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LAM_10/LAM175
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
IX
RÉPONSE
A UN CURÉ DE CAMPAGNE
Doux pasteur du troupeau des âmes, 8
Qui conduis aux sources de Dieu 8
Ces petits enfans et ces femmes 8
Penchés aux coupes du saint lieu ; 8
5 Semeur des célestes paroles, 8
Qui sème la gerbe du Christ, 8
Ce sénevé des paraboles 8
Dont le grain lève dans l'esprit ; 8
Médecin d'intime souffrance 8
10 Qui la retourne et qui l'endort, 8
Qui guéris avec l'espérance 8
Et vivifie avec la mort ; 8
Poète à la lyre infinie 8
Qui, pour chanter dans le grand chœur, 8
15 N'a pas besoin d'autre génie 8
Que des battemens de ton cœur ; 8
Eh quoi ! tu craindrais que ma porte 8
A tes accens ne s'ouvrit pas, 8
Avec les anges pour escorte 8
20 Et les prophètes sur tes pas ? 8
Homme d'amour et de prière, 8
Ah ! loin de craindre un froid accueil, 8
Viens, en paix et que la poussière 8
De tes pieds s'attache à mon seuil. 8
25 Mes chiens, qui devinent leur maître, 8
D'eux-même iront lécher tes doigts ; 8
Les colombes de ma fenêtre 8
Ne s'envoleront pas aux toits. 8
Mes oiseaux même ont l'habitude 8
30 De voir monter par le chemin 8
Ces anges de la solitude, 8
Et le marteau connaît leur main. 8
Fils des champs, j'aimai de bonne heure 8
Ces laboureurs vêtus de deuil, 8
35 Dont on voit la pauvre demeure , 8
Entre l'église et le cercueil ; 8
Le jardin qui rit à leur porte 8
Dans son buisson de noisetiers, 8
Leur seuil couvert de feuille morte 8
40 Où le pauvre a fait des sentiers ; 8
La voix de leur cloche sonore 8
Qui dit aux vains enfans du bruit : 8
Que le Seigneur est dans l'aurore ! 8
Que le Seigneur est dans la nuit ! 8
45 Les longs bords de leur robe blanche, 8
Par des groupes d'enfans suivis, 8
Qu'on voit balayer le dimanche 8
La poussière du vieux parvis ; 8
Cette odeur de myrrhe et de roses 8
50 Qui s'exhale autour de leurs pas, 8
Et leur voix qui parle de choses 8
Que l'œil des hommes ne voit pas. 8
Quand le sillon courbe le reste, 8
Eux seuls travaillent de leur main 8
55 A l'œuvre du père céleste 8
Pour un autre prix que du pain ! 8
L'onde qu'ils versent désaltère 8
D'autres soifs que la soif des sens, 8
Et de tous les dons de la terre 8
60 Ils ne moissonnent que l'encens. 8
Viens donc, détachant ta ceinture, 8
Au foyer des bardes t'asseoir ; 8
Ils sont l'hymne de la nature 8
Et vous en êtes l'encensoir ! 8
65 Que t'importe si mes symboles 8
Sont les symboles que tu crois ! 8
J'ai prié des mêmes paroles, 8
J'ai saigné sur la même croix ! 8
Quand l'agneau victime du monde, 8
70 Dont la laine a fait tes habits, 8
Aux flancs des collines sans onde 8
Paissait lui-même les brebis, 8
Loin des piscines de son père 8
Il n'écartait pas de la main 8
75 La pauvre brebis étrangère 8
Trouvée aux ronces du chemin, 8
Et quand il glanait en exemple 8
L'épi laissé dans le buisson, 8
Et portait, humble enfant, au temple 8
80 Les prémices de sa moisson, 8
Il mêlait pour grossir la gerbe 8
Qu'il offrait au père commun 8
Des brins verdoyans de chaque herbe 8
Et des tiges de tout parfum. 8
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