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LAM_7/LAM119
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE TROISIÈME
HARMONIE VII
LE TOMBEAU D'UNE MÈRE
Un jour, les yeux lassés de veilles et de larmes, 12
Comme un lutteur vaincu prêt à jeter ses armes, 12
Je disais à l'aurore : En vain tu vas briller ; 12
La nature trahit nos yeux par ses merveilles, 12
5 Elle ciel coloré de ses teintes vermeilles 12
Ne sourit que pour nous rallier ! 9
Rien n'est vrai, rien n'est faux ; tout est songe et mensonge ! 12
Illusion du cœur qu'un vain espoir prolonge ! 12
Nos seules vérités, hommes, sont nos douleurs ! 12
10 Cet éclair dans nos yeux que nous nommons la vie, 12
Étincelle dont l'âme est à peine éblouie, 12
Qu'elle va s'allumer ailleurs ! 8
Plus nous ouvrons les yeux, plus la nuit est profonde, 12
Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde, 12
15 Un plus obscur abîme où l'esprit s'est lancé, 12
Et tout flotte et tout tombe ainsi que la poussière 12
Que fait en tourbillons dans l'aride carrière 12
Lever le pied d'un insensé ! 8
Je disais ; et mes yeux voyaient avec envie 12
20 Tout ce qui n'a reçu qu'une insensible vie 12
Et dont nul rêve au moins n'agite le sommeil ; 12
Au sillon, au rocher j'attachais ma paupière, 12
Et ce regard disait : A la brute, à la pierre, 12
Au moins, que ne suis-je pareil ? 8
25 Et ce regard errant comme l'œil du pilote 12
Qui demande sa route à l'abîme qui flotte, 12
S'arrêta tout à coup fixé sur un tombeau ! 12
Tombeau, cher entretien d'une douleur amère. 12
Où le gazon sacré qui recouvre ma mère 12
30 Grandit sous les pleurs du hameau ! 8
Là, quand l'ange voilé sous les traits d'une femme 12
Dans le Dieu sa lumière eut exhalé son âme 12
Comme on souffle une lampe à l'approche du jour ; 12
A l'ombre des autels qu'elle aimait à toute heure. 12
35 Je lui creusai moi-même une étroite demeure, 12
Une porte à l'autre séjour ! 8
Là dort dans son espoir celle dont le sourire 12
Cherchait encor mes yeux à l'heure où tout expire. 12
Ce cœur, source du mien, ce sein qui m'a conçu, 12
40 Ce sein qui m'allaita de lait et de tendresses, 12
Ces bras qui n'ont été qu'un berceau de caresses, 12
Ces lèvres dont j'ai tout reçu ! 8
Là dorment soixante ans d'une seule pensée ! 12
D'une vie à bien faire uniquement passée, 12
45 D'innocence, d'amour, d'espoir, de pureté, 12
Tant d'aspirations vers son Dieu répétées, 12
Tant de foi dans la mort, tant de vertus jetées 12
En gage à l'immortalité ! 8
Tant de nuits sans sommeil pour veiller la souffrance, 12
50 Tant de pain retranché pour nourrir l'indigence, 12
Tant de pleurs toujours prêts à s'unir à des pleurs. 12
Tant de soupirs brûlants vers une autre patrie, 12
Et tant de patience à porter une vie 12
Dont la couronne était ailleurs ! 8
55 Et tout cela pourquoi ? Pour qu'un creux dans le sable 12
Absorbât pour jamais cet être intarissable ! 12
Pour que ces vils sillons en fussent engraissés ! 12
Pour que l'herbe des morts dont sa tombe est couverte 12
Grandît, là, sous mes pieds, plus épaisse et plus verte ! 12
60 Un peu de cendre était assez ! 8
Non, non ; pour éclairer trois pas sur la poussière 12
Dieu n'aurait pas créé cette immense lumière. 12
Cette âme au long regard, à l'héroïque effort ! 12
Sur cette froide pierre en vain le regard tombe, 12
65 O vertu ! ton aspect est plus fort que la tombe, 12
Et plus évident que la mort ! 8
Et mon œil convaincu de ce grand témoignage, 12
Se releva de terre et sortit du nuage, 12
Et mon cœur ténébreux recouvra son flambeau ! 12
70 Heureux l'homme à qui Dieu donne une sainte mère ! 12
En vain la vie est dure et la mort est amère, 12
Qui peut douter sur son tombeau ? 8
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