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LAM_6/LAM88
Alphonse de LAMARTINE
LE CHANT DU SACRE
1825
LE CHANT DU SACRE
ou
LA VEILLE DES ARMES
Orielur in diehus ejus justicia et abundantia pacis
PSALM.
La nuit couvre de Reims l'antique cathédrale ; 12
Mille flambeaux semant la voûte triomphale, 12
De colonne en colonne et d'arceaux en arceaux. 12
Étendent sous la nef leurs lumineux réseaux, 12
5 Et, se réfléchissant sur le. bronze ou la pierre, 12
Font serpenter au loin des ruisseaux de lumière. 12
De soie et de velours les parvis sont tendus ; 12
Les écussons royaux aux piliers suspendus. 12
Flottant par intervalle au souffle de la brise, 12
10 Font de soixante rois ondoyer la devise. 12
L'autel est ombragé d'armes et d'étendards ; 12
Ceux que la Palestine a vus sur ses remparts, 12
Ceux qu'enleva Philippe aux plaines de Bovines, 12
Et ceux qui d'Orléans sauvèrent les ruines. 12
15 Ce panache d'Ivry que fit flotter un roi. 12
Ceux que ravit Condé sous les feux de Rocroi, 12
Ceux enfin qui, guidant les fils de la victoire. 12
Du Tage au Borysthène ont porté notre gloire. 12
Et n'ont rien rapporté de Vienne et d'Austerlitz 12
20 Que cent noms immortels sur leurs lambeaux écrits 12
Noirs, souillés, mutilés, teints de sang et de poudre, 12
Déchirés par le sabre ou percés par la foudre. 12
Pendent du haut des murs ; entre leurs plis mouvants 12
De ce dôme sonore emprisonnent les vents, 12
25 Et semblent murmurer, en roulant sur leur lance : 12
« Voilà l'ombre qui sied au front d'un roi de France ! » 12
🙘🙚
Le temple est vide encore : aux marches de l'autel. 12
Un pontife vêtu de l'éphod solennel 12
Semble attendre le jour, l'heure, l'instant suprême. 12
30 Par la voix de l'airain, frappé dans le ciel même : 12
Cent lévites, couverts de vêtements sacrés. 12
Du brillant sanctuaire entourent les degrés ; 12
Le regard suit au loin leurs onduleuses files ; 12
Debout, l'œil attentif, en silence, immobiles. 12
35 Ils tiennent d'une main les encensoirs flottants, 12
L'autre, pressant la chaîne aux anneaux éclatants. 12
Semble prête à lancer vers la voûte enflammée 12
L'urne, où déjà l'encens monte en flots de fumée. 12
On n'entend aucun bruit sous les divins arceaux 12
40 Qu'un léger cliquetis du fer dans les faisceaux, 12
Ou le tintement sourd des gothiques armures 12
Qui jettent par moments d'aigres et longs murmures. 12
L'ombre déjà blanchit, tout est prêt, qu'attend-on ? — 12
Entendez-vous là-haut rouler ce vaste son, 12
45 Qui, comme un bruit des vents dans des forêts plaintives. 12
Gronde avec majesté d'ogives en ogives. 12
Par les sacrés échos répété douze fois. 12
Du dôme harmonieux fait vibrer les parois. 12
Et, tandis qu'à ses coups la voûte tremble encore, 12
50 Semble sortir du marbre et rendre l'air sonore ? 12
C'est l'airain de la tour qui murmure minuit : 12
Minuit ! l'heure sacrée ! Écoutez ! A ce bruit. 12
Les lourds battants d'airain, brisant leurs gonds antiques, 12
Ouvrent du temple saint les immenses portiques ; 12
55 On entend au dehors l'acier heurter l'acier. 12
Le marbre frissonner sous le fer du coursier. 12
Ou le pas des guerriers, dont le bruit monotone 12
Ébranle, à temps égaux, le caveau qui résonne. 12
Cent chevaliers couverts de l'éclatant cimier 12
60 Entrent. Quel est celui qui marche le premier ? 12
Son port majestueux sur la foule s'élève ; 12
L'or fait étinceler le pommeau de son glaive ; 12
Flottante à son côté, son écharpe à longs plis 12
Balaye en retombant les marches du parvis ; 12
65 De longs éperons d'or embrassent sa chaussure, 12
Et sur l'écu royal qui couvre son armure. 12
Du sanctuaire en feu tout l'éclat reflété 12
Jette au loin sur ses pas des gerbes de clarté. 12
De son casque superbe il lève la visière ; 12
70 Son panache éclatant flotte et penche en arrière. 12
Et laisse contempler au regard enchanté 12
D'un front mâle et serein la douce dignité. 12
Comme un sommet battu des coups de la tempête. 12
Dont les neiges d'automne ont parsemé le faîte, 12
75 Avant les jours d'hiver déjà ses cheveux blancs 12
Ont empreint sur ce front la sainteté des ans, 12
Et leur boucle d'argent, qui s'échappe avec grâce, 12
A son panache blanc se confond et s'enlace ; 12
Son œil superbe et doux brille d'un sombre azur ; 12
80 Son regard élevé, mais franc, sincère et pur. 12
Lançant sous sa visière un long rayon de flamme. 12
Semble à chaque coup d'œil communiquer son âme : 12
Dans ce regard sévère et clément à la fois, 12
La nature avant l'homme avait écrit ses droits ; 12
85 Il semble accoutumé, dès sa première aurore, 12
A regarder d'en haut un peuple qui l'implore ; 12
Sa bouche, que relève une mâle fierté. 12
Imprime à son visage un air de majesté ; 12
Mais sa lèvre entr'ouverte, où la grâce respire. 12
90 Tempère à chaque instant l'effroi par un sourire ; 12
Et cette main qu'il ouvre, et qu'il tend comme Henri, 12
Tout annonce le Roi !… La nef tremble à ce cri : 12
Mais d'un geste à la foule il impose silence. 12
Et d'un pas recueilli vers l'autel il s'avance. 12
L'ARCHEVÊQUE.
D'où viens-tu ?
LE ROI.
De l'exil.
L'ARCHEVÊQUE.
Qu'apportes-tu ?
LE ROI.
95 Mon nom.
L'ARCHEVÊQUE.
Quel est ce nom sacré ?
LE ROI.
CHARLES DIX, et BOURBON.
L'ARCHEVÊQUE.
Que viens-tu demander ?
LE ROI.
Le sceptre et la couronne.
L'ARCHEVÊQUE.
Au nom de qui ?
LE ROI.
Du Dieu qui les ôte et les donne !
L'ARCHEVÊQUE.
Pourquoi ?
LE ROI.
Pour imposer à mon nom, à mes droits.
100 Le sceau majestueux du Dieu qui fait les rois ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Connais-tu les devoirs que ce titre t'impose ? 12
Oses-tu les jurer ?
LE ROI.
Que Dieu m'aide, et je l'ose.
L'ARCHEVÊQUE.
Quels sont-ils ?
LE ROI.
Proclamer et défendre la loi.
Récompenser, punir, vivre et mourir en roi ! 12
105 Aimer et gouverner comme un pasteur fidèle 12
Ce saint troupeau que Dieu confie à ma tutelle. 12
Être de mes sujets le père et le vengeur ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Où les as-tu trouvés, ces devoirs ?
LE ROI.
Dans mon cœur !
Mon front connut le poids de ces grandeurs humaines, 12
110 Et c'est la royauté qui coule dans mes veines ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Où sont les saints garants de tes serments ?
LE ROI.
Aux cieux !
Les mânes couronnés de mes soixante aïeux : 12
Ce Charles qui fonda, des ruines de Rome, 12
Un empire trop grand pour l'âme d'un autre homme ; 12
115 Ces princes tour à tour redoutés et chéris, 12
Ces Louis, ces François, ces généreux Henris ! 12
Et si de ces héros tu récuses la gloire, 12
J'en ai d'autres encore en qui le ciel peut croire ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Où sont-ils, ces témoins des paroles des rois ? 12
Où sont tes douze pairs ?
LE ROI.
(montrant les douze Pairs.)
120 Pontife, tu les vois !
L'ARCHEVÊQUE.
Nomme-les.
LE ROI.
Reggio ! Ce nom, à son aurore,
Du saint vernis des temps n'est pas couvert encore ; 12
Mais ses titres d'honneur sont partout déroulés. 12
Regarde avec respect ses membres mutilés ! 12
125 Ce nom, comme les noms des Dunois, des Xaintrailles, 12
A germé tout à coup sur vingt champs de batailles : 12
J'aime mieux, pour orner le bandeau qui me ceint, 12
Un grand nom qui surgit qu'un vieux nom qui s'éteint. 12
L'ARCHEVÊQUE.
Quel est ce maréchal qui d'une main frappée 12
130 Cherche en vain à presser le pommeau d'une épée ? 12
L'étoile des héros étincelle sur lui. 12
Et son bâton d'azur semble être son appui. 12
LE ROI.
C'est le second BAYARD ! c'est VICTOR ! c'est BELLUNE ! 12
Plus brave que son nom, plus grand que sa fortune ! 12
135 Partout où la patrie a des coups à pleurer, 12
Son corps, criblé de balle, est là pour les parer, 12
Et, fidèle au malheur encor plus qu'à la gloire. 12
Ses revers ont toujours l'éclat d'une victoire ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Et celui qui soutient de son bras triomphant 12
140 Les pas tremblants encor de ce royal enfant, 12
Et qui d'un œil de père, en regardant son maître. 12
Semble dire en son cœur : « C'est moi qui l'ai vu naître ! 12
Quel est-il ?
LE ROI.
Un soldat : le nom d'ALBUFÉRA
Illustre encor celui que l'Espagne pleura 12
145 Quand, brisant dans Madrid le joug de la victoire. 12
Pour unique dépouille il rapporta sa gloire. 12
Sauveur du beau pays qu'il avait combattu, 12
Il a ravi son nom… mais c'est par sa vertu ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Mais quel est ce vieillard ? Sa blanche chevelure 12
150 Couvre à flocons d'argent l'acier de son armure ; 12
Par la trace des ans son front paraît terni… 12
LE ROI.
C'est MONCEY ! des combats le bruit l'a rajeuni. 12
Malgré ses traits flétris sous les glaces de l'âge, 12
Les camps l'ont reconnu… mais c'est à son courage ! 12
155 Comme un soldat d'hier il marcha pour son roi ; 12
Il serait mort pour lui ! qu'il vieillisse pour moi ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Et celui qui brillant d'un long reflet de gloire ?… 12
LE ROI.
La Trémouille !
Il suffit : ce nom vaut une histoire !
Et celui qui, le front sur le marbre incliné, 12
160 Aux degrés de l'autel humblement prosterné^ 12
Les mains jointes, les yeux fixes comme la pierre. 12
Semble exhaler pour toi sa fervente prière, 12
Quel est ce chevalier chrétien ?
LE ROI.
MONTMORENCY !
L'ARCHEVÊQUE.
L'œil, s'il n'y brillait pas, le chercherait ici. 12
LE ROI.
165 Servant le même Dieu, fidèle au même maître, 12
Ses aïeux, à ces traits, pourraient le reconnaître. 12
Modèle du sujet, du héros, du chrétien. 12
Son nom, de siècle en siècle, est un écho du mien 12
Et partout où la France à besoin de son glaive. 12
170 Ou le roi d'un ami, Montmorency se lève. 12
L'ARCHEVÊQUE.
Ce guerrier qui soutient l'étoile des guerriers. 12
Où l'image d'Henri brille entre des lauriers ? 12
LE ROI.
MACDONALD ! des héros le juge et le modèle. 12
Sous un nom étranger il porte un cœur fidèle ; 12
175 Dans nos sanglants revers, moderne Xénophon, 12
La France et l'avenir ont adopté son nom, 12
Et son bras, dans les champs d'Arcole et d'Ibérie, 12
En sauvant les Français a conquis sa patrie ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Ce sage revêtu de la toge à longs plis 12
180 Où l'on voit enlacés des cyprès et des lis, 12
Et qui tient dans ses mains ton glaive et ta balance ? 12
LE ROI.
Arrête ! ce nom seul fait incliner la France ! 12
C'est DESÉZE ! C'est lui dont l'éloquente voix 12
S'éleva pour sauver le pur sang de ses rois, 12
185 Quand au fer des bourreaux, impatients du crime, 12
Disputant sans espoir la royale victime, 12
Il fallait un martyr pour défendre un Bourbon ! 12
Lui seul de ce grand meurtre a lavé son beau nom. 12
Louis à l'avenir a légué sa mémoire. 12
190 Et ces deux noms unis sont scellés dans l'histoire. 12
L'ARCHEVÊQUE.
Et ce preux chevalier qui sur l'écu d'airain 12
Porte au milieu des lis la croix du pèlerin, 12
Et dont l'œil, rayonnant de gloire et de génie, 12
Contemple du passé la pompe rajeunie ? 12
LE ROI.
195 CHATEAUBRIAND ! Ce nom à tous les temps répond ; 12
L'avenir au passé dans son cœur se confond ; 12
Et la France des preux et la France nouvelle 12
Unissent sur son front leur gloire fraternelle. 12
Soutien de la Couronne et de la Liberté, 12
200 Il lègue un double titre à la postérité ; 12
Et, pour briser naguère une force usurpée, 12
La plume entre ses mains nous valut une épée. 12
L'ARCHEVÊQUE.
Nomme encor ce vieillard qui, de pleurs inondé. 12
LE ROI.
Ne m'interroge pas ! c'est le dernier CONDÉ !!! 12
205 Il pleure un fils absent, ne troublons pas ses larmes ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Et ce prince appuyé sur ses brillantes armes, 12
Qui, les yeux attachés sur ce groupe d'enfants, 12
Contemple avec orgueil cet espoir ?…
LE ROI.
D'ORLÉANS.
Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère 12
210 Le fils a racheté les crimes de son père ; 12
Et, comme les rejets d'un arbre encor fécond. 12
Sept rameaux ont caché les blessures du tronc ! 12
L'ARCHEVÊQUE.
Nomme enfin ce héros, dont la tête inclinée 12
Semble porter le poids de tant de destinée, 12
Et dont le front chargé de palmes…
LE ROI.
215 C'est mon fils.
L'ARCHEVÊQUE.
Qu'a-t-il fait pour ce nom ?
LE ROI.
Demandez à Cadix !
L'ARCHEVÊQUE.
Il suffit : ces témoins répondent de ta vie. 12
Tout siècle les verrait avec un œil d'envie. 12
Charles ! réjouis-toi ! Lequel de tes aïeux 12
220 A pu citer jamais des noms plus glorieux ? 12
🙘🙚
Mais, silence ! Le Roi, le front contre la pierre, 12
Murmure à demi voix sa touchante prière. 12
Et ses vœux, en soupirs de son cœur échappés, 12
S'exhalent lentement à mots entrecoupés : 12
🙘🙚
225 « Dieu des astres, Dieu des armées ! 8
Dieu qui conduis de l'œil les sphères enflammées ! 12
Dieu des empires. Roi des rois ! 8
Au bruit d'un peuple entier qui pousse un cri de fête. 12
Du bronze et de l'airain qui grondent sur ma tète, 12
230 Voici l'heure ! écoute ma voix ! 8
« Errant, sans trône et sans patrie. 8
Triste objet de pitié comme autrefois d'envie, 12
J'ai mangé le pain de douleur ; 8
Et, d'exil en exil traînant mon titre illustre, 12
235 Je n'avais à montrer, pour conserver son lustre, 12
Que la majesté du malheur ! 8
« Adorant tes rigueurs divines. 8
Dans les murs d'Édimbourg j'habitai ces ruines 12
Pleines du destin des Stuarts : 8
240 Ces palais écroulés, ces tours d'herbes couvertes, 12
Et ces portes sans garde, et ces salles désertes, 12
Sympathisaient à mes regards. 8
« Là, victime du rang suprême. 8
Une reine voyait son sacré diadème 12
245 Jouet de l'amour et du sort. 8
Et, du haut de ces tours où triomphaient ses charmes, 12
En regardant la mer, implorait par ses larmes 12
L'obscurité de l'autre bord. 8
« Que de fois sous le dôme sombre 8
250 Où je cherchais sa trace, hélas ! je vis cette ombre 12
Mêler ses soupirs à ma voix, 8
Et m'apprendre en pleurant sur quelle onde incertaine 12
Le vent capricieux de la fortune humaine 12
Fait flotter le destin des rois ! 8
255 « Victime, pleurant des victimes, 8
Trop connu du malheur, de ces leçons sublimes. 12
Hélas ! je n'avais pas besoin ! 8
Quel siècle fut jamais plus fertile en ruines ? 12
Mon Dieu ! pour contempler tes justices divines. 12
260 Fallait-il regarder si loin ?… 8
« N'ai-je pas vu ce diadème. 8
Par le glaive arraché de la tête suprême, 12
Rouler dans la poussière aux pieds des factions ? 12
De la poudre des camps relevé par la gloire. 12
265 Joué, gagné, perdu, ravi par la victoire, 12
Passer avec les nations ? 8
« Hélas ! sur ce sable où nous sommes, 8
Quand tout mugit encor de ces tempêtes d'hommes, 12
Qui pourrait envier ce sceptre des humains ? 12
270 C'est la foudre du ciel que porte un bras timide ! 12
Qui toucherait sans crainte à cette arme perfide 12
Prête d'éclater dans nos mains ? 8
« Par un ciel d'exil profanées, 8
L'infortune a doublé le poids de mes journées, 12
275 Je descends la pente des ans ; 8
A peine si mon front, que leur souffle moissonne. 12
Portera sans fléchir le poids de la couronne 12
Qui va parer ces cheveux blancs ! 8
« La tombe avertit ma paupière ; 8
280 L'espoir à son aspect retournant en arrière 12
Ferme l'avenir devant moi ; 8
Je mourrai ; de la mort l'égalité fatale 12
Mêlera quelque jour à la cendre banale 12
La poussière qui fut un roi ! 8
285 « Mais ma faiblesse en vain murmure ; 8
Le cri d'un peuple entier, l'ordre de la nature, 12
Du ciel sont l'arrêt souverain ! 8
Hélas ! il faut régner ! Régner ? quel mot suprême ! 12
Être ici-bas ton ombre ! ô mon Dieu ! viens toi-même 12
290 Tenir le sceptre dans ma main ! 8
« Que l'onction qu'on va répandre 8
Me donne la vertu de craindre et de défendre 12
Ce trône où je suis condamné ! 8
Et que l'huile sacrée en coulant sur ma tête 12
295 Me prépare au combat que cette heure m'apprête. 12
Comme un athlète couronné 8
« Que jamais mon œil ne sommeille ! 8
Que tes anges, Seigneur, portent à mon oreille 12
Ces soupirs, les remords des rois ! 8
300 Que mon nom luise égal sur mes vastes provinces ! 12
Que le denier du pauvre et le trésor des princes 12
Y soient pesés du même poids ! 8
« Que, s'élevant en ma présence. 8
Les cris de l'opprimé, les pleurs de l'innocence 12
305 M'apportent les besoins du dernier des mortels ! 12
Que l'orphelin tremblant, que la veuve qui pleure. 12
Près de mon trône admis, l'embrassent à toute heure 12
Comme les marches des autels ! 8
« Aux conquérants livre la gloire ! 8
310 Qu'aux cœurs de mes sujets ma paisible mémoire 12
Ne soit qu'un tendre souvenir ! 8
Que mes fastes heureux n'aient qu'une seule page ! 12
Que la borne posée à mon noble héritage 12
Passe immobile à l'avenir ! 8
315 « De ma race auguste patronne, 8
Toi qui, pour les Français effeuillant ta couronne, 12
A leurs drapeaux prêtas tes lis, 8
Étoile du bonheur, sois l'astre de la France, 12
Et conserve à jamais ta bénigne influence 12
320 Aux premiers soldats de ton fils !» 8
🙘🙚
La première lueur de la naissante aurore, 12
A travers les vitraux où le jour se colore, 12
Comme l'aube obscurcit les étoiles des nuits, 12
Fait pâlir de la nef les feux évanouis, 12
325 Et la double clarté qui se combat dans l'ombre 12
Se mêle, en avançant, sous la voûte moins sombre. 12
A ce jour progressif, de ces dômes sacrés 12
L'œil suit dans le lointain les contours éclairés, 12
Et, de la basilique embrassant l'étendue. 12
330 Découvre à ses arceaux la foule suspendue : 12
Les tribunes, longeant les courbes des piliers. 12
Croisent dans tous les sens leurs immenses sentiers ; 12
Sous leur poids orageux le cintre ébranlé gronde ; 12
Un long torrent de peuple à grands flots les inonde, 12
335 En déborde, et, couvrant les arcs, les monuments, 12
Des dômes découpés les hauts entablements. 12
Aux voûtes de la nef se suspend en arcades, 12
S'enlace comme un lierre aux fûts des colonnades. 12
Du parvis à la frise et d'arceaux en arceaux, 12
340 Se déroule en guirlande ou se groupe en faisceaux, 12
Et, du pilier gothique embrassant le feuillage. 12
Tremble comme l'acanthe au souffle de l'orage. 12
De ses noirs fondements jusqu'au sommet des tours, 12
Un peuple tout entier tapissant ses contours. 12
345 Pressé comme les flots de l'antique poussière, 12
Semble avoir du vieux temple animé chaque pierre. 12
🙘🙚
L'airain guerrier résonne, et les enfants de Mars 12
Se rangent en silence autour des étendards : 12
Là, ceux dont le regard, que le calcul éclaire 12
350 Dans les champs des combats, est l'aigle du tonnerre, 12
Et qui, d'une étincelle échappée à leurs mains. 12
Font voler à son but la foudre des humains ; 12
Là, ces géants coiffés de sauvages crinières 12
Dont le poil fauve et noir tombe sur leurs paupières ; 12
355 Ces centaures brillants, messagers des combats. 12
Qui traînent à grand bruit leurs sabres sur leurs pas ; 12
Et ceux qui font rouler sur le fer d'une lance 12
Ces légers étendards où la mort se balance ; 12
Et ceux dont au soleil les casques éclatants 12
360 Font ondoyer encor des panaches flottants ; 12
Et ceux qui, revêtus de leurs brillantes mailles, 12
N'offrent qu'un mur d'airain sur leur front de batailles. 12
Et dont le pied, pressant les flancs d'un noir coursier. 12
Résonne sur le sol comme un faisceau d'acier ! 12
365 DIGEON, VALIX, MAUBOURG, dirigent leurs courages. 12
Enfants des deux drapeaux, braves de tous les âges, 12
Ces preux autour du Roi n'ont qu'un cœur et qu'un rang ; 12
L'Espagne a confondu les couleurs dans leur sang. 12
Là ce jeune guerrier, ce débris de deux guerres, 12
370 Dont le laurier s'unit au cyprès de deux frères ; 12
Ce sang, dont la Vendée a vu couler les flots. 12
N'épuisa point en lui la source des héros*. 12
Mais, sur ce dais où l'or en longs plis se déroule, 12
Quel populaire instinct porte l'œil de la foule ? 12
375 Ah ! c'est le sang royal qui parle aux cœurs français !… 12
A l'ombre de ces lis entourés de cyprès, 12
Dont la tige sur elle avec amour s'incline, 12
Voilà l'ange exilé ! la royale Orpheline ! 12
Son front, que des bourreaux le fer a respecté, 12
380 Garde de la douleur la noble majesté. 12
On sent à son aspect que, digne de sa mère, 12
Le ciel lui fit une âme égale à sa misère. 12
A ces pompes du trône on la ramène en vain. 12
Son cœur désenchanté les goûte avec dédain ; 12
385 Et peut-être, au moment où son œil les contemple, 12
Son âme, s'envolant dans les cachots du Temple, 12
Rêve aux jours de l'enfance où, sous ces murs affreux 12
Que la main des bourreaux obscurcissait pour eux, 12
Un rayon du soleil à travers une grille 12
390 Était la seule pompe, hélas ! de sa famille !… 12
La veuve de HENRI, des couleurs du cercueil. 12
Couvre son front mêlé d'espérance et de deuil ; 12
Ses longs cheveux épars, se dénouant d'eux-mème, 12
Semblent en retombant pleurer un diadème ; 12
395 Son regard, effleurant le faste de ces lieux, 12
N'y voit qu'un vide immense et se reporte aux cieux. 12
Hélas ! le sort, voilant l'aube de sa jeunesse, 12
A brisé dans ses mains une coupe d'ivresse… 12
Le coup qu'elle a reçu répond à tous les cœurs ; 12
400 Ses yeux dans tous les yeux ont retrouvé ses pleurs. 12
Là, deux sœurs ; un exil, un palais les rassemble** ; 12
Le malheur, la pitié, les invoquent ensemble ; 12
Le siècle les admire et ne les connaît pas, 12
Le pauvre les regarde et les nomme tout bas. 12
405 Mais quel est cet enfant ? — L'avenir de la France !!! 12
La promesse de Dieu qu'embellit l'espérance ! 12
De ses seuls cheveux blonds son beau front couronné 12
Ignore encor le rang pour lequel il est né ; 12
Libre encor des liens de sa haute origine, 12
410 Il sourit au fardeau que le temps lui destine ; 12
Ses yeux bleus, où le ciel aime à se retracer, 12
Sur ces pompes du sort s'égarent sans penser ; 12
Il ne voit que l'éclat dont le trône étincelle, 12
La vapeur de l'encens qui monte ou qui ruisselle, 12
415 Le reflet des flambeaux répété dans l'acier, 12
Ou l'aigrette flottant sur le front du guerrier ; 12
Et, comme Astyanax dans les bras de sa mère, 12
Sa main touche en jouant aux armes de son père. 12
🙘🙚
Le pontife est debout : le nard aux flots dorés 12
420 Semble prêt à couler de ses doigts consacrés ; 12
CHARLE, a genoux, baissant son front sans diadème, 12
Offre ses blancs cheveux aux parfums du saint-chrême ; 12
Et le prêtre, élevant la couronne en ses mains, 12
Parle, au nom du seul maître, au maître des humains. 12
L'ARCHEVÊQUE
425 Si nous étions encore aux siècles des miracles, 12
La colombe, planant sur les saints tabernacles, 12
T'apporterait du ciel le chrême de Clovis, 12
Et les anges eux-même, aux accents d'un prophète. 12
Poseraient sur ta tête 6
430 La couronne de lis ! 6
Mais les temps ne sont plus ! le passé les emporte ; 12
Le ciel parle a la terre une langue plus forte : 12
C'est la seule raison qui l'explique à la foi ! 12
Les grands événements, voilà les grands prestiges ! 12
435 Tu cherches les prodiges : 6
Le prodige, c'est toi ! 6
C'est toi ! Roi sans sujets ! fugitif sans asile ! 12
Proscrit du trône ingrat d'où l'Europe t'exile. 12
Tu vas traîner des rois l'indélébile affront, 12
440 Puis, au moment marqué par le maître suprême. 12
Tu reviens : de lui-même 6
Le bandeau ceint ton front ! 6
Tu reviens sans trésors, sans alliés, sans armes, 12
Toucher du pied royal cette terre de larmes, 12
445 Cette terre de feu qui dévorait les rois ! 12
Comme un homme trompé par un funeste rêve, 12
On s'éveille, on se lève. 6
On s'élance à ta voix. 6
Le voila ! » — Ce seul mot a reconquis la France ; 12
450 Tout un peuple enivré de zèle et d'espérance 12
Te porte dans ses bras au palais paternel. 12
Le soldat des Germains ne compte plus le nombre, 12
Et se désarme à l'ombre 6
De ton trône éternel ! 6
455 Les villes à tes pieds portent leurs clefs fidèles ; 12
Les soldats étonnés, ouvrant leurs citadelles, 12
Comme un salut royal déchargent leur canon ; 12
Ces drapeaux que jamais, aux éclairs de la poudre. 12
Ne fit baisser la foudre, 6
460 S'abaissent à ton nom. 6
La Liberté superbe, à ta voix assouplie, 12
Sous un joug volontaire avec amour se plie ; 12
Tu souris au pardon, sur la force appuyé ! 12
Trente ans comme un seul jour s'effacent : ta mémoire 12
465 Se souvient de la gloire ; 6
Le crime est oublié ! 6
Il semble qu'un esprit de grâce et d'harmonie 12
Aux cœurs de tes sujets ait soufflé ton génie, 12
Que du royal martyr le vœu soit accompli. 12
470 Et que chaque Français, comme une sainte offrande, 12
Devant tes pas répande 6
L'espérance et l'oubli ! 6
Viens donc ! élu du ciel que sa force accompagne, 12
Viens ! — Par la majesté du divin Charlemagne ! 12
475 La valeur de Martel ou du soldat d'Ivri ! 12
Par la vertu du roi qu'a couronné l'Église ! 12
Par la noble franchise 6
Du quatrième Henri ! 6
Par les brillants surnoms de cette race auguste : 12
480 Le Sage, le Vainqueur, le Bon, le Saint, le Juste ; 12
La grâce de Philippe ou de François premier ! 12
Par l'éclat de ce roi dont l'ascendant suprême 12
Imposa son nom même 6
Au siècle tout entier ! 6
485 Par ce martyr des rois qui mourut pour nos crimes ! 12
Par le sang consacré de cent mille victimes ! 12
Par ce pacte éternel qui rajeunit tes droits ! 12
Par le nom de Celui dont tout sceptre relève ! 12
Par l'amour qui t'élève, 6
490 Sur ce nouveau pavois ! 6
Au nom du seul puissant, du seul saint, du seul sage, 12
Dont l'espace et le temps sont le vaste héritage. 12
Dont le regard s'étend à tout siècle, à tout lieu, 12
Sois sacré ! tu deviens par ce royal mystère 12
495 Le maître de la terre, 6
Le serviteur de Dieu ! 6
Règne ! juge ! combats ! venge ! punis ! pardonne ! 12
Conduis ! règle ! soutiens ! commande ! impose ! ordonne ! 12
Par la vertu d'en haut sois couronné ! sois Roi ! 12
500 Ta main, dès cet instant, peut frapper, peut absoudre ; 12
Ton regard est la foudre. 6
Ta parole est la loi ! 6
🙘🙚
Il dit : un seul cri part ; l'air mugit, l'airain sonne ; 12
Les drapeaux déroulés flottent ; le canon tonne, 12
505 Et l'ardent TE DEUM, ce cantique des rois, 12
S'élance d'un seul cœur et de cent mille voix. 12
🙘🙚
« Que la terre et les cieux et les mers te bénissent ! 12
Qu'au chœur des chérubins les séraphins s'unissent 12
Pour célébrer le Dieu, le Dieu qui nous sauva ! 12
510 Saint, Saint, Saint est son nom ! Que la foudre le gronde, 12
Que le vent le murmure, et l'abîme réponde : 12
Jéhovah ! Jéhovah ! 6
« Qu'il gouverne à jamais son antique héritage ! 12
Sur les fils de nos fils qu'il règne d'âge en âge ! 12
515 Nos cris l'ont invoqué, sa foudre a répondu ! 12
De toute majesté c'est la source et le père ! 12
Le peuple qui l'attend, le siècle qui l'espère 12
N'est jamais confondu ! 6
« Qu'il est rare, ô mon Dieu, que ta main nous accorde 12
520 Ces temps, ces temps de grâce et de miséricorde, 12
Où l'homme peut jeter ce long cri de bonheur, 12
Sans qu'un soupir, faussant le cantique d'ivresse, 12
Vienne en secret mêler aux concerts d'allégresse 12
L'accent d'une douleur ! 6
525 « Mais béni soit mon temps ! le monde enfin respire ; 12
De trente ans de combats le bruit lointain expire : 12
La terre enfante l'homme, et n'a plus soif de sang ; 12
Sur deux mondes unis qui marchent en silence 12
On n'entend que la voix de la reconnaissance 12
530 Qui monte et redescend. 6
« Les rois ont recouvré leur divin héritage ; 12
Les peuples, leur rendant un légitime hommage. 12
Ont placé dans leurs mains le sceptre de la loi ; 12
Elle brille à leurs yeux comme un céleste phare, 12
535 Et dans le temple en deuil leur piété répare 12
Les débris de la foi. 6
« L'homme voit sur les mers ses flottes mutuelles 12
A tous les vents du ciel ouvrir leurs libres ailes ; 12
La sueur de son front ne germe que pour lui ; 12
540 Et partout dans la loi, sourde comme la pierre. 12
Le crime a son vengeur, la force sa barrière, 12
Le faible son appui. 6
« En génie, en vertu, la terre encor féconde 12
Ouvre un champ sans limite à l'avenir du monde ; 12
545 Chaque jour à son siècle apporte son trésor ; 12
Les éléments soumis ont reconnu leur maître. 12
Et l'univers vieilli rêve qu'il voit renaître 12
Un dernier âge d'or !…» 6
🙘🙚
Et toi qui, relevant les débris des couronnes, 12
550 Viens du trône des rois embrasser les colonnes. 12
Rêve des nations, qu'ont vu passer nos yeux, 12
Que le Christ après lui fit descendre des cieux. 12
LIBERTÉ ! dont la Grèce a salué l'aurore, 12
Que d'un berceau de feu ce siècle vit éclore, 12
555 Viens, le front incliné sous le sceptre des rois. 12
Poser le sceau du peuple au livre de nos lois ! 12
Trop longtemps l'univers, lassé de tes orages. 12
Aux mains des factions vit flotter tes images ; 12
Trop longtemps l'imposture, usurpant ton beau nom. 12
560 De ses honteux excès fit rougir la raison : 12
L'univers cependant, effrayé de lui-même. 12
T'invoque et te maudit, t'adore et te blasphème. 12
Et, comme un nouveau culte aux humains inspiré. 12
Ne peut fixer encor ton symbole sacré. 12
565 Je ne sais quel instinct, plus sûr que l'espérance, 12
Présage aux nations ton règne qui s'avance ! 12
L'opprimé, l'oppresseur, te rêvent à la fois ; 12
Un peuple enseveli ressuscite à ta voix ; 12
Le voile qui des lois couvrait le sanctuaire 12
570 Se déchire, et le jour de tes yeux les éclaire. 12
Les partis triomphants, si prompts à t'oublier, 12
Se couvrent de ton nom comme d'un bouclier ; 12
Chaque peuple à son tour te possède ou t'espère, 12
Et ton œil cherche en vain un tyran sur la terre ! 12
575 Viens donc ! viens, il est temps, tardive LIBERTÉ ! 12
Que ton nom incertain, par le ciel adopté. 12
Avec la vérité, la force et la justice, 12
Du palais de nos rois orne le frontispice ! 12
Que ton nom soit scellé dans les vieux fondements 12
580 De ce temple où la foi veille sur leurs serments ; 12
Et que l'huile, en coulant sur leur saint diadème, 12
Retombe sur ton front et te sacre toi-même ! 12
Règne I mais souviens-toi que l'illustre exilé 12
Par qui dans ces climats ton deuil fut consolé. 12
585 Précurseur couronné que salua la. France, 12
T'annonça dans nos maux comme une autre espérance 12
Et, t'arrachant lui seul aux mains des factions. 12
Fit de tes fers brisés l'ancre des nations ; 12
Que ton ombre, régnant sur un peuple en délire, 12
590 Et victime bientôt des fureurs qu'elle inspire, 12
Fit au monde étonné regretter les tyrans ; 12
Que tu fus enchaînée au char des conquérants ; 12
Que ton pied traîne encor les fers de la victoire 12
A ces anneaux dorés qu'avait rivés la gloire. 12
595 Et que, pour affermir et consacrer tes droits, 12
Ton temple le plus sûr est le cœur des bons rois ! 12
A ROCHEJAQUELEIN.
** LL. AA. RR. madame la duchesse et mademoiselle d'Orléans.
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