Métrique en Ligne
LAF_1/LAF4
Jules LAFORGUE
LE SANGLOT DE LA TERRE
1878-1883
SPLEEN DES NUITS DE JUILLET
Les jardins de rosiers mouillés de clair de lune 12
Font des rumeurs de soie, aux langueurs des jets d'eau 12
Ruisselant frais sur les rondeurs vertes des dos 12
Contournés de tritons aspergeant un Neptune. 12
5 Aux berges, sous des noirs touffus, où des citrons 12
Voudraient être meurtris des lunaires caresses, 12
Des Vierges dorment, se baignent, défont leurs tresses, 12
Ou par les prés, les corps au vent, dansent en rond. 12
D'autres, l'écume aux dents, vont déchirant leurs voiles, 12
10 Pleurant, griffant leurs corps fiévreux, pleins de frissons, 12
Saccageant les rosiers et mordant les gazons, 12
Puis, rient ainsi que des folles, vers les étoiles. 12
Et d'autres, sur le dos, des fleurs pour oreillers, 12
Râlent de petits cris d'épuisantes délices ; 12
15 Sur leurs seins durs et chauds, leurs ventres et leurs cuisses, 12
Effeuillent en rêvant les pétales mouillés. 12
Des blancheurs se cherchant s'agrafent puis s'implorent, 12
Roulant sous les buissons ensanglantés de houx 12
D'où montent des sanglots aigus mourants et doux, 12
20 Et des halètements irrassasiés, encore… 12
Ah ! spleen des nuits d'été ! Universel soupir, 12
Miserere des vents, couchants mortels d'automne ; 12
Depuis l'éternité ma plainte monotone 12
Chante le Bien-aimé qui ne veut pas venir ! 12
25 O Bien-aimé ! Il n'est plus temps, mon cœur se crève 12
Et trop pour t'en vouloir, mais j'ai tant sangloté, 12
Vois-tu, que seul m'est doux le spleen des nuits d'été, 12
Des nuits longues où tout est frais, comme un grand rêve… 12
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