Métrique en Ligne
LAC_3/LAC238
Auguste LACAUSSADE
Les Épaves
1876
LES AUTOMNALES
X
À Marguerite
Au voyageur las de la route, 8
Saignant aux ronces du chemin, 8
Rends l'espérance, ôte le doute ; 8
A ses tristesses tends la main. 8
5 Ne t'en vas pas. Sa vie est sombre ; 8
Une lumière est dans tes yeux : 8
Il sentira blanchir son ombre 8
Sous ton sourire lumineux. 8
Tous les rêves de sa jeunesse 8
10 L'un après l'autre l'ont déçu ; 8
Qu'en te voyant, il reconnaisse 8
L'idéal à l'aube aperçu. 8
Non ! tout n'est pas leurre et mensonges 8
Sur ce globe où l'homme est jeté : 8
15 Du plus suave de ses songes 8
Montre lui la réalité. 8
Sa pauvre âme, au bien obstinée, 8
De lutte en lutte, erre au hasard. 8
L'énigme de sa destinée, 8
20 Qu'il la lise en ton clair regard ; 8
Dans cet œil profond et candide, 8
Bleu diamant de pureté, 8
Où s'unissent, hymen splendide, 8
L'intelligence et la beauté. 8
25 Pour ses illusions fanées 8
Sois le rayon et l'eau du ciel ; 8
Rends-lui de ses jeunes années 8
Le chaste rêve originel. 8
Ce que l'âme rêve ou devine, 8
30 Souvenir ou pressentiment, 8
Est une promesse divine : 8
Or, Dieu jamais ne se dément. 8
C'est lui qui dans nos cœurs allume 8
Les hauts instincts dont nous souffrons ; 8
35 Le songe ardent qui nous consume, 8
Un jour nous le posséderons. 8
Cet idéal où tend notre âme 8
Peut se trouver dès ici-bas. 8
Verrions-nous luire en nous la flamme 8
40 Si le foyer n'existait pas ? 8
Sois pour ce fils d'une autre terre, 8
Cet exilé vers toi venu, 8
La Psyché faite de mystère 8
Dont s'éprit son cœur ingénu. 8
45 Aimer, souffrir, lutter, attendre, 8
Voilà quel lot lui fit le sort. 8
Pour ce chercheur stoïque et tendre 8
Sois la main qui conduit au port. 8
Donne une forme à sa pensée, 8
50 Donne un corps à sa vision ; 8
De sa chimère caressée 8
Sois la blanche apparition. 8
Sois dans la nuit pour sa paupière 8
L'étoile du bien et du beau ; 8
55 Affirme à ses yeux la lumière 8
Avant qu'il descende au tombeau. 8
Sois la sœur, la consolatrice 8
Qu'attendent ses jours éprouvés ; 8
L'âme, la lyre inspiratrice 8
60 De ses destins inachevés. 8
Sois la Muse aux chastes tendresses 8
Qu'en secret il saura bénir : 8
Acquitte envers lui les promesses 8
Qu'à son passé fit l'avenir. 8
65 Espoirs déçus ! prière vaine ! 8
Ainsi qu'une ombre dans la nuit, 8
Ainsi qu'un souffle dans la plaine, 8
La vision s'évanouit. 8
Résigne-toi, poète, oublie 8
70 Ce dernier rêve de ton cœur. 8
Souffre et pars. La mélancolie 8
Seule ici-bas sera ta sœur. 8
Lève-toi, suis ta route austère, 8
Vis pour ton art sous l'œil de Dieu. 8
75 Dis aux promesses de la terre 8
Un tranquille et suprême adieu. 8
N'attends rien de la créature, 8
Rien que l'humaine infirmité : 8
Le vide, ici ; là, l'imposture ; 8
80 Et partout la fragilité. 8
Ne mets dans l'homme et dans la femme 8
Ton amour ni ton amitié ; 8
Mais pour tous deux emplis ton âme 8
D'une intarissable pitié ! 8
85 Étouffe en toi toute amertume, 8
Sois doux à tes propres douleurs : 8
L'oiseau lave au ruisseau sa plume, 8
Lavons notre orgueil dans nos pleurs. 8
Comme un palmier de nos collines, 8
90 Comme le saule ami des eaux, 8
Aime la brise où tu t'inclines 8
Et qui fait gémir tes rameaux. 8
Aime l'épine pour la rose 8
Qui t'enivre de son odeur ; 8
95 Refais ta vie et la compose 8
D'apaisement et de candeur. 8
L'abeille change en ambroisie 8
De l'absinthe les sucs amers ; 8
Change comme elle en poésie 8
100 L'âcre saveur de tes revers. 8
Songeant qu'ici-bas toute épreuve 8
Doit être une expiation, 8
Dans la coupe où ta soif s'abreuve 8
Bois ta propre rédemption. 8
105 Tourne-toi vers la solitude, 8
Et, sous la paix des palmiers verts, 8
Fais de toi-même ton étude, 8
De toi-même et de l'univers. 8
Absorbe-toi dans la nature, 8
110 Merveilleux et vivant tableau ; 8
Donne à ton esprit pour pâture 8
La contemplation du beau. 8
Acceptant ces lois impassibles 8
Dont le règne éblouit tes yeux, 8
115 Cesse de tes vœux impossibles, 8
Cesse d'importuner les cieux ; 8
Et sans révoltes misérables, 8
Incline enfin ta liberté 8
Sous les décrets impénétrables 8
120 De l'infaillible Volonté. 8
Suis ta route, et si tu succombes, 8
Heureux de son sort accompli, 8
Dors en paix : — l'herbe sur les tombes 8
Pousse moins vite que l'oubli. 8
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