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Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
PREMIÈRES MÉDITATIONS
1820
DIX-SEPTIÈME MÉDITATION
LA NAISSANCE DU DUC DE BORDEAUX
ODE
Versez du sang, frappez encore ! 8
Plus vous retranchez ses rameaux, 8
Plus le tronc sacré voit éclore 8
Ses rejetons toujours nouveaux ! 8
5 Est-ce un dieu qui trompe le crime ? 8
Toujours d’une auguste victime 8
Le sang est fertile en vengeur ; 8
Toujours, échappé d’Athalie, 8
Quelque enfant que le fer oublie 8
10 Grandit à l’ombre du Seigneur ! 8
Il est né, l’enfant du miracle, 8
Héritier du sang d’un martyr ! 8
Il est né d’un tardif oracle, 8
Il est né d’un dernier soupir ! 8
15 Aux accents du bronze qui tonne 8
La France s’éveille, et s’étonne 8
Du fruit que la mort a porté ! 8
Jeux du sort ! merveilles divines ! 8
Ainsi fleurit sur des ruines 8
20 Un lis que l’orage a planté. 8
Il vient, quand les peuples, victimes 8
Du sommeil de leurs conducteurs, 8
Errent aux penchants des abîmes 8
Comme des troupeaux sans pasteurs. 8
25 Entre un passé qui s’évapore, 8
Vers un avenir qu’il ignore, 8
L’homme nage dans un chaos ! 8
Le doute égare sa boussole, 8
Le monde attend une parole, 8
30 La terre a besoin d’un héros ! 8
Courage ! c’est ainsi qu’ils naissent ! 8
C’est ainsi que dans sa bonté 8
Un Dieu les sème ! Ils apparaissent 8
Sur des jours de stérilité ! 8
35 Ainsi, dans une sainte attente, 8
Quand des pasteurs la troupe errante 8
Parlait d’un Moïse nouveau, 8
De la nuit déchirant le voile, 8
Une mystérieuse étoile 8
40 Les conduisit vers un berceau ! 8
Sacré berceau, frêle espérance 8
Qu’une mère tient dans ses bras, 8
Déjà tu rassures la France ; 8
Les miracles ne trompent pas ! 8
45 Confiante dans son délire, 8
À ce berceau déjà ma lyre 8
Ouvre un avenir triomphant, 8
Et, comme ces rois de l’Aurore, 8
Un instinct que mon âme ignore 8
50 Me fait adorer un enfant ! 8
Comme l’orphelin de Pergame, 8
Il verra près de son berceau 8
Un roi, des princes, une femme, 8
Pleurer aussi sur un tombeau ! 8
55 Bercé sur le sein de sa mère, 8
S’il vient à demander son père, 8
Il verra se baisser les yeux ! 8
Et cette veuve inconsolée, 8
En lui cachant le mausolée, 8
60 Du doigt lui montrera les cieux ! 8
Jeté sur le déclin des âges, 8
Il verra l’empire sans fin, 8
Sorti de glorieux orages, 8
Frémir encor de son déclin. 8
65 Mais son glaive aux champs de victoire 8
Nous rappellera la mémoire 8
Des destins promis à Clovis, 8
Tant que le tronçon d’une épée, 8
D’un rayon de gloire frappée, 8
70 Brillerait aux mains de ses fils ! 8
Sourd aux leçons efféminées 8
Dont le siècle aime à les nourrir, 8
Il saura que les destinées 8
Font roi pour régner ou mourir ; 8
75 Que des vieux héros de sa race 8
Le premier titre fut l’audace, 8
Et le premier trône un pavois ; 8
Et qu’en vain l’humanité crie : 8
Le sang versé pour la patrie 8
80 Est toujours la pourpre des rois ! 8
Tremblant à la voix de l’histoire, 8
Ce juge vivant des humains, 8
Français, il saura que la gloire 8
Tient deux flambeaux entre ses mains. 8
85 L’un, d’une sanglante lumière 8
Sillonne l’horrible carrière 8
Des peuples par le crime heureux ; 8
Semblable aux torches des Furies 8
Que jadis les fameux impies 8
90 Sur leurs pas traînaient après eux ! 8
L’autre, du sombre oubli des âges, 8
Tombeau des peuples et des rois, 8
Ne sauve que les siècles sages 8
Et les légitimes exploits : 8
95 Ses clartés immenses et pures, 8
Traversant les races futures, 8
Vont s’unir au jour éternel : 8
Pareil à ces feux pacifiques, 8
Ô Vesta ! que des mains pudiques 8
100 Entretenaient sur ton autel. 8
Il saura qu’aux jours où nous sommes, 8
Pour vieillir au trône des rois, 8
Il faut montrer aux yeux des hommes 8
Ses vertus auprès de ses droits ; 8
105 Qu’assis à ce degré suprême, 8
Il faut s’y défendre soi-même, 8
Comme les dieux sur leurs autels ; 8
Rappeler en tout leur image, 8
Et faire adorer le nuage 8
110 Qui les sépare des mortels ! 8
Au pied du trône séculaire 8
Où s’assied un autre Nestor, 8
De la tempête populaire 8
Le flot calmé murmure encor ! 8
115 Ce juste, que le ciel contemple, 8
Lui montrera par son exemple 8
Comment, sur les écueils jeté, 8
On élève sur le rivage, 8
Avec les débris du naufrage, 8
120 Un temple à l’immortalité ! 8
Ainsi s’expliquaient sur ma lyre 8
Les destins présents à mes yeux ; 8
Et tout secondait mon délire, 8
Et sur la terre et dans les cieux ! 8
125 Le doux regard de l’Espérance 8
Éclairait le deuil de la France : 8
Comme, après une longue nuit, 8
Sortant d’un berceau de ténèbres, 8
L’aube efface les pas funèbres 8
130 De l’ombre obscure qui s’enfuit. 8
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