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LAC_2/LAC113
Auguste LACAUSSADE
Poèmes et Paysages
1852
POÈMES ET PAYSAGES
LXXXII
Sur la Mort d'un ami d'enfance
A La Mémoire De CH. Jamin.
Encore une feuille qui tombe 8
De l'arbre où j'appuyais mon cœur ; 8
Encore un ami dans la tombe, 8
Encore un deuil dans ma douleur. 8
5 Le jour décroît, l'ombre s'avance, 8
Notre astre baisse à l'horizon : 8
De solitude et de silence 8
Chaque heure emplit notre maison. 8
Muette et vide est la demeure 8
10 Où riaient les espoirs amis. 8
Ces purs espoirs que chacun pleure 8
Avant nous se sont endormis. 8
Ah ! vous pleurer, c'est se survivre, 8
Vous qu'on aima dès le berceau. 8
15 Hélas ! ceux qui devraient nous suivre 8
Nous devancent dans le tombeau. 8
Lassés d'un long pèlerinage, 8
Les meilleurs s'en vont les premiers. 8
Ils sont plusieurs de mon jeune âge 8
20 Qui dorment dans l'île aux Palmiers. 8
Le plus cher naquit sur ces grèves 8
Où mes yeux s'ouvrirent au jour. 8
Notre enfance eut les mêmes rêves 8
Et notre esprit le même amour. 8
25 Nous aimions — ce que j'aime encore — 8
Le chant de la brise et des eaux, 8
Les bois, les monts baignés d'aurore, 8
Les clairs vallons tout pleins d'oiseaux. 8
Nous vous aimions, muses divines ! 8
30 Ce qu'il cherchait au fond des bois, 8
Près des flots, au creux des ravines, 8
C'était l'écho de votre voix. 8
Il t'aimait, sainte Poésie, 8
D'un culte ardent et virginal ! 8
35 Il ne voyait l'homme et la vie 8
Qu'à travers ton prisme idéal. 8
Au temps des fraîches confidences 8
Et des naïfs épanchements, 8
La beauté de ses espérances 8
40 Enivrait mes enivrements. 8
O réveil des belles ivresses ! 8
O mensonge et déceptions ! 8
Qu'importe !… nos seules richesses 8
Sont encor nos illusions. 8
45 Esprit candide, âme charmante, 8
Aux rêves bleus comme son ciel, 8
Il avait la douceur aimante, 8
La douceur des enfants d'Abel. 8
Nature inoffensive et tendre, 8
50 Il allait vers les cœurs brisés : 8
Les pleurs que sa mort fit répandre 8
Sont les seuls pleurs qu'il ait causés. 8
Né sur un sol où l'esclavage 8
Attristait sa jeune équité, 8
55 Pour tout homme et sur-tout rivage 8
Il t'implorait, o Liberté ! 8
Sans dédain, sans fiel, sans envie, 8
Âme égale et soumise au sort, 8
Comme il fut clément à la vie, 8
60 Il fut souriant à la mort. 8
Il tomba riche encor d'années, 8
Dans la verdeur de sa saison. 8
De fleurs avant le temps fanées 8
Sèmerai-je un jour son gazon ?… 8
65 Eh bien, ta part est la meilleure, 8
Doux jeune homme au rêve ingénu ! 8
Ce n'est pas toi sur qui je pleure, 8
Mais sur quelqu'un qui t'a connu. 8
Comme un arbre en pleine lumière, 8
70 Aux rameaux par l'aube mouillés, 8
Tu meurs dans ta grâce première, 8
Avant tes songes effeuillés. 8
Pour toi plus d'orage en ce monde ! 8
Touchant au port avant le soir, 8
75 Tu n'as point au gouffre de l'onde 8
Vu sombrer ton dernier espoir ! 8
Atteint dans toutes tes tendresses, 8
Déçu dans toutes tes ferveurs, 8
Tu n'as point connu ces détresses 8
80 Dont le mystère est dans nos cœurs ! 8
Tu n'as point, dans la solitude, 8
Morne et traînant le poids des jours, 8
Connu l'amère lassitude 8
De se survivre en ses amours ! 8
85 Oh ! oui, ta part est la meilleure : 8
Tu t'en vas pur et dans ta foi ; 8
Ta vie est close, et si je pleure, 8
C'est sur un autre que sur toi. 8
Au pied de la montagne austère 8
90 Que dore le couchant vermeil, 8
Jeune homme, en ta couche de terre, 8
Dors en paix ton dernier sommeil. 8
Que la mauve blanche des grèves 8
Sur ta croix noire, au bord des flots, 8
95 Vienne mêler ses notes brèves 8
Au chant plaintif des filaos. 8
Dors en paix à leur doux murmure… 8
Pour oublier et pour bénir, 8
Mon cœur, à qui la vie est dure, 8
100 Se tourne vers ton souvenir ! 8
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