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LAC_2/LAC64
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
XXXIII
Les Pamplemousses
Vous souvient-il ? un jour, assis aux Pamplemousses, 12
Dans la vallée ombreuse aux ineffables voix, 12
Je vous disais, au bruit des ondes sur les mousses, 12
Aux frais gazouillements des oiseaux dans les bois : 12
5 « Là-bas, le voyez-vous, ce rêveur lent et triste, 12
Qui sous les verts palmiers s'éloigne à pas distraits ? 12
C'est un jeune homme au sein d'apôtre, au front d'artiste ; 12
Avec la Muse il a des entretiens secrets. 12
« Son œil pensif, cherchant des bois la quiétude, 12
10 Darde parfois l'éclair d'une idéale ardeur ; 12
Mais tout en lui parfois a la pâle attitude 12
D'une fleur qu'un insecte aurait piquée au cœur. 12
« Qu'a-t-il ? Seul, à l'écart, s'il souffre, il veut se taire : 12
Comme un exilé fier parmi nous égaré, 12
15 Il passe à nos cotés songeur et solitaire ; 12
Rien qu'à les voir, on sent que ses yeux ont pleuré. 12
« Ah ! quel que soit son mal, respectons sa tristesse ; 12
Un mystère est au fond des muettes douleurs : 12
Est-ce amour ou dédain ? est-ce orgueil ou tendresse ? 12
20 Qu'importe ! rien n'est vrai dans l'homme que ses pleurs. 12
« Être inquiet, nature irascible et puissante, 12
L'artiste a des dégoûts à tout autre inconnus : 12
Molle et douce à nos pas, rude et pour lui cuisante, 12
L'herbe de nos sentiers fait saigner ses pieds nus. 12
25 « C'est un de ces cœurs faits de force et de faiblesse, 12
En eux portant l'esprit qui les doit torturer : 12
Un rien l'exalte, un rien le trouble, un rien le blesse ; 12
Ce qui nous fait sourire, hélas ! le fait pleurer. 12
« Lys voilé dont l'encens au vent du beau s'exhale, 12
30 Ce cœur que pour l'amour Dieu sans doute a formé, 12
Ouvert à l'Art, buvant sa rosée idéale, 12
Semble à tout autre culte être à jamais fermé. 12
« Et plus fervent encor, quel culte à la nature ! 12
Tout en elle a pour lui de mystiques lueurs, 12
35 Et l'on dirait parfois, rêveuse créature, 12
Qu'il cause avec les vents, les ondes et les fleurs. 12
« Morne et désabusé, le beau pourtant l'enflamme ; 12
Poète, il en subit le charme sérieux, 12
Et, sympathique esprit, une étoile, une femme, 12
40 Réjouissent toujours sa pensée et ses yeux. 12
« Tout à l'heure, en passant à vos côtés, Madame, 12
Un instant son regard s'est reposé sur vous, 12
Et soudain à sa lèvre est monté de son âme 12
Un sourire étonné, mélancolique et doux. 12
45 « Ah ! ne rougissez point de ce muet hommage, 12
Cygne, dont il n'a fait qu'entrevoir les blancheurs ; 12
Laissez-le dans sa grâce emporter votre image, 12
Comme un souvenir plein de lointaines fraîcheurs. 12
« Qui sait ? peut-être un jour, rêvant aux Pamplemousses, 12
50 A ce vallon tranquille aux ineffables voix, 12
A ce bruit cadencé des ondes sur les mousses, 12
A ces gazouillements des oiseaux dans les bois ; 12
« Triste et les yeux remplis de ce doux paysage, 12
Air mol et bleu, jardins où chantent les ruisseaux, 12
55 Où blanche il vous a vue à travers le feuillage 12
Comme un marbre sans tache à l'ombre des berceaux ; 12
« Qui sait ? peut-être alors, fleur lumineuse et pure, 12
Votre frais souvenir dans son âme éclora ; 12
Et ses doigts graveront votre chaste figure 12
60 Dans un vers calme et beau que l'avenir lira. » 12
Île de France.
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