Métrique en Ligne
LAF_1/LAF2
Jules LAFORGUE
LE SANGLOT DE LA TERRE
1878-1883
SOIR DE CARNAVAL
Paris chahute au gaz. L'horloge comme un glas 12
Sonne une heure. Chantez ! dansez ! la vie est brève, 12
Tout est vain, — et, là-haut, voyez, la lune rêve 12
Aussi froide qu'au temps où l'homme n'était pas. 12
5 Ah ! quel destin banal ! Tout miroite et puis passe, 12
Nous leurrant d'infini par le Vrai, par l'Amour ; 12
Et nous irons ainsi, jusqu'à ce qu'à son tour 12
La terre crève aux cieux, sans laisser nulle trace. 12
Où réveiller l'écho de tous ces cris, ces pleurs, 12
10 Ces fanfares d'orgueil que l'histoire nous nomme, 12
Babylone, Memphis, Bénarès, Thèbes, Rome, 12
Ruines où le vent sème aujourd'hui des fleurs ? 12
Et moi, combien de jours me reste-t-il à vivre ? 12
Et je me jette à terre, et je crie et frémis, 12
15 Devant les siècles d'or pour jamais endormis 12
Dans le néant sans cœur dont nul Dieu ne délivre ! 12
Et voici que j'entends, dans la paix de la nuit, 12
Un pas sonore, un chant mélancolique et bête 12
D'ouvrier ivre-mort qui revient de la fête 12
20 Et regagne au hasard quelque ignoble réduit. 12
Oh ! la vie est trop triste, incurablement triste ! 12
Aux fêtes d'ici-bas j'ai toujours sangloté : 12
« Vanité, vanité, tout n'est que vanité ! » 12
— Puis je songeais : où sont les cendres du Psalmiste ? 12
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