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LAM_7/LAM126
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE III
LA VOIX HUMAINE
A M. de B***.
Oui, je le crois quand je l'écoute, 8
L'harmonie est l'âme des cieux ! 8
Et ces mondes flottants où s'élancent nos yeux 12
Sont suspendus sans chaîne à leur brillante voûte. 12
5 Réglés dans leur mesure et guidés dans leur route 12
Par des accords mélodieux ! 8
L'antiquité l'a dit : et souvent sou génie 12
Entendit dans la nuit leur lointaine harmonie ; 12
Je l'entends près de toi ; ces astres du matin, 12
10 Qui sèment de leurs lis les sentiers de l'aurore, 12
Saturne, enveloppé de son anneau lointain. 12
Vénus, que sous leurs pas les ombres font éclore. 12
Ces phases, ces aspects, ces chœurs, ces nœuds divers, 12
Ces globes attirés, ces sphères cadencées, 12
15 Ces évolutions des soleils dans les airs 12
Sont les notes de feu par Dieu même tracées 12
De ces mystérieux concerts ! 8
Et pourquoi l'harmonie à ces globes de flamme 12
Ne peut-elle imposer ses ravissantes lois ? 12
20 Quand tu peux, à ton gré, d'un accord de ta voix 12
Ralentir ou presser les mouvements de '.'âme. 12
Comme la corde d'or qui vibre sous tes doigts ! 12
Quand tes chants, dans les airs s'exhalant en mesure, 12
Coulent de soupir en soupir. 8
25 Comme des flots brillants d'une urne qui murmure, 12
Sans s'altérer et sans tarir ! 8
Quand tes accords, liés en notes accouplées, 12
Comme une chaîne d'or, par ses chaînons égaux, 12
Se déroulent sans fin en cadences perlées, 12
30 Sans qu'on puisse en briser les flexibles anneaux ; 12
Quand tes accords, vibrés en sons courts et rapides, 12
Tombent de tes lèvres limpides, 8
Comme autant de grains de cristal, 8
Ou comme des perles solides, 8
35 Qui résonnent sur le métal ! 8
Quand l'amour dans ta voix soupire, 8
Quand la haine y gémit des coups qu'elle a frappés. 12
Quand frémit le courroux, quand la langueur expire, 12
Quand la douleur s'y brise en sons entrecoupés, 12
40 Quand ta voix s'amollit et lutte avec la lyre, 12
Ou que l'enthousiasme, empruntant tes accents, 12
Emporte jusqu'aux cieux, sur l'aile du délire ! 12
Mille âmes qui n'ont plus qu'un sens ! 8
Notre oreille enchaînée au son qui la captive, 12
45 Voudrait éterniser la note fugitive ; 12
Et rame palpitante, asservie à tes chants, 12
Cette âme que ta voix possède tout entière, 12
T'obéit comme la poussière 8
Obéit, dans l'orage, aux caprices des vents ! 12
50 Comment l'air modulé par la fibre sonore, 12
Peut-il créer en nous ces sublimes transports ? 12
Pourquoi le cœur suit-il un son qui s'évapore ? 12
Ah ! c'est qu'il est une âme au fond de ces accords ! 12
C'est que cette âme répandue 8
55 Dans chacun des accents par ta voix modulé, 12
Par la voix de nos cœurs est soudain répondue, 12
Avant que le doux son soit encore écoulé ; 12
Et que, semblable au son qui dans un temple éveille 12
Mille échos assoupis qui parlent à la fois, 12
60 Ton âme dont l'écho vibre dans chaque oreille, 12
Va créer une âme pareille 8
Partout où retentit ta voix ! 8
Ah ! quand des nuits d'été l'ombre enfin rembrunie 12
Vient assoupir l'oreille et reposer les yeux, 12
65 Lorsque le rossignol enivré d'harmonie 12
Dort, et rend le silence aux bois mélodieux ; 12
Quand des astres du ciel, seul et fuyant la foule. 12
L'astre qui fait rêver se dégage à demi, 12
Et que l'œil amoureux suit le fleuve qui roule 12
70 Un disque renversé dans son flot endormi ; 12
Viens chanter sous le dôme où le cygne prélude, 12
Tiens chanter aux lueurs des célestes flambeaux, 12
Viens chanter pour la solitude : 8
Consacrés à la nuit, tes chants seront plus beaux ! 12
75 Pour la foule et le jour ta voix est trop sublime^ 12
Réserve à la douleur tes airs les plus touchants, 12
N'exhale qu'à ton Dieu le souffle qui t'anime : 12
La plainte et la prière ont inventé les chants ! 12
A ces sons plus puissants que la froide parole, 12
80 Dans l'œil humide encor tu vois les pleurs tarir, 12
Le regret s'attendrit, la douleur se console, 12
L'espérance descend, l'amertume s'envole, 12
Le cœur longtemps fermé s'ouvre par un soupir ; 12
L'athée A son insu soulève sa paupière, 12
85 La bouche d'où jamais ne jaillit la prière 12
Murmure un nom divin pour la première fois, 12
Et des anges des nuits les voix mystérieuses, 12
Et les brûlants soupirs de ces âmes pieuses 12
Qu'ici-bas de la vie enchaîne encor le poids. 12
90 Sur des ailes mélodieuses 8
Au ciel qu'ouvrent tes chants, montent avec la voix ! 12
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