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LAM_7/LAM96
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE PREMIER
HARMONIE VIII
HYMNE DU SOIR DANS LES TEMPLES
A MADAME LA PRINCESSE ALDOBRANDINI BORGHÈSE
Salut, ô sacrés tabernacles, 8
Où tu descends, Seigneur, à la voix d'un mortel ! 12
Salut, mystérieux autel, 8
Où la foi vient chercher et son pain immortel, 12
5 Et tes silencieux oracles ! 8
Quand la dernière heure des jours 8
A gémi dans tes vastes tours, 8
Quand son dernier rayon fuit et meurt dans le dôme 12
Quand la veuve, tenant son enfant par la main, 12
10 A pleuré sur la pierre et repris son chemin 12
Comme un silencieux fantôme ; 8
Quand de l'orgue lointain l'insensible soupir 12
Avec le jour aussi semble enfin s'assoupir, 12
Pour s'éveiller avec l'aurore ; 8
15 Que la nef est déserte, et que, d'un pas tardif, 12
Aux lampes du saint lieu le lévite attentif, 12
A peine la traverse encore, 8
Voici l'heure où je viens, à la chute des jours. 12
Me glisser sous ta voûte obscure, 8
20 Et chercher, au moment où s'endort la nature. 12
Celui qui veille toujours ! 7
Vous qui voilez les saints asiles, 8
Où mes yeux n'osent pénétrer, 8
Au pied de vos troncs immobiles, 8
25 Colonnes, je viens soupirer. 8
Versez sur moi, versez vos ombres, 8
Rendez les ténèbres plus sombres 8
Et le silence plus épais ! 8
Forêts de marbre et de porphyre. 8
30 L'air qu'à vos pieds l'âme respire 8
Est plein de mystère et de paix ! 8
Que l'amour et l'inquiétude, 8
Égarant leurs ennuis secrets, 8
Cherchent l'ombre et la solitude 8
35 Sous les verts abris des forêts ! 8
O ténèbres du sanctuaire, 8
L'œil religieux vous préfère 8
Au bois par la brise agité ; 8
Rien ne change votre feuillage, 8
40 Votre ombre immobile est l'image 8
De l'immobile éternité ! 8
Le cœur brisé par la souffrance, 8
Las des promesses des mortels, 8
S'obstine, et poursuit l'espérance 8
45 Jusqu'aux pieds des sacrés autels ! 8
Le flot du temps mugit et passe. 8
L'homme passager vous embrasse 8
Comme un pilote anéanti, 8
Battu par la vague écumante, 8
50 Embrasse au sein de la tourmente 8
Le mât du navire englouti ! 8
Où sont, colonnes éternelles, 8
Les mains qui taillèrent vos flancs ? 8
Caveaux, répondez ! où sont-elles ? 8
55 Poussière abandonnée aux vents ; 8
Nos mains qui façonnent la pierre 8
Tombent avec elle en poussière. 8
Et l'homme n'en est point jaloux ! 8
Il meurt, mais sa sainte pensée 8
60 Anime la pierre glacée. 8
Et s'élève au ciel avec vous. 8
Les forum, les palais s'écroulent, 8
Le temps les ronge avec mépris, 8
Le pied des passants qui les foulent 8
65 Écarte au hasard leurs débris ; 8
Mais sitôt que le bloc de pierre, 8
Sorti des flancs de la carrière, 8
Seigneur ! pour ton temple est sculpté, 8
Il est à loi ! Ton ombre imprime 8
70 A nos œuvres le sceau sublime 8
De ta propre immortalité ! 8
Le bruit de la foudre qui gronde 8
Et s'éloigne en baissant la voix, 8
Le sifflement des vents sur l'onde, 8
75 Les sourds gémissements des bois, 8
La bouche qui vomit la bombe, 8
Le bruit du fleuve entier qui tombe 8
Dans un abîme avec ses eaux, 8
Sont moins majestueux encore 8
80 Qu'un peuple qui chante et t'adore 8
Sous tes mélodieux arceaux ! 8
Quand l'hymne enflammé, qui s'élance 8
De mille bouches à la fois, 8
De ton majestueux silence 8
85 Jaillit comme une seule voix ; 8
Plus fort que le char des tempêtes, 8
Quand le chant divin des prophètes 8
Roule avec les flots de l'encens, 8
N'entends-tu pas les vieux portiques, 8
90 Les tombeaux, les siècles antiques, 8
Mêler une âme à nos accents ? 8
Seigneur ! j'aimais jadis à répandre mon âme 12
Sur les cimes des monts, dans la nuit des déserts, 12
Sur recueil où mugit la voix des vastes mers, 12
95 En présence du ciel et des globes de flamme, 12
Dont les feux pâlissants semaient les champs des airs ! 12
Il me semblait, mon Dieu, que mon âme oppressée 12
Devant l'immensité, s'agrandissait en moi, 12
Et sur les vents, les flots, ou les feux élancée, 12
100 De pensée en pensée, 6
Allait se perdre en toi ! 6
Je cherchais à monter, mais tu daignais descendre ! 12
Ah ! ton ouvrage a-t-il besoin 8
De s'élever si haut, de te chercher si loin ? 12
105 Où n'es-tu pas pour nous entendre ? 8
De ton temple aujourd'hui j'aime l'obscurité, 12
C'est une île de paix sur l'océan du monde, 12
Un phare d'immortalité ! 8
Par la mort et par toi seulement habité, 12
110 On entend de plus loin le flot du temps qui gronde 12
Sur ce seuil de l'éternité ! 8
Il semble que la voix dans les airs égarée, 12
Par cet espace étroit dans ces murs concentrée, 12
A notre âme retentit mieux ! 8
115 Et que les saints échos de la voûte sonore 12
Te portent plus brûlant, avant qu'il s'évapore, 12
Le soupir qui te cherche en montant vers les cieux ! 12
Comme la vague orageuse 7
S'apaise en touchant le bord, 7
120 Comme la nef voyageuse, 7
S'abrite à l'ombre du port ; 7
Comme l'errante hirondelle 7
Fuit sous l'aile maternelle 7
L'œil dévorant du vautour, 7
125 A tes pieds quand elle arrive, 7
L'âme errante et fugitive 7
Se recueille en ton amour ! 7
Tu parles, mon cœur écoute, 7
Je soupire, tu m'entends ; 7
130 Ton œil compte goutte à goutte 7
Les larmes que je répands ; 7
Dans un sublime murmure, 7
Je suis, comme la nature, 7
Sans voix sous ta majesté ; 7
135 Mais je sens, en ta présence, 7
L'heure pleine d'espérance 7
Tomber dans l'éternité ! 7
Qu'importe en quels mots s'exhale 7
L'âme devant son auteur ? 7
140 Est-il une langue égale 7
A l'extase de mon cœur ? 7
Quoi que ma bouche articule, 7
Ce sang pressé qui circule, 7
Ce sein qui respire en toi, 7
145 Ce cœur qui bat et s'élance, 7
Ces yeux baignés, ce silence, 7
Tout parle, tout prie eu moi. 7
Ainsi les vagues palpitent 7
Au lever du roi du jour, 7
150 Ainsi les astres gravitent, 7
Muets de crainte et d'amour ; 7
Ainsi les flammes s'élancent, 7
Ainsi les airs se balancent, 7
Ainsi se meuvent les cieux, 7
155 Ainsi ton tonnerre vole, 7
Et tu comprends sans parole 7
Leur hymne silencieux ! 7
Ah ! Seigneur ! comprends-moi de même ; 8
Entends ce que je n'ai pas dit ; 8
160 Le silence est la voix suprême 8
D'un cœur de ta gloire interdit ! 8
C'est toi ! c'est moi ! je suis ! j'adore ! 8
Le temps, l'espace s'évapore, 8
J'oublie et l'univers et moi ! 8
165 Mais cette ivresse de l'extase, 8
Mais ce feu sacré qui m'embrase, 8
Mais ce poids divin qui m'écrase, 8
C'est toi, mon Dieu, c'est encor toi ! 8
Pourquoi vous fermez-vous, maison de la prière ? 12
170 Est-il une heure, ô Dieu ! dans la nature entière, 12
Où le cœur soit las de prier ? 8
Où l'homme, qu'en ces lieux ta bonté daigne attendre, 12
N'ait devant tes autels un parfum à répandre, 12
Une larme à te confier ? 8
175 Mais c'en est fait, d'un pas que le respect mesure, 12
Je sors du parvis qui murmure ; 8
Je sors, et ton ombre me suit ! 8
Mon pied silencieux se fait entendre à peine, 12
Mon cœur se tait, et mon haleine 8
180 Sur mes lèvres passe sans bruit. 8
Jusqu'au retour de l'aurore 7
Sur mon front je garde encore 7
La majesté du saint lieu ; 7
Et comme après Sina, de toi l'âme encor pleine, 12
185 Ton prophète n'osait descendre dans la plaine, 12
Je crains de profaner par la parole humaine 12
Mes sens encor frappés du souffle de mon Dieu ! 12
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