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LAM_7/LAM112
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE DEUXIÈME
HARMONIE XIII
DÉSIR
Ah ! si j'avais des paroles, 7
Des images, des symboles. 7
Pour peindre ce que je sens ! 7
Si ma langue embarrassée 7
5 Pour révéler ma pensée. 7
Pouvait créer des accents ! 7
Loi sainte et mystérieuse ! 7
Une âme mélodieuse 7
Anime tout l'univers ; 7
10 Chaque être a son harmonie, 7
Chaque étoile son génie. 7
Chaque élément ses concerts. 7
Ils n'ont qu'une voix, mais pure, 7
Forte comme la nature. 7
15 Sublime comme son Dieu, 7
Et quoique toujours la même. 7
Seigneur ! cette voix suprême 7
Se fait entendre en tout lieu. 7
Quand les vents sifflent sur l'onde, 7
20 Quand la mer gémit ou gronde, 7
Quand la foudre retentit, 7
Tout ignorants que nous sommes. 7
Qui de nous, enfants des hommes, 7
Demande ce qu'ils ont dit ? 7
25 L'un a dit : Magnificence ! 7
L'autre : Immensité ! Puissance ! 7
L'autre : Terreur et Courroux ! 7
L'un a fui devant sa face, 7
L'autre a dit : Son ombre passe : 7
30 Cieux et terre, taisez-vous ! 7
Mais l'homme, la créature, 7
Lui qui comprend la nature, 7
Pour parler n'a que des mots. 7
Des mots sans vie et sans aile. 7
35 De sa pensée immortelle 7
Trop périssables échos ! 7
Son âme est comme l'orage 7
Qui gronde dans le nuage 7
Et qui ne peut éclater. 7
40 Comme la vague captive 7
Qui bat et blanchit sa rive 7
Et ne peut la surmonter. 7
Elle s'use et se consume, 7
Comme un aiglon dont la plume 7
45 N'aurait pas encor grandi, 7
Dont l'œil aspire à sa sphère, 7
Et qui rampe sur la terre 7
Comme un reptile engourdi. 7
Ah ! ce qu'aux anges j'envie 7
50 N'est pas l'éternelle vie, 7
Ni leur glorieux destin. 7
C'est la lyre ! c'est l'organe 7
Par qui même un cœur profane 7
Peut chanter l'hymne sans fin. 7
55 Quelque chose en moi soupire, 7
Aussi doux que le zéphyre 7
Que la nuit laisse exhaler. 7
Aussi sublime que l'onde, 7
Ou que la foudre qui gronde ; 7
60 Et mon cœur ne peut parler ! 7
Océan, qui sur tes rives 7
Épands tes vagues plaintives, 7
Rameaux murmurants des bois. 7
Foudre dont la nue est pleine, 7
65 Ruisseaux à la molle haleine, 7
Ah ! si j'avais votre voix ! 7
Si seulement, ô mon âme ! 7
Ce Dieu dont l'amour t'enflamme, 7
Comme le feu, l'aquilon, 7
70 Au zèle ardent qui t'embrase 7
Accordait, dans une extase, 7
Un mot pour dire son nom ! 7
Son nom, tel que la nature 7
Sans paroles le murmure, 7
75 Tel que le savent les cieux ; 7
Ce nom que l'aurore voile, 7
Et dont l'étoile à l'étoile 7
Est l'écho mélodieux. 7
Les ouragans, le tonnerre, 7
80 Les mers, les feux et la terre, 7
Se tairaient pour l'écouter ; 7
Les airs ravis de l'entendre 7
S'arrêteraient pour l'apprendre. 7
Les cieux pour le répéter. 7
85 Ce nom seul, redit sans cesse, 7
Soulèverait ma tristesse 7
Dans ce vallon de douleurs. 7
Et je dirais sans me plaindre : 7
Mon dernier jour peut s'éteindre, 7
90 J'ai dit sa gloire, et je meurs ! 7
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