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LAM_7/LAM91
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE PREMIER
HARMONIE III
HYMNE DU MATIN
Pourquoi bondissez-vous sur la plage écumante, 12
Vagues dont aucun vent n'a creusé les sillons ? 12
Pourquoi secouez-vous votre écume fumante 12
En légers tourbillons ? 6
5 Pourquoi balancez-vous vos fronts que l'aube essuie, 12
Forêts, qui tressaillez avant l'heure du bruit ? 12
Pourquoi de vos rameaux répandez-vous en pluie 12
Ces pleurs silencieux dont vous baigna la nuit ? 12
Pourquoi relevez-vous, ô fleurs, vos pleins calices, 12
10 Comme un front incliné que relève l'amour ? 12
Pourquoi dans l'ombre humide exhaler ces prémices 12
Des parfums qu'aspire le jour ? 8
Ah ! renfermez-les encore, 7
Gardez-les, fleurs que j'adore, 7
15 Pour l'haleine de l'aurore. 7
Pour l'ornement du saint lieu ! 7
Le ciel de pleurs vous inonde, 7
L'œil du matin vous féconde, 7
Vous êtes l'encens du monde 7
20 Qu'il fait remonter à Dieu. 7
Vous qui des ouragans laissiez flotter l'empire. 12
Et dont l'ombre des nuits endormait le courroux 12
Sur l'onde qui gémit, sous l'herbe qui soupire, 12
Aquilons, autans, zéphyre, 7
25 Pourquoi vous éveillez-vous ? 7
Et vous qui reposez sous la feuillée obscure. 12
Qui vous a réveillés dans vos nids de verdure ? 12
Oiseaux des ondes ou des bois, 8
Hôtes des sillons ou des toits. 8
30 Pourquoi confondez-vous vos voix 8
Dans ce vague et confus murmure 8
Qui meurt et renaît à la fois 8
Comme un soupir de la nature ? 8
Voix qui nagez dans le bleu firmament, 10
35 Voix qui roulez sur le flot écumant. 10
Voix qui volez sur les ailes du vent. 10
Chantres des airs que l'instinct seul éveille, 10
Joyeux concerts, léger gazouillement. 10
Plaintes, accords, tendre roucoulement. 10
40 Qui chantez-vous pendant que tout sommeille ? 10
La nuit a-t-elle une oreille 7
Digne de ce chœur charmant ? 7
Attendez que l'ombre meure, 7
Oiseaux, ne chantez qu'à l'heure 7
45 Où l'aube naissante effleure 7
Les neiges du mont lointain. 7
Dans l'hymne de la nature, 7
Seigneur, chaque créature 7
Forme à son heure en mesure 7
50 Un son du concert divin ; 7
Oiseaux, voix céleste et pure, 7
Soyez le premier murmure 7
Que Dieu reçoit du matin. 7
Et moi sur qui la nuit verse un divin dictame, 12
55 Qui sous le poids des jours courbe un front abattu 12
Quel instinct de bonheur me réveille ? mon âme ! 12
Pourquoi me réjouis-tu ? 7
C'est que le ciel s'entr'ouvre ainsi qu'une paupière, 12
Quand des vapeurs des nuits les regards sont couverts ; 12
60 Dans les sentiers de pourpre aux pas du jour ouverts, 12
Les monts, les flots, les déserts 7
Ont pressenti la lumière, 7
Et son axe de flamme, aux bords de sa carrière, 12
Tourne, et creuse déjà son éclatante ornière, 12
65 Sur l'horizon roulant des mers. 8
Chaque être s'écrie : 5
C'est lui, c'est le jour ! 5
C'est lui, c'est la vie ! 5
C'est lui, c'est l'amour ! 5
70 Dans l'ombre assouplie 5
Le ciel se replie 5
Comme un pavillon ; 5
Roulant son image, 5
Le léger nuage 5
75 Monte, flotte et nage 5
Dans son tourbillon ; 5
La nue orageuse 5
Se fend et lui creuse 5
Sa pourpre écumeuse 5
80 En brillant sillon ; 5
Il avance, il foule 5
Ce chaos qui roule 5
Ses flots égarés ; 5
L'espace étincelle, 5
85 La flamme ruisselle 5
Sous ses pieds sacrés ; 5
La terre encor sombre 5
Lui tourne dans l'ombre 5
Ses flancs altérés ; 5
90 L'ombre est adoucie, 5
Les flots éclairés ; 5
Des monts colorés 5
La cime est jaunie ; 5
Des rayons dorés 5
95 Tout reçoit la pluie ; 5
Tout vit, tout s'écrie : 5
C'est lui, c'est le jour ! 5
C'est lui, c'est la vie ! 5
C'est lui, c'est l'amour ! 5
100 O Dieu, vois dans les airs ! l'aigle éperdu s'élance 12
Dans l'abîme éclatant des cieux ; 8
Sous les vagues de feu que bat son aile immense, 12
Il lutte avec les vents, il plane, il se balance ; 12
L'écume du soleil l'enveloppe à nos yeux : 12
105 Est-il allé porter jusques en la présence 12
Des airs dont il est roi le sublime silence 12
Ou l'hommage mystérieux ? 8
O Dieu, vois sur les mers ! le regard de l'aurore 12
Enfle le sein dormant de l'Océan sonore, 12
110 Qui, comme un cœur d'amour ou de joie oppressé, 12
Presse le mouvement de son flot cadencé, 12
Et dans ses lames garde encore 8
Le sombre azur du ciel que la nuit a laissé ; 12
Comme un léger sillon qui se creuse et frissonne 12
115 Dans un champ où la brise a balancé l'épi, 12
Un flot naît d'une ride ; il murmure, il sillonne 12
L'azur muet encor de l'abîme assoupi ; 12
Il roule sur lui-même, il s'allonge, il s'abîme ; 12
Le regard le perd un moment : 8
120 Où va-t-il ? Il revient revomi par l'abîme, 12
Il dresse en mugissant sa bouillonnante cime, 12
Le jour semble rouler sur son dos écumant. 12
Il entraîne en passant les vagues qu'il écrase ; 12
S'enfle de leur débris et bondit sur sa base ; 12
125 Puis enfin chancelant comme une vaste tour, 12
Ou comme un char fumant brisé dans la carrière, 12
Il croule, et sa poussière 6
En flocons de lumière 6
Roule et disperse au loin tous ces fragments du jour 12
130 La barque du pêcheur tend son aile sonore 12
Où le vent du matin vient déjà palpiter. 12
Et bondit sur les flots que l'ancre va quitter ; 12
Pareille au coursier qui dévore 8
Le frein qui semble l'irriter ! 8
135 Le navire, enfant des étoiles, 8
Luit comme une colline aux bords de l'horizon, 12
Et réfléchit déjà dans ses plus hautes voiles 12
La blancheur de l'aurore et son premier rayon. 12
Léviathan bondit sur ses traces profondes, 12
140 Et des flots par ses jeux saluant le réveil, 12
De ses naseaux fumants il lance au ciel les ondes 12
Pour les voir retomber en rayons du soleil. 12
L'eau berce, le mât secoue 7
La tente des matelots ; 7
145 L'air siffle, le ciel se joue 7
Dans la crinière des flots : 7
Partout l'écume brillante 7
D'une frange étincelante 7
Ceint le bord des flots amers : 7
150 Tout est bruit, lumière et joie, 7
C'est l'astre que Dieu renvoie. 7
C'est l'aurore sur les mers. 7
O Dieu, vois sur la terre ! Un pâle crépuscule 12
Teint son voile flottant par la brise essuyé. 12
155 Sur les pas de la nuit l'aube pose son pié. 12
L'ombre des monts lointains se déroule et recule 12
Comme un vêtement replié. 8
Ses lambeaux déchirés par l'aile de l'aurore 12
Flottent livrés aux vents dans l'orient vermeil, 12
160 La pourpre les enflamme et l'iris les colore ; 12
Ils pendent en désordre aux tentes du soleil, 12
Comme des pavillons quand une flotte arbore 12
Les couleurs de son roi dans les jours d'appareil. 12
Sous des nuages de fumée, 8
165 Le rayon va pâlir sur les tours des cités, 12
Et sous l'ombre des bois les hameaux abrités, 12
Ces toits par l'innocence et la paix habités. 12
Sur la colline embaumée, 7
De jour et d'ombre semée, 7
170 Font rejaillir au loin leurs flottantes clartés. 12
Le laboureur répond au taureau qui l'appelle, 12
L'aurore les ramène au sillon commencé, 12
Il conduit en chantant le couple qu'il attelle. 12
Le vallon retentit sous le soc renversé ; 12
175 Au gémissement de la roue 8
Il mesure ses pas et son chant cadencé, 12
Sur sa trace en glanant le passereau se joue, 12
Et le chêne à sa voix secoue 8
Le baume des sillons que la nuit a versé. 12
180 L'oiseau chante, l'agneau bêle, 7
L'enfant gazouille au berceau, 7
La voix de l'homme se mêle 7
Au bruit des vents et de l'eau. 7
L'air frémit, l'épi frissonne, 7
185 L'insecte au soleil bourdonne, 7
L'airain pieux qui résonne 7
Rappelle au Dieu qui le donne 7
Ce premier soupir du jour ; 7
Tout vit, tout luit, tout remue, 7
190 C'est l'aurore dans la nue. 7
C'est la terre qui salue 7
L'astre de vie et d'amour ! 7
Mais tandis, ô mon Dieu, qu'aux yeux de ton aurore 12
Un nouvel univers chaque jour semble éclore, 12
195 Et qu'un soleil flottant dans l'abîme lointain 12
Fait remonter vers toi les parfums du matin, 12
D'autres soleils cachés par la nuit des distances, 12
Qu'à chaque instant là-haut tu produis et tu lances, 12
Vont porter dans l'espace à leurs planètes d'or 12
200 Des matins plus brillants et plus sereins encor. 12
Oui, l'heure où l'on t'adore est ton heure éternelle ; 12
Oui, chaque point des cieux pour toi la renouvelle, 12
Et ces astres sans nombre épars au sein des nuits 12
N'ont été par ton souffle allumés et conduits 12
205 Qu'afin d'aller. Seigneur, autour de tes demeures, 12
L'un l'autre se porter la plus belle des heures, 12
Et te faire bénir par l'aurore des jours. 12
Ici, là-haut, sans cesse, à jamais et toujours. 12
Oui, sans cesse un monde se noie 8
210 Dans les feux d'un nouveau soleil. 8
Les cieux sont toujours dans la joie ; 8
Toujours un astre a son réveil. 8
Partout où s'abaisse ta vue 8
Un soleil levant te salue. 8
215 Les cieux sont un hymne sans fin ! 8
Et des temps que tu fais éclore. 8
Chaque heure, ô Dieu, n'est qu'une aurore, 8
Et l'éternité qu'un matin ! 8
Montez donc, flottez donc, roulez, volez, vents, flamme, 12
220 Oiseaux, vagues, rayons, vapeurs, parfums et voix ! 12
Terre, exhale ton souffle ; homme, élève ton âme ! 12
Montez, flottez, roulez, accomplissez vos lois ! 12
Montez, volez à Dieu ; plus haut, plus haut encore : 12
Dans les feux du soleil sa splendeur vous a lui ; 12
225 Reportez dans les cieux l'hommage de l'aurore, 12
Montez, il est là-haut ; descendez, tout est lui ! 12
Et toi, jour, dont son nom a commencé la course. 12
Jour qui dois rendre compte au Dieu qui t'a compté, 12
La nuit qui t'enfanta le rappelle à ta source, 12
230 Tu finis dans l'éternité. 8
Tu n'es qu'un pas du temps, mais ton Dieu te mesure ; 12
Tu dois de son auteur rapprocher la nature ; 12
Il ne t'a point créé comme un vain ornement, 12
Pour semer de tes feux la nuit du firmament. 12
235 Mais pour lui rapporter, aux célestes demeures, 12
La gloire et la vertu sur les ailes des heures, 12
Et la louange à tout moment ! 8
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