Métrique en Ligne
LAM_10/LAM183
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
XVII
CANTIQUE
SUR UN RAYON DE SOLEIL
Je suis seul dans la prairie 7
Assis au bord du ruisseau ; 7
Déjà la feuille flétrie, 7
Qu'un (flot paresseux charrie, 7
5 Jaunit l'écume de l'eau. 7
La respiration douce 7
Des bois au milieu du jour 7
Donne une lente secousse 7
A la vague, au brin de mousse, 7
10 Au feuillage d'alentour. 7
Seul et la rime bercée, 7
Un jeune et haut peuplier 7
Dresse sa flèche élancée 7
Comme une haute pensée 7
15 Qui s'isole pour prier ! 7
Par instans le vent qui semble 7
Couler à flots modulés 7
Donne à la feuille qui tremble 7
Un doux frisson qui ressemble 7
20 A des mots articulés. 7
L'azur où sa cime nage 7
A balayé son miroir 7
Sans que l'ombre d'un nuage 7
Jette au ciel une autre image 7
25 Que l'infini qu'il fait voir. 7
Ruisselant de feuille en feuille 7
Un rayon répercuté 7
Parmi les lis que j'effeuille, 7
Filtre, glisse, et se recueille 7
30 Dans une île de clarté. 7
Le rayon de feu scintille 7
Sous celte arche de jasmin, ! 7
Comme une lampe qui brille 7
Aux doigts d'une jeune fille 7
35 Et qui tremble dans sa main. 7
Elle éclaire cette voûte, 7
Rejaillit sur chaque fleur, ' 7
La branche sur l'eau l'égoutte, 7
L'aile d'insecte et la goutte 7
40 En font flotter la lueur. 7
A ce rayon d'or qui perce 7
Le vert grillage du bord, 7
La lumière se disperse 7
En étincelle,et traverse 7
45 Le cristal du flot qui dort. 7
Sous la nuit qui les ombrage 7
On voit, en brillans réseaux, 7
Jouer un flottant nuage 7
De mouches au bleu corsage 7
50 Qui patinent sur les eaux. 7
Sur le bord qui se découpe, 7
De rossignols frais éclos 7
Un nid tapissé d'étoupe 7
Se penche comme une poupe 7
55 Qui voudrait puiser ses flots. 7
La mère habile entrecroise 7
Au fil qui les réunit, 7
Les ronces et la framboise, 7
Et tend, comme un toit d'ardoise, 7
60 Ses deux ailes sur son nid. 7
Au bruit que fait mon haleine, 7
L'onde ouïe rameau pliant, 7
Je vois son œil qui promène, 7
Sa noire prunelle pleine 7
65 De son amour suppliant ! 7
Puis refermant, calme et douce, 7
Ses yeux, sous mes yeux amis, 7
On voit à chaque secousse 7
De ses petits sur leur mousse 7
70 Battre les cœurs endormis. 7
Ce coin de soleil condense 7
L'infini de volupté. 7
O charmante providence ! 7
Quelle douce confidence, 7
75 D'amour, de paix, de beauté ! 7
Dans un moment de tendresse, 7
Seigneur, on dirait qu'on sent 7
Ta main douce qui caresse 7
Ce vert gazon qui redresse 7
80 Son poil souple et frémissant ! 7
Tout sur terre fait silence 7
Quand tu viens la visiter, 7
L'ombre ne fuit ni n'avance, 7
Mon cœur même qui s'élance 7
85 Ne s'entend plus palpiter ! 7
Ma pauvre ame ensevelie 7
Dans cette mortalité 7
Ouvre sa mélancolie, 7
Et comme un lin là déplie 7
90 Au soleil de ta bonté. 7
S'enveloppant tout entière 7
Dans les plis de la splendeur, 7
Comme l'ombre à la lumière 7
Elle ruisselle en prière, 7
95 Elle rayonne en ardeur ! 7
Oh ! qui douterait encore 7
D'une bonté dans les cieux, 7
Devant un brin dé l'aurore, 7
Qui s'égare et fait éclore 7
100 Ces ravissemens des yeux ? 7
Est-il possible, ô nature ! 7
Source dont Dieu tient la clé, 7
Où boit toute créature, 7
Lorsque la goutte est si pure, 7
105 Que l'abîme soit troublé ? 7
Toi qui dans la perle d'onde, 7
Dans deux brins d'herbe pliés, 7
Peux enfermer tout un monde 7
D'un bonheur qui surabonde 7
110 Et déborde sur tes pieds, 7
Avare de ces délices, 7
Qu'entrevoit ici le cœur, 7
Peux-tu des divins calices 7
Nous prodiguer les prémices 7
115 Et répandre la liqueur ?. 7
Dans cet infini d'espace, • 7
Dans cet infini du temps, 7
A la splendeur de ta face, 7
O mon Dieu ! n'est-il pas place 7
120 Pour tous les cœurs palpitans ? 7
Source d'éternelle vie, 7
Foyer d'éternel amour, 7
A l'ame à peine assouvie 7
Faut-il que le ciel envie 7
125 Son étincelle et son jour ? 7
Non, ces courts momens d'extase 7
Dont parfois nous débordons, 7
Sont un peu de miel du vase, 7
Écume qui s'extravase 7
130 De l'océan de tes dons ! 7
Elles y nagent, j'espère, 7
Dans les secrets de tes cieux, 7
Ces chères âmes, ô père ! 7
Dont nous gardons sur la terre 7
135 Le regret délicieux ! 7
Vous pour qui mon œil se voile 7
Des larmes de notre adieu, 7
Sans doute dans quelque étoile 7
Le même instant vous dévoile 7
140 Quelque autre perle de Dieu ! 7
Vous contemplez assouvies, 7
Des champs de sérénité, 7
Ou vous écoutez ravies, 7
Murmurer la mer de vies 7
145 Au lit de l'éternité ! 7
Le même Dieu qui déploie 7
Pour nous un coin du rideau 7
Nous enveloppe et nous noie, 7
Vous dans une mer de joie, 7
150 Moi dans une goutte d'eau. ! 7
Pour tant mon ame est si pleine, 7
O Dieu, d'adoration ! 7
Que mon cœur la tient à peine, 7
Et qu'il sent manquer l'haleine 7
155 A sa respiration ! 7
Par ce seul rayon de flamme, 7
Tu m'attires tant vers toi, 7
Que si la mort, de mon ame 7
Venait délier la trame, 7
160 Rien ne changerait en moi ! 7
Sinon qu'un cri de louange 7
Plus haut et plus solennel, 7
En voix du concert de l'ange, 7
Changerait ma voix de l'ange 7
165 Et deviendrait éternel. 7
Oh ! gloire à toi qui ruisselle 7
De les soleils à la fleur ! 7
Si grand dans une parcelle ! 7
Si brûlant dans l'étincelle ! 7
170 Si plein, dans un pauvre cœur ! 7
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