Métrique en Ligne
LAM_2/LAM45
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
QUATRIÈME MÉDITATION
LA SAGESSE
Ô vous qui passez comme l’ombre 8
Par ce triste vallon de pleurs, 8
Passagers sur ce globe sombre, 8
Hommes, mes frères en douleurs, 8
5 Écoutez ! voici vers Solime 8
Un son de la harpe sublime 8
Qui charmait l’écho du Thabor : 8
Sion en frémit sous sa cendre, 8
Et le vieux palmier croit entendre 8
10 La voix du vieillard de Ségor. 8
Insensé le mortel qui pense ! 8
Toute pensée est une erreur. 8
Vivez et mourez en silence, 8
Car la parole est au Seigneur. 8
15 Il sait pourquoi flottent les mondes ; 8
Il sait pourquoi coulent les ondes, 8
Pourquoi les cieux pendent sur nous, 8
Pourquoi le jour brille et s’efface, 8
Pourquoi l’homme soupire et passe : 8
20 Et vous, mortels, que savez-vous ? 8
Asseyez-vous près des fontaines, 8
Tandis qu’agitant les rameaux, 8
Du midi les tièdes haleines 8
Font flotter l’ombre sur les eaux : 8
25 Au doux murmure de leurs ondes 8
Exprimez vos grappes fécondes, 8
Où rougit l’heureuse liqueur ; 8
Et de main en main, sous vos treilles, 8
Passez-vous ces coupes vermeilles 8
30 Pleines de l’ivresse du cœur. 8
Ainsi qu’on choisit une rose 8
Dans les guirlandes de Sarons, 8
Choisissez une vierge éclose 8
Parmi les lis de vos vallons ; 8
35 Enivrez-vous de son haleine, 8
Écartez ses tresses d’ébène, 8
Goûtez les fruits de sa beauté : 8
Vivez, aimez, c’est la sagesse ! 8
Hors le plaisir et la tendresse, 8
40 Tout est mensonge et vanité. 8
Comme un lis penché par la pluie 8
Courbe ses rameaux éplorés, 8
Si la main du Seigneur vous plie, 8
Baissez votre tête, et pleurez. 8
45 Une larme à ses pieds versée 8
Luit plus que la perle enchâssée 8
Dans son tabernacle immortel ; 8
Et le cœur blessé qui soupire 8
Rend un son plus doux que la lyre 8
50 Sous les colonnes de l’autel. 8
Les astres roulent en silence, 8
Sans savoir les routes des cieux ; 8
Le Jourdain vers l’abîme immense 8
Poursuit son cours mystérieux ; 8
55 L’aquilon, d’une aile rapide, 8
Sans savoir où l’instinct le guide, 8
S’élance et court sur vos sillons ; 8
Les feuilles que l’hiver entasse, 8
Sans savoir où le vent les chasse, 8
60 Volent en pâles tourbillons. 8
Et vous, pourquoi d’un soin stérile 8
Empoisonner vos jours bornés ? 8
Le jour présent vaut mieux que mille 8
Des siècles qui ne sont pas nés. 8
65 Passez, passez, ombres légères ; 8
Allez où sont allés vos pères, 8
Dormir auprès de vos aïeux. 8
De ce lit où la mort sommeille, 8
On dit qu’un jour elle s’éveille 8
70 Comme l’aurore dans les cieux. 8
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