Métrique en Ligne
HUG_9/HUG772
Victor HUGO
L'année terrible
1872
JUILLET
X
O Charles, je te sens près de moi. Doux martyr, 12
Sous terre où l'homme tombe, 6
Je te cherche, et je vois l'aube pâle sortir 12
Des fentes de ta tombe. 6
5 Les morts, dans le berceau, si voisin du cercueil, 12
Charmants, se représentent ; 6
Et pendant qu'à genoux je pleure, sur mon seuil 12
Deux petits enfants chantent. 6
Georges, Jeanne, chantez ! Georges, Jeanne, ignorez ! 12
10 Reflétez votre père, 6
Assombris par son ombre indistincte, et dorés 12
Par sa vague lumière. 6
Hélas ! que saurait-on si l'on ne savait point 12
Que la mort est vivante ! 6
15 Un paradis, où l'ange à l'étoile se joint, 12
Rit dans cette épouvante. 6
Ce paradis sur terre apparaît dans l'enfant. 12
Orphelins, Dieu vous reste. 6
Dieu, contre le nuage où je souffre, défend 12
20 Votre lueur céleste. 6
Soyez joyeux pendant que je suis accablé. 12
A chacun son partage. 6
J'ai vécu presque un siècle, enfants ; l'homme est troublé 12
Par de l'ombre à cet âge. 6
25 Est-on sûr d'avoir fait, ne fût-ce qu'à demi, 12
Le bien qu'on pouvait faire ? 6
A-t-on dompté la haine, et de son ennemi 12
A-t-on été le frère ? 6
Même celui qui fit de son mieux a mal fait. 12
30 Le remords suit nos fêtes. 6
Je sais que, si mon cœur quelquefois triomphait, 12
Ce fut dans mes défaites. 6
En me voyant vaincu je me sentais grandi. 12
La douleur nous rassure. 6
35 Car à faire saigner je ne suis pas hardi ; 12
J'aime mieux ma blessure. 6
Et, loi triste ! grandir, c'est voir grandir ses maux. 12
Mon faite est une cible. 6
Plus j'ai de branches, plus j'ai de vastes rameaux, 12
40 Plus j'ai d'ombre terrible. 6
De là mon deuil tandis que vous êtes charmants. 12
Vous êtes l'ouverture 6
De l'âme en fleur mêlée aux éblouissements 12
De l'immense nature. 6
45 George est l'arbuste éclos dans mon lugubre champ ; 12
Jeanne dans sa corolle 6
Cache un esprit tremblant à nos bruits et tâchant 12
De prendre la parole. 6
Laissez en vous, enfants qu'attendent les malheurs, 12
50 Humbles plantes vermeilles, 6
Bégayer vos instincts, murmure dans les fleurs, 12
Bourdonnement d'abeilles. 6
Un jour vous apprendrez que tout s'éclipse, hélas ! 12
Et que la foudre gronde 6
55 Dès qu'on veut soulager le peuple, immense Atlas, 12
Sombre porteur du monde. 6
Vous saurez que, le sort étant sous le hasard, 12
L'homme, ignorant auguste, 6
Doit vivre de façon qu'à son rêve plus tard 12
60 La vérité s'ajuste. 6
Moi-même un jour, après la mort, je connaîtrai 12
Mon destin que j'ignore, 6
Et je me pencherai sur vous, tout pénétré 12
De mystère et d'aurore. 6
65 Je saurai le secret de l'exil, du linceul 12
Jeté sur votre enfance, 6
Et pourquoi la justice et la douceur d'un seul 12
Semble à tous une offense. 6
Je comprendrai pourquoi, tandis que vous chantiez, 12
70 Dans mes branches funèbres, 6
Moi qui pour tous les maux veux toutes les pitiés, 12
J'avais tant de ténèbres. 6
Je saurai pourquoi l'ombre implacable est sur moi, 12
Pourquoi tant d'hécatombes, 6
75 Pourquoi l'hiver sans fin m'enveloppe, pourquoi 12
Je m'accrois sur des tombes ; 6
Pourquoi tant de combats, de larmes, de regrets, 12
Et tant de tristes choses ; 6
Et pourquoi Dieu voulut que je fusse un cyprès 12
80 Quand vous étiez des roses. 6
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