Métrique en Ligne
HUG_9/HUG740
Victor HUGO
L'année terrible
1872
MAI
II
Les siècles sont au peuple ; eux, ils ont le moment, 12
Ils en usent. O lutte étrange ! Acharnement ! 12
Chacun à grand bruit coupe une branche de l'arbre. 12
Là, des éclats d'airain, là, des éclats de marbre ; 12
5 La colonne romaine ainsi que l'arc français 12
Tombent. Que dirait-on de toi si tu faisais 12
Envoler ton lion de Saint-Marc, ô Venise ! 12
L'histoire est balafrée et la gloire agonise. 12
Quoi qu'on puisse penser de la France d'hier, 12
10 De cette rude armée et de ce peuple fier, 12
Et de ce que ce siècle à son troisième lustre 12
Avait rêvé, tenté, voulu, c'était illustre. 12
Pourquoi l'effacement ? qu'a-t-on créé d'ailleurs 12
Pour les déshérités et pour les travailleurs ? 12
15 A-t-on fermé le bagne ? A-t-on ouvert l'école ? 12
On détruit Marengo, Lodi, Wagram, Arcole ; 12
A-t-on du moins fondé le droit universel ? 12
Le pauvre a-t-il le toit, le feu, le pain, le sel ? 12
A-t-on mis l'atelier, a-t-on mis la chaumière 12
20 Sous une immense loi de vie et de lumière ? 12
A-t-on déshonoré la guerre en renonçant 12
A l'effusion folle et sinistre du sang ? 12
A-t-on refait le code à l'image du juste ? 12
A-t-on bâti l'autel de la clémence auguste ? 12
25 A-t-on édifié le temple où la clarté 12
Se condense en raison et devient liberté ? 12
A-t-on doté l'enfant et délivré la femme ? 12
A-t-on planté dans l'homme, au plus profond de l'âme, 12
L'arbre du vrai, croissant de l'erreur qui décroît ? 12
30 Offre-t-on au progrès, toujours trop à l'étroit, 12
Quelque élargissement d'horizon et de route ? 12
Non ; des ruines ; rien. Soit. Quant à moi, je doute 12
Qu'on soit quitte pour dire au peuple murmurant : 12
Ce qu'on fait est petit, mais ce qu'on brise est grand. 12
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