Métrique en Ligne
LAM_2/LAM68
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
VINGT-SEPTIÈME MÉDITATION
À UN CURÉ DE VILLAGE
1829
Doux pasteur du troupeau des âmes, 8
Qui conduis aux sources de Dieu 8
Ces petits enfants et ces femmes 8
Penchés aux coupes du saint lieu ; 8
5 Semeur des célestes paroles, 8
Qui sèmes la gerbe du Christ, 8
Ce sénevé des paraboles, 8
Dont le grain lève dans l’esprit ; 8
Médecin d’intime souffrance, 8
10 Qui les retourne et les endort, 8
Qui guéris avec l’espérance 8
Et vivifie avec la mort ; 8
Barde de la lyre infinie, 8
Qui, pour chanter dans le grand chœur, 8
15 N’as pas besoin d’autre génie 8
Que des battements de ton cœur : 8
Hé quoi ! tu craindrais que ma porte, 8
À tes accents ne s’ouvrît pas, 8
Avec les anges pour escorte, 8
20 Et les prophètes sur tes pas ? 8
Ah ! viens, si ma route est ta voie, 8
De ton bâton de peuplier, 8
Au nom de celui qui t’envoie, 8
Presser mon sol hospitalier ! 8
25 Mes chiens, qui devinent leur maître, 8
D’eux-même iront lécher tes doigts ; 8
Les colombes de ma fenêtre 8
Ne s’envoleront pas aux toits. 8
Mes oiseaux même ont l’habitude 8
30 De voir monter par le chemin 8
Ces anges de la solitude ; 8
Et le marteau connaît leur main. 8
Fils des champs, j’aimai de bonne heure 8
Ces laboureurs vêtus de deuil, 8
35 Dont on voit la pauvre demeure 8
Entre l’église et le cercueil ; 8
Le jardin qui rit à leur porte, 8
Dans un buisson de noisetiers ; 8
Leur seuil couvert de feuille morte, 8
40 Où le pauvre a fait des sentiers ; 8
La voix de leur cloche sonore, 8
Qui dit aux vains enfants du bruit 8
Que le Seigneur est dans l’aurore, 8
Que le Seigneur est dans la nuit ; 8
45 Les longs bords de leur robe blanche, 8
Par des troupes d’enfants suivis, 8
Qu’on voit balayer le dimanche 8
La poussière des vieux parvis ; 8
Cette odeur de myrrhe et de roses 8
50 Qui s’exhale autour de leurs pas, 8
Et leur voix qui parle de choses 8
Que l’œil des hommes ne voit pas ! 8
Quand le sillon courbe le reste, 8
Eux seuls travaillent de leur main 8
55 À l’œuvre du Père céleste, 8
Pour un autre prix que du pain ! 8
L’onde qu’ils versent désaltère 8
D’autres soifs que celle des sens, 8
Et de tous les dons de la terre 8
60 Ils ne moissonnent que l’encens ! 8
Viens donc, détachant ta ceinture, 8
Au foyer des bardes t’asseoir ; 8
Ils sont les voix de la nature, 8
Et vous en êtes l’encensoir ! 8
65 Que t’importe en quel caractère 8
Le nom du Seigneur est écrit, 8
Pourvu qu’il soit lu sur la terre, 8
Et qu’il remplisse tout esprit ? 8
Quand Jésus gravait sa pensée 8
70 Sur le sable avec un roseau, 8
Pleurait-il la lettre effacée 8
Sous l’aile ou les pieds de l’oiseau ? 8
Quand l’Agneau victime du monde, 8
Dont la laine a fait tes habits, 8
75 Aux flancs des collines sans onde 8
Paissait lui-même ses brebis, 8
Loin des piscines de son Père, 8
Il n’écartait pas de la main 8
La pauvre brebis étrangère 8
80 Broutant aux ronces du chemin. 8
Et quand il glanait en exemple 8
L’épi laissé dans le buisson, 8
Et portait tout petit, au temple, 8
Les prémices de sa moisson, 8
85 Ne liait-il pas dans sa gerbe, 8
Pour l’offrir au Père commun, 8
Des brins verdoyants de toute herbe 8
Et des plantes de tout parfum ? 8
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