il saute à mon retour ; 12
Mais pour toute autre voix, pour tout autre visage, 12
Cet enfant du désert redeviendrait sauvage. 12
Oh ! qui n'aimerait pas ce qui nous aime ainsi ? 12
930 Qui pourrait égaler ce que je trouve ici ? 12
Que manque-t-il au cœur nourri de ces tendresses ? 12
Mon Dieu ! vos dons toujours dépassent vos promesses ! 12
Et dans mon plus beau rêve autrefois d'amitié, 12
Mon cœur n'en avait pas deviné la moitié ! 12
Le manuscrit était déchiré à cette place, et il manquait un certain nombre de feuilles. On peut présumer par ce qui suit que Jocelyn avait continué à noter les mêmes sentimens et les mêmes circonstances de sa vie heureuse pendant ces mois de solitude.
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