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LAM_7/LAM110
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE DEUXIÈME
HARMONIE XI
SUITE DE JÉHOVAH
L'IDÉE DE DIEU
Heureux l'œil éclairé de ce jour sans nuage, 12
Qui partout ici-bas le contemple et le lit ! 12
Heureux le cœur épris de cette grande image, 12
Toujours vide et trompé si Dieu ne le remplit ! 12
5 Ah ! pour celui-là seul la nature est sans ombre ! 12
En vain le temps se voile et recule les cieux, 12
Le ciel n'a point d'abîme et le temps point de nombre, 12
Qui le cache à ses yeux ! 6
Pour qui ne l'y voit pas tout est nuit et mystères, 12
10 Cet alphabet de feu dans le ciel répandu 12
Est semblable pour eux à ces vains caractères 12
Dont le sens, s'ils en ont, dans les temps s'est perdu ! 12
Le savant sous ses mains les retourne et les brise 12
Et dit : Ce n'est qu'un jeu d'un art capricieux ; 12
15 Et cent fois en tombant ces lettres qu'il méprise 12
D'elles-même ont écrit le nom mystérieux ! 12
Mais cette langue en vain par les temps égarée, 12
Se lit hier comme aujourd'hui ; 8
Car elle n'a qu'un nom sous sa lettre sacrée : 12
20 Lui seul ! lui partout ! toujours lui ! 8
Qu'il est doux pour l'âme qui pense 8
Et flotte dans l'immensité 8
Entre le doute et l'espérance, 8
La lumière et l'obscurité, 8
25 De voir cette idée éternelle 8
Luire sans cesse au-dessus d'elle, 8
Comme une étoile aux feux constants, 8
La consoler sous ses nuages 8
Et lui montrer les deux rivages 8
30 Blanchis de l'écume du temps ! 8
En vain les vagues des années 8
Roulent dans leur flux et reflux 8
Les croyances abandonnées 8
Et les empires révolus ! 8
35 En vain l'opinion qui lutte 8
Dans son triomphe ou dans sa chute 8
Entraîne un monde à son déclin ; 8
Elle brille sur sa ruine, 8
Et l'histoire qu'elle illumine 8
40 Ravit son mystère au destin ! 8
Elle est la science du sage, 8
Elle est la foi de la vertu ! 8
Le soutien du faible, et le gage 8
Pour qui le juste a combattu ! 8
45 En elle la vie a son juge 8
Et l'infortune son refuge, 8
Et la douleur se réjouit. 8
Unique clef du grand mystère, 8
Ôtez cette idée à la terre 8
50 Et la raison s'évanouit ! 8
Cependant le monde qu'oublie 8
L'âme absorbée en son auteur, 8
Accuse sa foi de folie 8
Et lui reproche son bonheur, 8
55 Pareil à l'oiseau des ténèbres 8
Qui, charmé des lueurs funèbres. 8
Reproche à l'oiseau du matin 8
De croire au jour qui vient d'éclore 8
Et de planer devant l'aurore 8
60 Enivré du rayon divin ! 8
Mais qu'importe à l'âme qu'inonde 8
Ce jour que rien ne peut voiler ! 8
Elle laisse rouler le monde 8
Sans l'entendre et sans s'y mêler ! 8
65 Telle une perle de rosée 8
Que fait jaillir l'onde brisée 8
Sur des rochers retentissants, 8
Y sèche pure et virginale, 8
Et seule dans les cieux s'exhale 8
70 Avec la lumière et l'encens ! 8
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