65 |
Deux mères dans la plaine, à pas précipités, |
12 |
|
Cherchent leurs fils, hélas ! que la loi de la guerre |
12 |
|
Ravit à leur amour, qu’elle a tous deux jetés |
12 |
|
En des camps opposés sur cette froide terre. |
12 |
|
L’une dit : «Mon village est, Messieurs, près d’ici. |
12 |
70 |
Quand le garçon partit, aux beaux jours de l’année, |
12 |
|
J’avais le cœur bien triste et tout plein de souci. |
12 |
|
Il ne me restait plus que sa sœur, son aînée, |
12 |
|
Et je suis pauvre. Enfin quand le tambour |
10 |
|
Annonça qu’il fallait vite entrer en campagne, |
12 |
75 |
Je me dis : Ah ! pourquoi n’est-il pas de retour ? |
12 |
|
Que m’importent, à moi, Bismarck et rois d’Espagne !… |
12 |
|
Il écrivait alors… il était plein d’espoir : |
12 |
|
« — Ne t’inquiète pas. Je serai capitaine ! |
12 |
|
« Tu me verras entrer dans ta chambre, un beau soir, |
12 |
80 |
« Non plus en paysan, en habits de milaine, |
12 |
|
« Mais brillant officier avec la croix d’honneur |
12 |
|
« Et l’épaulette d’or ! Va ! ne crains rien, ma mère, |
12 |
|
« Dieu protège la France et nous avons du cœur. |
12 |
|
« Pendant qu’on se battra, prie, attends, crois, espère ! » |
12 |
85 |
« Voici le soir venu… tantôt son régiment, |
12 |
|
Diminué du tiers, a passé. — « Camarades ! |
12 |
|
« Mon fils n’était-il pas avec vous ? » Oh ! tourment ! |
12 |
|
« — Non, mère, il est resté… » — « Mort ? » — « Parmi les malades… » |
12 |
|
« Mais ils ont dit cela d’un ton qui m’a fait peur |
12 |
90 |
Et je viens… Le voici ! Quoi ! C’est lui que je trouve |
12 |
|
En cet état, grand Dieu ! Vous n’avez point de cœur ! |
12 |
|
Brigands ! oh ! je vous hais !…» Et, pareille à la louve |
12 |
|
Qui défend son petit contre un chien enragé, |
12 |
|
Elle prend de son fils la tête inanimée… |
12 |
95 |
« Oui, c’est lui ! C’est bien lui ! Comme ils l’ont arrangé ! |
12 |
|
Viens dans mes bras, Charlot ! De douleur abîmée, |
12 |
|
Comme toi, je voudrais mourir en cet instant. |
12 |
|
Tes beaux cheveux sont pleins de sang et de poussière, |
12 |
|
Tes cheveux que j’ai tant soignés, alors qu’enfant |
12 |
100 |
Tu faisais le bonheur de la famille entière… |
12 |
|
Ils étaient blonds, bouclés… et maintenant ils sont noirs… |
13 |
|
Chacun te trouvait beau, les mamans et les filles ; |
12 |
|
Ta sœur me le disait, en cousant, tous les soirs… |
12 |
|
J’aime mieux te voir mort que marchant en béquilles, |
12 |
105 |
Et, puisque la patrie est perdue à toujours, |
12 |
|
Nous pleurerons sur toi, nous pleurerons sur elle… » |
12 |
|
« — Femme ! Ayez bon courage, et dans les sombres jours |
12 |
|
Pensez à l’avenir de notre âme immortelle, » |
12 |
|
Lui dit en l’embrassant la Sœur de Charité |
12 |
110 |
Qui pour la soutenir l’avait de près suivie |
12 |
|
Et depuis un moment priait à son coté. |
12 |
|
« — Voyez, vers ce canon, d’horreur évanouie, |
12 |
|
Cette mère allemande et son fils qui n’est plus : |
12 |
|
Elle aussi, comme vous, mais de bien loin, sans doute, |
12 |
115 |
Veuve et seule avec lui (que d’efforts superflus !) |
12 |
|
L’accompagna sans pleurs jusqu’au bout de la route. |
12 |
|
Elle vient de Bavière, et chez nous, ce matin, |
12 |
|
Sachant qu’au nom de Christ notre porte est ouverte, |
12 |
|
Fatiguée et craintive elle tendit la main. |
12 |
120 |
Pour elle aussi, ma sœur, la maison est déserte |
12 |
|
Désormais. Aimez-là. Pitié pour son malheur ! |
12 |
|
Vos enfants ont lutté ce soir l’un contre l’autre |
12 |
|
Sans s’être jamais vus, sans haine dans le cœur… |
12 |
|
Bannissez le courroux qui semble emplir le vôtre. |
12 |
125 |
Ces deux chrétiens, ensemble, ont monté vers le ciel. |
12 |
|
Souvenez-vous, ma sœur, des larmes de Marie… |
12 |
|
On n’est jamais vaincu lorsqu’on est immortel. |
12 |
|
Dieu parle, Dieu sourit à la mère qui prie… » |
12 |