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LAC_2/LAC67
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XXXVI
Adieux et réponses à mes Amis de l'Île de France
Nos deux îles sont sœurs, vous êtes notre frère.
D…
Poète, en vain tu me compares 8
Au rossignol, barde des airs ; 8
Je crains l'éclat dont tu me pares, 8
Je crains de trop croire à tes vers. 8
5 Mes lèvres, de bonheur muettes, 8
Boiraient au miel de tes accents ; 8
Car, tu le sais, dieux et poètes, 8
Ami, se nourrissent d'encens. 8
Gardons le sceptre à de plus dignes ! 8
10 Ma muse est ta plus humble sœur. 8
Du verbe harmonieux des cygnes 8
Sa voix n'eut jamais la douceur. 8
Dans nos jours où parfois se mêle 8
Un chant d'espoir aux chants troublés, 8
15 Je n'ai connu de Philomèle 8
Que les soupirs inconsolés. 8
Sombre aussi fut ma destinée, 8
Bien lourds aussi mes maux soufferts, 8
Ma vie aussi fut enchaînée, 8
20 Ma muse aussi connut les fers ! 8
Mais Dieu, qui permit ma souffrance, 8
A mes lèvres n'a point donné 8
L'hymne vaillant de l'espérance, 8
L'hymne aux conquêtes destiné ! 8
25 Pour lutter je n'eus d'autres armes 8
Que ma pauvre lyre et mes pleurs ; 8
Et c'est toujours dans l'eau des larmes 8
Qu'en secret éclosent mes fleurs. 8
Si la douleur fait l'harmonie, 8
30 Les cœurs me souriront un jour. 8
Mais, quoi ! tu parles de génie 8
A moi qui n'ai rêvé qu'amour. 8
Je suis cet oiseau de passage 8
Qui n'a de voix que pour gémir, 8
35 Et qui s'en va de plage en plage, 8
Fait pour chanter et pour mourir. 8
Enivré d'un ciel sans orage, 8
Oubliant la brume et les flots, 8
Il chante à l'arbre qui l'ombrage 8
40 Des chants qui n'auront point d'échos ; 8
Des chants que l'arbre qui l'accueille, 8
Des chants que l'onde aux frais roseaux 8
Verra tomber avant sa feuille, 8
Verra tarir avant ses eaux. 8
45 Qu'importe ! Il n'est d'écho qui dure, 8
Et la fleur passe avant l'été. 8
Ami, la gloire et la verdure 8
Sont sœurs par la fragilité. 8
Du bonheur pleurant le veuvage, 8
50 Semblable au pèlerin ailé, 8
J'erre au hasard, loin du rivage 8
Où mes jours d'enfance ont coulé. 8
Pour moi la saison rigoureuse, 8
Hélas ! a devancé le temps, 8
55 Et ma tristesse harmonieuse 8
N'eut point à chanter de printemps. 8
La douleur connaît mon visage ; 8
Jeune encor j'appris à souffrir. 8
Oh ! je suis l'oiseau de passage, 8
60 Fait pour chanter et pour mourir. 8
Mais, quels que soient l'homme et la rive 8
Que ma nef aborde en son cours, 8
Si la terre où ma barque arrive 8
M'ouvre ses bras pour quelques jours ; 8
65 Séduit par la beauté des âmes, 8
Séduit par la beauté des lieux, 8
D'un ciel plus doux sentant les flammes 8
Inonder mon cœur et mes yeux, 8
Je chante, heureuse créature, 8
70 Enfant par les muses hanté, 8
Je chante l'homme et la nature, 8
Je chante l'hospitalité. 8
Sois donc béni, toi dont la lyre 8
M'accueille en frère sur ces bords ! 8
75 Béni dans ton heureux délire ! 8
Béni dans tes heureux transports ! 8
Que le flot à ma nef contraire 8
Pour toi n'ait jamais de rigueurs ! 8
Que toujours il te porte, ô frère ! 8
80 Vers des groupes d'îles en fleurs. 8
Qu'un vent frais chasse tout nuage 8
Qui pourrait voiler tes beaux jours, 8
Et, doux chanteur, qu'un doux feuillage 8
Abrite tes douces amours ! 8
85 Des muses garde en toi la flamme ! 8
Sois gai ! sois aimant ! sois vainqueur ! 8
La joie est la santé de l'âme ! 8
L'amour est la santé du cœur ! 8
Qu'à ta lèvre ivre d'harmonie 8
90 Le ciel, prodiguant les accords, 8
Donne, avec le pain du génie, 8
Le pain que réclame le corps ! 8
Et toi, sois à jamais bénie, 8
Vierge nature, ô vierge sol ! 8
95 Terre, berceau de Virginie, 8
O terre où vit l'ombre de Paul ! 8
Île où tant d'âmes fraternelles 8
Étonnent mon cœur converti ! 8
Île où tant d'amitiés fidèles 8
100 A mon espoir n'ont point menti ! 8
De tes jours que l'arbre prospère 8
N'ait jamais de fruit avorté ! 8
Que pour tes fils tout sage espère 8
Une intelligente unité ! 8
105 Garde à tous d'égales tendresses ! 8
Surtout sois douce aux cœurs brisés ! 8
Ils ont tous droit à tes caresses, 8
Qu'ils aient tous part à tes baisers ! 8
Et moi, dont la lyre éphémère 8
110 Pour t'aimer ne vaut pas mon cœur, 8
Chéris-moi comme une autre mère, 8
Moi qui suis le fils de ta sœur ! 8
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