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LAC_2/LAC90
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
LIX
Disjecti Membra Poetae
Oui, l'œuvre a trahi la promesse ! 8
Leur torrent aux folles rumeurs 8
Ne vaut pas l'antique Permesse, 8
L'onde où buvaient nos vieux rimeurs. 8
5 « Cependant chacun d'eux s'admire. 8
En est-il un seul, en effet, 8
Qui dans son œuvre ne se mire, 8
Fringant, pimpant et satisfait ? 8
« Celui-ci, de rimes exquises 8
10 Façonnant ses versiculets, 8
Ciselle en l'honneur des marquises 8
Sonnets, rondeaux et triolets. 8
« Ceux-là, du goût bravant la règle, 8
Affichant des airs de pandour, 8
15 Aiglons dont Dorat serait l'aigle, 8
Changent la Muse en Pompadour. 8
« Berger de normande facture, 8
Plus épris d'or que de coteaux, 8
L'un essaye en littérature 8
20 Le genre poudré des Watteaux. 8
« Sous la matière étouffant l'âme, 8
Pour sa force aimant la laideur, 8
L'autre envie à l'hippopotame 8
Sa robuste et vaste lourdeur. 8
25 « Groupe à l'étrange fantaisie ! 8
Stérile et grotesque travers ! 8
Si c'est là de la poésie, 8
Boileau ! je retourne à tes vers ! » 8
Ainsi dit la foule en son blâme. 8
30 Mais toi, bien qu'hostile aux défauts, 8
Sache démêler dans la trame 8
Le bien du mal, le vrai du faux ! 8
Dans cette arène poétique 8
Où près des fous luttent les forts, 8
35 Esprit ouvert, cœur sympathique, 8
Applaudis aux nobles efforts. 8
Tout louer d'eux serait peu sage, 8
Mais tout n'est point à rejeter : 8
Que d'or pur dans cet alliage 8
40 Pour qui saurait en profiter ! 8
Pris du vin des vertes années, 8
Impatients des vieux drapeaux, 8
Du front des muses surannées 8
Leur main fit choir les oripeaux. 8
45 Raillant des classiques entraves 8
La sénile infécondité, 8
Ils ont à nos lyres esclaves 8
Rendu jeunesse et liberté. 8
Si dans leur fougue de réforme 8
50 Ils ont frappé vrais et faux dieux, 8
Ils ont au moins dompté la forme 8
Si rebelle et dure aux aïeux 8
C'est leur part dans l'œuvre commune, 8
Eh ! pourquoi la leur refuser ? 8
55 Leur rôle, à ces fils de fortune, 8
Fut moins de fonder que d'oser. 8
D'un art perdu cherchant la trace, 8
Ils ont plus détruit que semé ; 8
Mais leur amour fit leur audace : 8
60 Pardonnons-leur, ils ont aimé ! 8
Des libertés à la licence, 8
Certes, plus d'un vint aboutir : 8
Plaignons cette aveugle puissance 8
Qui sait détruire et non bâtir. 8
65 Vaincus même ils restent utiles. 8
L'Art demandait à rajeunir : 8
Il est des défaites fertiles 8
Pour les moissons de l'avenir. 8
Jonchant l'arène littéraire, 8
70 Ils sont la pierre et le ciment 8
Dont quelque jour un heureux frère 8
Fera sortir son monument. 8
Hélas ! que de vaine fumée, 8
Que de tumulte et que de bruit, 8
75 Pour qu'une pure renommée 8
Se lève au sein de notre nuit ! 8
Qu'il se lève, l'astre-poète 8
Que l'art pressent confusément ! 8
D'une lumière enfin complète 8
80 Saluons tous l'avènement ! 8
Mais avec la tourbe servile, 8
Nous, n'insultons point aux vaincus ! 8
Admirons, adorons Virgile, 8
Mais parfois plaignons Ennius. 7
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