Métrique en Ligne
HUG_9/HUG706
Victor HUGO
L'année terrible
1872
DÉCEMBRE
VIII
NOS MORTS
Ils gisent dans le champ terrible et solitaire. 12
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre ; 12
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert ; 12
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert, 12
5 Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes 12
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes ; 12
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant ; 12
La neige les modèle avec son linceul blanc ; 12
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée, 12
10 Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée ; 12
Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard ; 12
Sur l'immobilité de leur sommeil hagard 12
Les nuits passent ; ils ont plus de chocs et de plaies 12
Que les suppliciés promenés sur des claies ; 12
15 Sous eux rampent le ver, la lame et la fourmi ; 12
Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi 12
Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre ; 12
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre, 12
Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait ; 12
20 On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet, 12
La balafre du sabre et le trou de la lance ; 12
Le vaste vent glacé souffle sur ce silence ; 12
Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux. 12
O morts pour mon pays, je suis votre envieux. 12
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