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LAM_2/LAM65
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
VINGT-QUATRIÈME MÉDITATION
CHANT D’AMOUR
Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre, 12
Le doux frémissement des ailes du zéphire 12
À travers les rameaux ; 6
Ou l’onde qui murmure en caressant ces rives, 12
5 Ou le roucoulement des colombes plaintives 12
Jouant aux bords des eaux ; 6
Si, comme ce roseau qu’un souffle heureux anime, 12
Tes cordes exhalaient ce langage sublime, 12
Divin secret des cieux, 6
10 Que, dans le pur séjour où l’esprit seul s’envole, 12
Les anges amoureux se parlent sans parole, 12
Comme les yeux aux yeux ; 6
Si de ta douce voix la flexible harmonie, 12
Caressant doucement une âme épanouie 12
15 Au souffle de l’amour, 6
La berçait mollement sur de vagues images, 12
Comme le vent du ciel qui berce les nuages 12
Dans la pourpre du jour : 6
Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille, 12
20 Ma voix murmurerait tout bas à son oreille 12
Des soupirs, des accords 6
Aussi purs que l’extase où son regard me plonge, 12
Aussi doux que le son que nous apporte un songe 12
Des ineffables bords. 6
25 Ouvre les yeux, dirais-je, ô ma seule lumière ! 12
Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière 12
Ma vie et ton amour : 6
Ton regard languissant est plus cher à mon âme 12
Que le premier rayon de la céleste flamme 12
30 Aux yeux privés du jour. 6
────
L’un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse, 12
L’autre sur son beau front retombe avec mollesse, 12
Et le couvre à demi : 6
Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle 12
35 Courbe son cou d’albâtre, et ramène son aile 12
Sur son œil endormi. 6
Le doux gémissement de son sein qui respire 12
Se mêle au bruit plaintif de l’onde, qui soupire 12
À flots harmonieux ; 6
40 Et l’ombre de ses cils, que le zéphyr soulève, 12
Flotte légèrement comme l’ombre d’un rêve 12
Qui passe sur ses yeux. 6
────
Que ton sommeil est doux, ô vierge, ô ma colombe ! 12
Comme d’un cours égal ton sein monte et retombe 12
45 Avec un long soupir ! 6
Deux vagues que blanchit le rayon de la lune, 12
D’un mouvement moins doux viennent l’une après l’une 12
Murmurer ou mourir ! 6
────
Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles 12
50 Ce souffle parfumé… Qu’ai-je fait ? tu t’éveilles. 12
L’azur voilé des cieux 6
Vient chercher doucement ta timide paupière ; 12
Mais toi… ton doux regard, en voyant la lumière, 12
N’a cherché que mes yeux. 6
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55 Ah ! que nos longs regards se suivent, se prolongent, 12
Comme deux purs rayons l’un dans l’autre se plongent, 12
Et portent tour à tour 6
Dans le cœur l’un de l’autre une tremblante flamme, 12
Ce jour intérieur que donne seul à l’âme 12
60 Le regard de l’amour ! 6
Jusqu’à ce qu’une larme aux bords de ta paupière, 12
De son nuage errant te cachant la lumière, 12
Vienne baigner tes yeux, 6
Comme on voit au réveil d’une charmante aurore 12
65 Les larmes du matin, qu’elle attire et colore, 12
L’ombrager dans les cieux. 6
Parle-moi, que ta voix me touche ! 8
Chaque parole sur ta bouche 8
Est un écho mélodieux. 8
70 Quand ta voix meurt dans mon oreille, 8
Mon âme résonne et s’éveille, 8
Comme un temple à la voix des dieux. 8
Un souffle, un mot, puis un silence, 8
C’est assez : mon âme devance 8
75 Le sens interrompu des mots, 8
Et comprend ta voix fugitive, 8
Comme le gazon de la rive 8
Comprend le murmure des flots. 8
Un son qui sur ta bouche expire, 8
80 Une plainte, un demi-sourire, 8
Mon cœur entend tout sans effort : 8
Tel, en passant par une lyre, 8
Le souffle même du zéphyre 8
Devient un ravissant accord. 8
────
85 Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage ? 12
Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage : 12
Rougis-tu d’être belle, ô charme de mes yeux ? 12
L’aurore, ainsi que toi, de ses roses s’ombrage. 12
Pudeur, honte céleste, instinct mystérieux, 12
90 Ce qui brille le plus se voile davantage ; 12
Comme si la beauté, cette divine image, 12
N’était faite que pour les cieux ! 8
Tes yeux sont deux sources vives 7
Où vient se peindre un ciel pur, 7
95 Quand les rameaux de leurs rives 7
Leur en découvrent l’azur. 7
Dans ce miroir retracées, 7
Chacune de tes pensées 7
Jette en passant son éclair, 7
100 Comme on voit sur l’eau limpide 7
Flotter l’image rapide 7
Des cygnes qui fendent l’air. 7
Ton front, que ton voile ombrage 7
Et découvre tour à tour, 7
105 Est une nuit sans nuage 7
Prête à recevoir le jour ; 7
Ta bouche, qui va sourire, 7
Est l’onde qui se retire 7
Au souffle errant du zéphyr, 7
110 Et, sur ces bords qu’elle quitte, 7
Laisse au regard qu’elle invite 7
Compter les perles d’Ophir. 7
Tes deux mains sont deux corbeilles 7
Qui laissent passer le jour ; 7
115 Tes doigts, de roses vermeilles 7
En couronnent le contour. 7
Sur le gazon qui l’embrasse 7
Ton pied se pose, et la grâce, 7
Comme un divin instrument, 7
120 Aux sons égaux d’une lyre 7
Semble accorder et conduire 7
Ton plus léger mouvement. 7
Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme ? 12
Baisse, oh ! baisse tes yeux pleins d’une chaste flamme : 12
125 Baisse-les, ou je meurs. 6
Viens plutôt, lève-toi ! Mets ta main dans la mienne ; 12
Que mon bras arrondi t’entoure et te soutienne 12
Sur ces tapis de fleurs. 6
Aux bords d’un lac d’azur, il est une colline 12
130 Dont le front verdoyant légèrement s’incline 12
Pour contempler les eaux ; 6
Le regard du soleil tout le jour la caresse, 12
Et l’haleine de l’onde y fait flotter sans cesse 12
Les ombres des rameaux. 6
135 Entourant de ses plis deux chênes qu’elle embrasse, 12
Une vigne sauvage à leurs rameaux s’enlace, 12
Et, couronnant leurs fronts, 6
De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage, 12
Puis sur des champs coupés de lumière et d’ombrage 12
140 Court en riants festons. 6
Là, dans les flancs creusés d’un rocher qui surplombe, 12
S’ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe 12
Aime à gémir d’amour ; 6
La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent ; 12
145 Et les rayons du ciel, qui lentement s’y glissent, 12
Y mesurent le jour. 6
La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes 12
Conservent plus longtemps aux pâles violettes 12
Leurs timides couleurs ; 6
150 Une source plaintive en habite la voûte, 12
Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte 12
Des accords et des pleurs. 6
Le regard, à travers ce rideau de verdure, 12
Ne voit rien que le ciel et l’onde qu’il azure, 12
155 Et sur le sein des eaux 6
Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle, 12
Fendent ce ciel limpide, et battent comme l’aile 12
Des rapides oiseaux. 6
L’oreille n’entend rien qu’une vague plaintive, 12
160 Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive, 12
Ou la voix des zéphyrs, 6
Ou les sons cadencés que gémit Philomèle, 12
Ou l’écho du rocher, dont un soupir se mêle 12
À nos propres soupirs. 6
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165 Viens, cherchons cette ombre propice, 8
Jusqu’à l’heure où de ce séjour 8
Les fleurs fermeront leur calice 8
Aux regards languissants du jour. 8
Voilà ton ciel, ô mon étoile ! 8
170 Soulève, oh ! soulève ce voile : 8
Éclaire la nuit de ces lieux ; 8
Parle, chante, rêve, soupire, 8
Pourvu que mon regard attire 8
Un regard errant de tes yeux. 8
175 Laisse-moi parsemer de roses 8
La tendre mousse où tu t’assieds, 8
Et près du lit où tu reposes 8
Laisse-moi m’asseoir à tes pieds. 8
Heureux le gazon que tu foules, 8
180 Et le bouton dont tu déroules 8
Sous tes doigts les fraîches couleurs ! 8
Heureuses ces coupes vermeilles 8
Que pressent tes lèvres, pareilles 8
À l’abeille, amante des fleurs ! 8
185 Si l’onde, des lis qu’elle cueille 8
Roule les calices flétris ; 8
Des tiges que sa bouche effeuille 8
Si le vent m’apporte un débris ; 8
Si sa bouche qui se dénoue 8
190 Vient, en ondulant sur ma joue, 8
De ma lèvre effleurer le bord ; 8
Si son souffle léger résonne, 8
Je sens sur mon front qui frissonne 8
Passer les ailes de la mort. 8
195 Souviens-toi de l’heure bénie 8
Où les dieux, d’une tendre main, 8
Te répandirent sur ma vie 8
Comme l’ombre sur le chemin. 8
Depuis cette heure fortunée, 8
200 Ma vie à ta vie enchaînée, 8
Qui s’écoule comme un seul jour, 8
Est une coupe toujours pleine, 8
Où mes lèvres à longue haleine 8
Puisent l’innocence et l’amour. 8
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205 Un jour le temps jaloux, d’une haleine glacée, 12
Fanera tes couleurs comme une fleur passée 12
Sur ces lits de gazon ; 6
Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres 12
Ces rapides baisers, hélas ! dont tu me sèvres 12
210 Dans leur fraîche saison. 6
Mais quand tes yeux, voilés d’un nuage de larmes, 12
De ces jours écoulés qui t’ont ravi tes charmes 12
Pleureront la rigueur ; 6
Quand dans ton souvenir, dans l’onde du rivage, 12
215 Tu chercheras en vain ta ravissante image, 12
Regarde dans mon cœur. 6
Là, ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre ; 12
Là, ton doux souvenir veille à jamais à l’ombre 12
De ma fidélité, 6
220 Comme une lampe d’or dont une vierge sainte 12
Protége avec la main, en traversant l’enceinte, 12
La tremblante clarté. 6
Et quand la mort viendra, d’un autre amour suivie, 12
Éteindre en souriant de notre double vie 12
225 L’un et l’autre flambeau, 6
Qu’elle étende ma couche à côté de la tienne, 12
Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne 12
Dans le lit du tombeau ! 6
Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre, 12
230 Comme on voit en automne un couple solitaire 12
De cygnes amoureux 6
Partir, en s’embrassant, du nid qui les rassemble, 12
Et vers les doux climats qu’ils vont chercher ensemble 12
S’envoler deux à deux ! 6
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