JUIN |
XII |
LES FUSILLÉS |
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Guerre qui veut Tacite et qui repousse Homère ! |
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La victoire s'achève en massacre sommaire. |
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Ceux qui sont satisfaits sont furieux ; j'entends |
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Dire : — Il faut en finir avec les mécontents. — |
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Alceste est aujourd'hui fusillé par Philinte. |
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Faites. |
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Faites. Partout la mort. Eh bien, pas une plainte. |
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O blé que le destin fauche avant qu'il soit mûr ! |
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O peuple ! |
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O peuple ! On les amène au pied de l'affreux mur. |
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C'est bien. Ils ont été battus du vent contraire. |
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L'homme dit au soldat qui l'ajuste : Adieu, frère. |
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La femme dit : — Mon homme est tué. C'est assez. |
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Je ne sais s'il eut tort ou raison, mais je sais |
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Que nous avons traîné le malheur côte à côte ; |
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Il fut mon compagnon de chaîne ; si l'on m'ôte |
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Cet homme, je n'ai plus besoin de vivre. Ainsi |
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Puisqu'il est mort, il faut que je meure. Merci. — |
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Et dans les carrefours les cadavres s'entassent. |
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Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent ; |
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Elles chantent ; leur grâce et leur calme innocent |
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Inquiètent la foule effarée ; un passant |
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Tremble. — Où donc allez-vous ? dit-il à la plus belle. |
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Parlez. — Je crois qu'on va nous fusiller, dit-elle. |
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Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau ; |
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C'est le tonnerre ouvrant et fermant le tombeau. |
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Là des tas d'hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ; |
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Il semble que leur mort à peine les effleure, |
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Qu'ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet, |
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Triste, et que cette mise en liberté leur plaît. |
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Nul ne bronche. On adosse à la même muraille |
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Le petit-fils avec l'aïeul, et l'aïeul raille, |
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Et l'enfant blond et frais s'écrie en riant : Feu ! |
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Ce rire, ce dédain tragique, est un aveu. |
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Gouffre de glace ! énigme où se perd le prophète ! |
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Donc ils ne tiennent pas à la vie ; elle est faite |
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De façon qu'il leur est égal de s'en aller. |
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C'est en plein mois de mai ; tout veut vivre et mêler |
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Son instinct ou son âme à la douceur des choses ; |
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Ces filles-là devraient aller cueillir des roses ; |
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L'enfant devrait jouer dans un rayon vermeil ; |
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L'hiver de ce vieillard devrait fondre au soleil ; |
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Ces âmes devraient être ainsi que des corbeilles |
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S'emplissant de parfums, de murmures d'abeilles, |
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De chants d'oiseaux, de fleurs, d'extase, de printemps ! |
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Tous devraient être d'aube et d'amour palpitants. |
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Eh bien, dans ce beau mois de lumière et d'ivresse, |
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O terreur ! c'est la mort qui brusquement se dresse, |
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La grande aveugle, l'ombre implacable et sans yeux ; |
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Oh ! comme ils vont trembler et crier sous les cieux, |
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Sangloter, appeler à leur aide la ville, |
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La nation qui hait l'Euménide civile, |
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Toute la France, nous, nous tous qui détestons |
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Le meurtre pêle-mêle et la guerre à tâtons ! |
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Comme ils vont, l'œil en pleurs, bras tordus, mains crispées |
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Supplier les canons, les fusils, les épées, |
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Se cramponner aux murs, s'attacher aux passants, |
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Et fuir, et refuser la tombe, frémissants ; |
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Et hurler : On nous tue ! au secours ! grâce ! grâce ! |
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Non. Ils sont étrangers à tout ce qui se passe ; |
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Ils regardent la mort qui vient les emmener. |
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Soit. Ils ne lui font pas l'honneur de s'étonner. |
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Ils avaient dès longtemps ce spectre en leur pensée. |
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Leur fosse dans leur cœur était toute creusée. |
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Viens, mort ! |
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Viens, mort ! Être avec nous, cela les étouffait. |
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Ils partent. Qu'est-ce donc que nous leur avions fait ? |
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O révélation ! Qu'est-ce donc que nous sommes |
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Pour qu'ils laissent ainsi derrière eux tous les hommes, |
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Sans un cri, sans daigner pleurer, sans un regret ? |
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Nous pleurons, nous. Leur cœur au supplice était prêt. |
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Que leur font nos pitiés tardives ? Oh ! quelle ombre ! |
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Que fûmes-nous pour eux avant cette heure sombre ? |
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Avons-nous protégé ces femmes ? Avons-nous |
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Pris ces enfants tremblants et nus sur nos genoux ? |
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L'un sait-il travailler et l'autre sait-il lire ? |
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L'ignorance finit par être le délire ; |
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Les avons-nous instruits, aimés, guidés enfin, |
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Et n'ont-ils pas eu froid ? et n'ont-ils pas eu faim ? |
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C'est pour cela qu'ils ont brûlé vos Tuileries. |
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Je le déclare au nom de ces âmes meurtries, |
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Moi, l'homme exempt des deuils de parade et d'emprunt, |
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Qu'un enfant mort émeut plus qu'un palais défunt |
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C'est pour cela qu'ils sont les mourants formidables, |
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Qu'ils ne se plaignent pas, qu'ils restent insondables, |
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Souriants, menaçants, indifférents, altiers, |
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Et qu'ils se laissent presque égorger volontiers. |
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Méditons. Ces damnés, qu'aujourd'hui l'on foudroie, |
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N'ont pas de désespoir n'ayant pas eu de joie. |
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Le sort de tous se lie à leur sort. Il le faut. |
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Frères, bonheur en bas, sinon malheur en haut ! |
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Hélas ! faisons aimer la vie aux misérables. |
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Sinon, pas d'équilibre. Ordre vrai, lois durables, |
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Fortes mœurs, paix charmante et virile pourtant, |
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Tout, vous trouverez tout dans le pauvre content. |
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La nuit est une énigme ayant pour mot l'étoile. |
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Cherchons. Le fond du cœur des souffrants se dévoile. |
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Le sphinx, resté masqué, montre sa nudité. |
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Ténébreux d'un côté, clair de l'autre côté, |
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Le noir problème entr'ouvre à demi la fenêtre |
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Par où le flamboiement de l'abîme pénètre. |
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Songeons, puisque sur eux le suaire est jeté, |
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Et comprenons. Je dis que la société |
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N'est point à l'aise ayant sur elle ces fantômes ; |
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Que leur rire est terrible entre tous les symptômes, |
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Et qu'il faut trembler, tant qu'on n'aura pu guérir |
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Cette facilité sinistre de mourir. |
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