Métrique en Ligne
LAM_1/LAM25
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
PREMIÈRES MÉDITATIONS
1820
VINGT-CINQUIÈME MÉDITATION
LE TEMPLE
Qu’il est doux, quand du soir l’étoile solitaire, 12
Précédant de la nuit le char silencieux, 12
S’élève lentement dans la voûte des cieux, 12
Et que l’ombre et le jour se disputent la terre ; 12
5 Qu’il est doux de porter ses pas religieux 12
Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique 12
Dont la mousse a couvert le modeste portique, 12
Mais où le ciel encoreencor parle à des cœurs pieux ! 12
Salut, bois consacré ! Salut, champ funéraire, 12
10 Des tombeaux du village humble dépositaire ! 12
Je bénis en passant tes simples monuments. 12
Malheur à qui des morts profane la poussière ! 12
J’ai fléchi le genou devant leur humble pierre, 12
Et la nef a reçu mes pas retentissants. 12
15 Quelle nuit ! quel silence ! Au fond du sanctuaire 12
À peine on aperçoit la tremblante lumière 12
De la lampe qui brûle auprès des saints autels. 12
Seule elle luit encor quand l’univers sommeille, 12
Emblème consolant de la bonté qui veille 12
20 Pour recueillir ici les soupirs des mortels. 12
Avançons. Aucun bruit n’a frappé mon oreille ; 12
Le parvis frémit seul sous mes pas mesurés : 12
Du sanctuaire enfin j’ai franchi les degrés. 12
Murs sacrés, saints autels ! je suis seul, et mon âme 12
25 Peut verser devant vous ses douleurs et sa flamme, 12
Et confier au ciel des accents ignorés, 12
Que lui seul connaîtra, que vous seuls entendrez. 12
Mais quoi ! de ces autels je m’approche sans crainte ! 12
J’ose apporter, grand Dieu, dans cette auguste enceinte 12
30 Un cœur encor brûlant de douleur et d’amour ! 12
Et je ne tremble pas que ta majesté sainte 12
Ne venge le respect qu’on doit à son séjour ! 12
Non, je ne rougis plus du feu qui me consume : 12
L’amour est innocent quand la vertu l’allume. 12
35 Aussi pur que l’objet à qui je l’ai juré, 12
Le mien brûle mon cœur, mais c’est d’un feu sacré ; 12
La constance l’honore et le malheur l’épure. 12
Je l’ai dit à la terre, à toute la nature ; 12
Devant tes saints autels je l’ai dit sans effroi : 12
40 J’oserais, Dieu puissant, la nommer devant toi. 12
Oui, malgré la terreur que ton temple m’inspire, 12
Ma bouche a murmuré tout bas le nom d’Elvire ; 12
Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux, 12
Comme l’accent plaintif d’une ombre qui soupire, 12
45 De l’enceinte funèbre a troublé le repos. 12
Adieu, froids monuments ! adieu, saintes demeures ! 12
Deux fois l’écho nocturne a répété les heures, 12
Depuis que devant vous mes larmes ont coulé : 12
Le ciel a vu ces pleurs, et je sors consolé. 12
50 Peut-être au même instant, sur un autre rivage, 12
Elvire veille aussi, seule avec mon image, 12
Et dans un temple obscur, les yeux baignés de pleurs, 12
Vient aux autels déserts confier ses douleurs. 12
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