Métrique en Ligne
LAF_2/LAF62
Jules LAFORGUE
Les Complaintes
1885
COMPLAINTE DU PAUVRE CORPS HUMAIN
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L'homme et sa compagne sont serfs 8
De corps, tourbillonnants cloaques 8
Aux mailles de harpes de nerfs 8
Serves de tout et que détraque 8
5 Un fier répertoire d'attaques. 8
Voyez l'homme, voyez ! 6
Si ça n'fait pas pitié ! 6
Propre et correct en ses ressorts, 8
S'assaisonnant de modes vaines, 8
10 Il s'admire, ce brave corps, 8
Et s'endimanche pour sa peine, 8
Quand il a bien sué la semaine. 8
Et sa compagne ! Allons, 6
Ma bell', nous nous valons. 6
15 Faudrait le voir, touchant et nu 8
Dans un décor d'oiseaux, de roses ; 8
Ses tics réflexes d'ingénu, 8
Ses plis pris de mondaines poses ; 8
Bref, sur beau fond vert, sa chlorose. 8
20 Voyez l'Homme, voyez ! 6
Si ça n'fait pas pitié ! 6
Les Vertus et les Voluptés 8
Détraquant d'un rien sa machine, 8
Il ne vit que pour disputer 8
25 Ce domaine à rentes divines 8
Aux lois de mort qui le taquinent. 8
Et sa compagne ! Allons, 6
Ma bell', nous nous valons. 6
Il se soutient de mets pleins d'art, 8
30 Se drogue, se tond, se parfume, 8
Se truffe tant, qu'il meurt trop tard ; 8
Et la cuisine se résume 8
En mille infections posthumes. 8
Oh ! Ce couple, voyez ! 6
35 Non, ça fait trop pitié. 6
Mais ce microbe subversif 8
Ne compte pas pour la Substance, 8
Dont les déluges corrosifs 8
Renoient vite pour l'Innocence 8
40 Ces fols germes de conscience. 8
Nature est sans pitié 6
Pour son petit dernier. 6
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