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LAM_7/LAM89
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE PREMIER
HARMONIE I
INVOCATION
Toi qui donnas sa voix à l'oiseau de l'aurore, 12
Pour chanter dans le ciel l'hymne naissant du jour ; 12
Toi qui donnas son âme et son gosier sonore 12
A l'oiseau que le soir entend gémir d'amour ; 12
5 Toi qui dis aux forêts : Répondez au zéphyre ! 12
Aux ruisseaux : Murmurez d'harmonieux accords ; 12
Aux torrents : Mugissez ; à la brise : Soupire ! 12
A l'Océan : Gémis en mourant sur tes bords ! 12
Et moi, Seigneur, aussi, pour chanter tes merveilles. 12
10 Tu m'as donné dans l'âme une seconde voix 12
Plus pure que la voix qui parle à nos oreilles, 12
Plus forte que les vents, les ondes et les bois ! 12
Les cieux l'appellent Grâce, et les hommes Génie ; 12
C'est un souffle affaibli des bardes d'Israël, 12
15 Un écho dans mon sein, qui change en harmonie 12
Le retentissement de ce monde mortel ! 12
Mais c'est surtout ton nom, ô roi de la nature ! 12
Qui fait vibrer en moi cet instrument divin ; 12
Quand j'invoque ce nom, mon cœur plein de murmure 12
20 Résonne comme un temple où l'on chante sans fin ! 12
Comme un temple rempli de voix et de prières, 12
Où d'échos en échos le son roule aux autels ; 12
Eh quoi ! Seigneur, ce bronze, et ce marbre, et ces pierres 12
Retentiraient-ils mieux que le cœur des mortels ? 12
25 Non, mon Dieu, non, mon Dieu, grâce à mon saint partage. 12
Je n'ai point entendu monter jamais vers toi 12
D'accords plus pénétrants, de plus divin langage, 12
Que ces concerts muets qui s'élèvent en moi ! 12
Mais la parole manque à ce brûlant délire. 12
30 Pour contenir ce feu tous les mots sont glacés ; 12
Eh ! qu'importe, Seigneur, la parole à ma lyre ? 12
Je l'entends, il suffit ; tu réponds, c'est assez ! 12
Don sacré du Dieu qui m'enflamme, 8
Harpe qui fais trembler mes doigts, 8
35 Sois toujours le cri de mon âme, 8
A Dieu seul rapporte ma voix : 8
Je frémis d'amour et de crainte 8
Quand, pour toucher ta corde sainte, 8
Son esprit daigna me choisir ! 8
40 Moi, devant lui moins que poussière, 8
Moi, dont jusqu'alors l'âme entière 8
N'était que silence et désir ! 8
Hélas ! et j'en rougis encore, 8
Ingrat au plus beau de ses dons, 8
45 Harpe que l'ange même adore, 8
Je profanai tes premiers sons ; 8
Je fis ce que ferait l'impie, 8
Si ses mains, sur l'autel de vie, 8
Abusaient des vases divins, 8
50 Et s'il couronnait le calice, 8
Le calice du sacrifice, 8
Avec les roses des festins ! 8
Mais, j'en jure par celte honte 8
Dont rougit mon front confondu. 8
55 Et par cet hymne qui remonte 8
Au ciel dont il est descendu ! 8
J'en jure par ce nom sublime 8
Qui ferme et qui rouvre l'abîme, 8
Par l'œil qui lit au fond des cœurs, 8
60 Par ce feu sacré qui m'embrase. 8
Et par ces transports de l'extase 8
Qui trempent tes cordes de pleurs ! 8
De tes accents mortels j'ai perdu la mémoire. 12
Nous ne chanterons plus qu'une éternelle gloire 12
65 Au seul digne, au seul saint, au seul grand, au seul bon ; 12
Mes jours ne seront plus qu'un éternel délire, 12
Mon âme qu'un cantique, et mon cœur qu'une lyre, 12
Et chaque souffle enfin que j'exhale ou j'aspire, 12
Un accord à ton nom ! 6
70 Élevez-vous, voix de mon âme, 8
Avec l'aurore, avec la nuit ! 8
Élancez-vous comme la flamme. 8
Répandez-vous comme le bruit ! 8
Flottez sur l'aile des nuages, 8
75 Mêlez-vous aux vents, aux orages, 8
Au tonnerre, au fracas des flots ; 8
L'homme en vain ferme sa paupière ; 8
L'hymne éternel de la prière 8
Trouvera partout des échos ! 8
80 Ne craignez pas que le murmure 8
De tous ces astres à la fois. 8
Ces mille voix de la nature 8
Étouffent votre faible voix ! 8
Tandis que les sphères mugissent, 8
85 Et que les sept cieux retentissent 8
Des bruits roulants en son honneur, 8
L'humble écho que l'âme réveille 8
Porte en mourant à son oreille 8
La moindre voix qui dit : Seigneur ! 8
90 Élevez-vous dans le silence 8
A l'heure où dans l'ombre du soir 8
La lampe des nuits se balance, 8
Quand le prêtre éteint l'encensoir ; 8
Élevez-vous aux bords des ondes 8
95 Dans ces solitudes profondes 8
Où Dieu se révèle à la foi ! 8
Chantez dans mes heures funèbres : 8
Amour, il n'est point de ténèbres, 8
Point de solitude avec toi ! 8
100 Je ne suis plus qu'une pensée, 8
L'univers est mort dans mon cœur. 8
Et sous cette cendre glacée 8
Je n'ai trouvé que le Seigneur. 8
Qu'il éclaire ou trouble ma voie, 8
105 Mon cœur, dans les pleurs ou la joie, 8
Porte celui dont il est plein ; 8
Ainsi le flot roule une image ; 8
Et des nuits le dernier nuage 8
Porte l'aurore dans son sein. 8
110 Qu'il est doux de voir sa pensée, 8
Avant de chercher ses accents. 8
En mètres divins cadencée, 8
Monter soudain comme l'encens ; 8
De voir ses timides louanges. 8
115 Comme sur la harpe des anges, 8
Éclore en sons dignes des cieux, 8
Et jusqu'aux portes éternelles 8
S'élever sur leurs propres ailes 8
Avec un vol harmonieux ! 8
120 Un jour cependant, ô ma lyre, 8
Un jour assoupira ta voix ! 8
Tu regretteras ce délire 8
Dont tu t'enivrais sous mes doigts : 8
Les ans terniront cette glace 8
125 Où la nature te retrace 8
Les merveilles du Saint des saints ! 8
Le temps, qui flétrit ce qu'il touche, 8
Ravira les sons sur ma bouche, 8
Et les images sous mes mains. 8
130 Tu ne répandras plus mon âme 8
En flots d'harmonie et d'amour, 8
Mais le sentiment qui m'enflamme 8
Survivra jusqu'au dernier jour ; 8
Semblable à ces sommets arides 8
135 Dont l'âge a dépouillé les rides 8
De leur ombre et de leurs échos, 8
Mais qui dans leurs flancs sans verdure 8
Gardent une onde qui murmure 8
Et dont le ciel nourrit les flots. 8
140 Ah ! quand ma fragile mémoire. 8
Comme une urne dont l'onde a fui, 8
Aura perdu ces chants de gloire, 8
Que ton Dieu t'inspire aujourd'hui, 8
De ta défaillante harmonie 8
145 Ne rougis pas, ô mon génie ! 8
Quand ta corde n'aurait qu'un son, 8
Harpe fidèle, chante encore 8
Le Dieu que ma jeunesse adore, 8
Car c'est un hymne que son nom ! 8
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