TROISIÈME MÉDITATION |
SAPHO |
ÉLÉGIE ANTIQUE |
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L’aurore se levait, la mer battait la plage. |
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Ainsi parla Sapho debout sur le rivage ; |
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Et près d’elle, à genoux, les filles de Lesbos |
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Se penchaient sur l’abîme et contemplaient les flots : |
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Fatal rocher, profond abîme, |
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Je vous aborde sans effroi ! |
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Vous allez à Vénus dérober sa victime : |
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J’ai méconnu l’Amour, l’Amour punit mon crime. |
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Ô Neptune, tes flots seront plus doux pour moi ! |
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Vois-tu de quelles fleurs j’ai couronné ma tête ? |
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Vois : ce front si longtemps chargé de mon ennui, |
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Orné pour mon trépas comme pour une fête, |
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Du bandeau solennel étincelle aujourd’hui. |
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On dit que dans ton sein… mais je ne puis le croire, |
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On échappe au courroux de l’implacable Amour ; |
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On dit que par tes soins si l’on renaît au jour, |
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D’une flamme insensée on y perd la mémoire. |
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Mais de l’abîme, ô dieu ! quel que soit le secours, |
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Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours ! |
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Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices |
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Un oubli passager, vain remède à mes maux : |
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J’y viens, j’y viens trouver le calme des tombeaux. |
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Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices ! |
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Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ? |
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Chantez, chantez un hymne, ô vierges de Lesbos ! |
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Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ? |
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C’était sous les bosquets du temple de Vénus : |
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Moi-même, de Vénus insensible prêtresse, |
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Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse. |
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Au pied de ses autels soudain je l’aperçus. |
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Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire |
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Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ? |
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Ma langue se glaça, je demeurai sans voix, |
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Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre. |
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Non, jamais aux regards de l’ingrate Daphné |
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Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ; |
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Jamais, le thyrse en main, de pampre couronné, |
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Le jeune dieu de l’Inde, en triomphe traîné, |
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N’apparut plus brillant aux regards d’Érigone. |
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Tout sortit… de lui seul je me souvins, hélas ! |
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Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure, |
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J’errais seule et pensive autour de sa demeure : |
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Un pouvoir plus qu’humain m’enchaînait sur ses pas. |
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Que j’aimais à le voir, de la foule enivrée, |
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Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux, |
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Lancer le disque au loin d’une main assurée, |
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Et sur tous ses rivaux l’emporter dans nos jeux ! |
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Que j’aimais à le voir, penché sur la crinière |
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D’un coursier de l’Élide aussi prompt que les vents, |
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S’élancer le premier au bout de la carrière, |
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Et, le front couronné, revenir à pas lents ! |
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Ah ! de tous ses succès que mon âme était fière ! |
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Et si de ce beau front de sueur humecté |
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J’avais pu seulement essuyer la poussière ! |
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Ô dieux ! j’aurais donné tout, jusqu’à ma beauté, |
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Pour être un seul instant ou sa sœur ou sa mère ! |
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Vous qui n’avez jamais rien pu pour mon bonheur, |
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Vaines divinités des rives du Permesse, |
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Moi-même dans vos arts j’instruisis sa jeunesse ; |
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Je composai pour lui ces chants pleins de douceur, |
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Ces chants qui m’ont valu les transports de la Grèce. |
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Ces chants, qui des enfers fléchiraient la rigueur, |
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Malheureuse Sapho, n’ont pu fléchir son cœur, |
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Et son ingratitude a payé ta tendresse. |
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Redoublez vos soupirs, redoublez vos sanglots ! |
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Pleurez, pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! |
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Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes |
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À son indifférence avaient pu l’arracher ; |
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Si l’ingrat cependant s’était laissé toucher ; |
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S’il eût été du moins attendri par mes larmes ; |
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Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux |
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N’aurait filé des jours plus doux, plus glorieux. |
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Que d’éclat cet amour eût jeté sur sa vie ! |
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Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie ; |
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Et l’amant de Sapho, fameux dans l’univers, |
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Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers. |
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C’est pour lui que j’aurais, sur tes autels propices, |
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Fait fumer en tout temps l’encens des sacrifices, |
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Ô Vénus ! c’est pour lui que j’aurais nuit et jour |
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Suspendu quelque offrande aux autels de l’Amour. |
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C’est pour lui que j’aurais, durant des nuits entières |
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Aux trois fatales Sœurs adressé mes prières ; |
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Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux, |
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J’aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux. |
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Pour lui j’aurais voulu, dans les jeux d’Ionie, |
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Disputer aux vainqueurs les palmes du génie. |
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Que ces lauriers brillants, à mon orgueil offerts, |
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En les cueillant pour lui m’auraient été plus chers |
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J’aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire, |
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Et couronné son front des rayons de ma gloire. |
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Souvent, à la prière abaissant mon orgueil, |
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De ta porte, ô Phaon, j’allais baiser le seuil. |
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« Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse |
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Me refuse à jamais ce doux titre d’épouse, |
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Souffre, ô trop cher Phaon, que Sapho, près de toi, |
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Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi ! |
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Que m’importe ce nom et cette ignominie, |
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Pourvu qu’à tes côtés je consume ma vie, |
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Pourvu que je te voie, et qu’à mon dernier jour |
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D’un regard de pitié tu plaignes tant d’amour ? |
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Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse : |
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Vénus égalera ma force à ma tendresse. |
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Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas, |
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Tu me verras te suivre au milieu des combats ; |
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Tu me verras, de Mars affrontant la furie, |
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Détourner tous les traits qui menacent ta vie, |
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Entre la mort et toi toujours prompte à courir… |
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Trop heureuse, pour lui si j’avais pu mourir ! |
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Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone, |
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Sous la tente, au sommeil ton âme s’abandonne, |
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Ce sommeil, ô Phaon, qui n’est plus fait pour moi, |
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Seule me laissera veillant autour de toi ; |
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Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière, |
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Assise à tes côtés durant la nuit entière, |
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Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour, |
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Je charmerai ta peine, en attendant le jour. » |
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Je disais, et les vents emportaient ma prière ; |
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L’écho répétait seul ma plainte solitaire, |
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Et l’écho seul encor répond à mes sanglots. |
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Pleurez, pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! |
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Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire, |
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Ô lyre, que ma main fit résonner pour lui, |
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Ton aspect que j’aimais m’importune aujourd’hui, |
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Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire |
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Et mes feux, et ma honte, et l’ingrat qui m’a fui. |
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Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste ! |
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Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis, |
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Je ne te suspends pas : que le courroux céleste |
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Sur ces flots orageux disperse tes débris, |
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Et que de mes tourments nul vestige ne reste ! |
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Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers |
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Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers ! |
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Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre ! |
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Que ne puis-je aux enfers descendre tout entière, |
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Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon, |
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Emporter avec moi l’opprobre de mon nom ! |
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Cependant si les dieux, que sa rigueur outrage, |
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Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ; |
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Si de ce lieu suprême il pouvait s’approcher ; |
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S’il venait contempler, sur le fatal rocher |
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Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée, |
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Frappant de vains sanglots la rive désolée, |
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Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort, |
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Et dressant lentement les apprêts de sa mort ; |
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Sans doute à cet aspect, touché de mon supplice, |
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Il se repentirait de sa longue injustice, |
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Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer, |
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Il dirait à Sapho : « Vis encor pour aimer ! » |
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Qu’ai-je dit ? Loin de moi, quelque remords peut-être, |
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À défaut de l’amour, dans son cœur a pu naître ; |
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Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux, |
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Il frissonne, il s’arrête, il revient vers ces lieux ; |
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Il revient m’arrêter sur les bords de l’abîme ; |
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Il revient !… il m’appelle… il sauve sa victime !… |
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Oh ! qu’entends-je ?… Écoutez… Du côté de Lesbos |
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Une clameur lointaine a frappé les échos ! |
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J’ai reconnu l’accent de cette voix si chère, |
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J’ai vu sur le chemin s’élever la poussière ! |
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Ô vierges, regardez ! Ne le voyez-vous pas |
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Descendre la colline et me tendre les bras ? |
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Mais non ! tout est muet dans la nature entière, |
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Un silence de mort règne au loin sur la terre ; |
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Le chemin est désert !… Je n’entends que les flots ! |
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Pleurez, pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! |
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Mais déjà, s’élançant vers les cieux qu’il colore, |
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Le soleil de son char précipite le cours. |
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Toi qui viens commencer le dernier de mes jours, |
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Adieu, dernier soleil ! adieu, suprême aurore ! |
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Demain, du sein des flots vous jaillirez encore ; |
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Et moi je meurs ! et moi je m’éteins pour toujours ! |
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Adieu, champs paternels ! adieu, douce contrée ! |
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Adieu, chère Lesbos à Vénus consacrée ! |
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Rivage où j’ai reçu la lumière des cieux ; |
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Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance, |
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D’une tremblante main me consacrant aux dieux, |
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Au culte de Vénus dévoua mon enfance ; |
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Et toi, forêt sacrée, où les filles du ciel, |
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Entourant mon berceau, m’ont nourri de leur miel, |
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Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie, |
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Ni les traits de l’Amour, ni les coups du destin, |
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Misérable Sapho, n’ont pu sauver ta vie ! |
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Tu vécus dans les pleurs, et tu meurs au matin ! |
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Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée ; |
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Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel, |
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Une jeune victime à ton temple amenée, |
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Qu’à ton culte en naissant le pâtre a destinée, |
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Vient tomber avant l’âge au pied de ton autel. |
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Et vous qui reverrez le cruel que j’adore |
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Quand l’ombre du trépas aura couvert mes yeux, |
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Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux : |
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Dites-lui… qu’en mourant je le nommais encore !… |
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Elle dit. Et le soir, quittant le bord des flots, |
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Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos ! |
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