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LAM_7/LAM129
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE VI
AU ROSSIGNOL
Quand ta voix céleste prélude 8
Aux silences des belles nuits, 8
Barde ailé de ma solitude, 8
Tu ne sais pas que je te suis ! 8
5 Tu ne sais pas que mon oreille. 8
Suspendue à ta douce voix, 8
De l'harmonieuse merveille 8
S'enivre longtemps sous les bois ! 8
Tu ne sais pas que mon haleine 8
10 Sur mes lèvres n'ose passer, 8
Que mon pied muet foule à peine 8
La feuille qu'il craint de froisser ! 8
Et qu'enfin un autre poëte 8
Dont la lyre a moins de secrets, 8
15 Dans son âme envie et répète 8
Ton hymne nocturne aux forêts ! 8
Mais si l'astre des nuits se penche 8
Aux bords des monts pour t'écouter 8
Tu te caches de branche en branche 8
20 Au rayon qui vient y flotter. 8
Et si la source qui repousse 8
L'humble caillou qui l'arrêtait, 8
Élève une voix sous la mousse, 8
La tienne se trouble et se tait ! 8
25 Ah ! ta voix touchante ou sublime 8
Est trop pure pour ce bas lieu ! 8
Celte musique qui t'anime 8
Est un instinct qui monte à Dieu ! 8
Tes gazouillements, ton murmure, 8
30 Sont un mélange harmonieux 8
Des plus doux bruits de la nature, 8
Des plus vagues soupirs des cieux ! 8
Ta voix, qui peut-être s'ignore, 8
Est la voix du bleu firmament. 8
35 De l'arbre, de l'antre sonore, 8
Du vallon sous l'ombre dormant ! 8
Tu prends les sons que lu recueilles 8
Dans les gazouillements des flots. 8
Dans les frémissements des feuilles. 8
40 Dans les bruits mourants des échos. 8
Dans l'eau qui filtre goutte à goutte 8
Du rocher nu dans le bassin, 8
Et qui résonne sous sa voûte 8
En ridant l'azur de son sein ; 8
45 Dans les voluptueuses plaintes 8
Qui sortent la nuit des rameaux, 8
Dans les voix des vagues éteintes 8
Sur le sable ou dans les roseaux ! 8
Et de ces doux sons où se mêle 8
50 L'instinct céleste qui t'instruit, 8
Dieu fit ta voix, ô Philomèle ! 8
Et tu fais ton hymne à la nuit ! 8
Ah ! ces douces scènes nocturnes, 8
Ces pieux mystères du soir, 8
55 Et ces fleurs qui penchent leurs urnes 8
Comme l'urne d'un encensoir. 8
Ces feuilles où tremblent des larmes, 8
Ces fraîches haleines des bois, 8
O nature ! avaient trop de charmes 8
60 Pour n'avoir pas aussi leur voix ! 8
Et cette voix mystérieuse, 8
Qu'écoutent les anges et moi, 8
Ce soupir de la nuit pieuse. 8
Oiseau mélodieux, c'est toi ! 8
65 Oh ! mêle ta voix à la mienne ! 8
La même oreille nous entend ! 8
Mais ta prière aérienne 8
Monte mieux au ciel qui l'attend ! 8
Elle est l'écho d'une nature 8
70 Qui n'est qu'amour et pureté, 8
Le brûlant et divin murmure, 8
L'hymne flottant des nuits d'été ! 8
Et nous, dans cette voix sans charmes, 8
Qui gémit en sortant du cœur, 8
75 On sent toujours trembler des larmes. 8
Ou retentir une douleur ! 8
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