Métrique en Ligne
LAF_3/LAF82
Jules LAFORGUE
L'IMITATION DE NOTRE-DAME LA LUNE
1886
UN MOT AU SOLEIL
POUR COMMENCER
Soleil ! Soudard plaqué d'ordres et de crachats, 12
Planteur mal élevé, sache que les vestales 12
À qui la lune, en son équivoque œil-de-chat, 12
Est la rosace de l'unique cathédrale, 12
5 Sache que les Pierrots, phalènes des dolmens 12
Et des nymphéas blancs des lacs où dort Gomorrhe, 12
Et tous les bienheureux qui pâturent l'Éden 12
Toujours printanier des renoncements, — t'abhorrent. 12
Et qu'ils gardent pour toi des mépris spéciaux, 12
10 Bellâtre, maquignon, ruffian, rastaqouère 12
À breloques d'œufs d'or qui le prends de si haut 12
Avec la terre et son orpheline lunaire. 12
Continue à fournir de couchants avinés 12
Les lendemains vomis des fêtes nationales, 12
15 À styler tes saisons, à nous bien déchaîner 12
Les drames de l'apothéose ombilicale ! 12
Va, Phœbus ! Mais, Dèva, dieu des réveils cabrés, 12
Regarde un peu parfois ce port-royal d'esthètes 12
Qui, dans leurs décamérons lunaires au frais, 12
20 Ne parlent de rien moins que mettre à prix ta tête. 12
Certes, tu as encor devant toi de beaux jours ; 12
Mais la tribu s'accroît, de ces vieilles pratiques 12
De l'a quoi bon ? qui vont rêvant l'art et l'amour 12
Au seuil lointain de l'agrégat inorganique. 12
25 Pour aujourd'hui, vieux beau, nous nous contenterons 12
De mettre sous le nez de ta badauderie 12
Le mot dont l'homme t'a déjà marqué au front ; 12
Tu ne t'en étais jamais douté, je parie ? 12
— Sache qu'on va disant d'une belle phrase, os 12
30 Sonore, mais très nul comme suc médullaire, 12
De tout boniment creux enfin : c'est du pathos, 12
C'est du phœbus !— ah ! Pas besoin de commentaires… 12
Ô vision du temps où l'être trop puni, 12
D'un : « eh ! Va donc, Phœbus ! » te rentrera ton prêche 12
35 De vieux crescite et multiplicamini, 12
Pour s'inoculer à jamais la lune fraîche ! 12
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