Métrique en Ligne
LAF_1/LAF18
Jules LAFORGUE
LE SANGLOT DE LA TERRE
1878-1883
COUCHANT D'HIVER
au Bois
Quel couchant douloureux nous avons eu ce soir ! 12
Dans les arbres pleurait un vent de désespoir, 12
Abattant du bois mort dans les feuilles rouillées. 12
A travers le lacis des branches dépouillées 12
5 Dont l'eau-forte sabrait le ciel bleu-clair et froid, 12
Solitaire et navrant, descendait l'astre-roi. 12
O Soleil ! l'autre été, magnifique en ta gloire, 12
Tu sombrais, radieux comme un grand Saint-Ciboire, 12
Incendiant l'azur ! A présent, nous voyons 12
10 Un disque safrané, malade, sans rayons, 12
Qui meurt à l'horizon balayé de cinabre, 12
Tout seul, dans un décor poitrinaire et macabre, 12
Colorant faiblement les nuages frileux 12
En blanc morne et livide, en verdâtre fielleux, 12
15 Vieil or, rose-fané. gris de plomb, lilas pâle. 12
Oh ! c'est fini, fini ! longuement le vent râle, 12
Tout est jaune et poussif ; les jours sont révolus, 12
La Terre a fait son temps ; ses reins n'en peuvent plus. 12
Et ses pauvres enfants, grêles, chauves et blêmes 12
20 D'avoir trop médité les éternels problèmes, 12
Grelottants et voûtés sous le poids des foulards 12
Au gaz jaune et mourant des brumeux boulevards, 12
D'un œil vide et muet contemplent leurs absinthes, 12
Riant amèrement, quand des femmes enceintes 12
25 Défilent, étalant leurs ventres et leurs seins, 12
Dans l'orgueil bestial des esclaves divins… 12
Ouragans inconnus dés débâcles finales, 12
Accourez ! déchaînez vos trombes de rafales ! 12
Prenez ce globe immonde et poussif ! balayez 12
30 Sa lèpre de cités et ses fils ennuyés ! 12
Et jetez ses débris sans nom au noir immense ! 12
Et qu'on ne sache rien dans la grande innocence. 12
Des soleils éternels, des étoiles d'amour. 12
De ce Cerveau pourri qui fut la Terre, un jour ! 12
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