BALLADES |
1823-1828 |
BALLADE TROISIÈME |
LA GRAND-MÈRE |
To die — to sleep. |
SHAKSPEARE.
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« Dors-tu ?… réveille-toi, mère de notre mère ! |
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D'ordinaire en dormant ta bouche remuait ; |
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Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière. |
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Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre ; |
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Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet. |
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« Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume. |
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Quel mal avons-nous fait, pour ne plus nous chérir ? |
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Vois, la lampe pâlit, l'âtre scintille et fume ; |
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Si tu ne parles pas, le feu qui se consume, |
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Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir ! |
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« Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte. |
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Alors, que diras-tu quand tu t'éveilleras ? |
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Tes enfants à leur tour seront sourds à ta plainte. |
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Pour nous rendre la vie, en invoquant ta sainte, |
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Il fraudra bien longtemps nous serrer dans tes bras ! |
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« Donne-nous donc tes mains dans nos mains réchauffées. |
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Chante-nous quelque chant de pauvre troubadour. |
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Dis-nous ces chevaliers qui, servis par les fées, |
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Pour bouquets à leur dame apportaient des trophées, |
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Et dont le cri de guerre était un nom d'amour. |
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« Dis-nous quel divin signe est funeste aux fantômes ; |
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Quel ermite dans l'air vit Lucifer volant ; |
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Quel rubis étincelle au front du roi des Gnomes ; |
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Et si le noir démon craint plus, dans ses royaumes, |
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Les psaumes de Turpin que le fer de Roland. |
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« Ou, montre-nous ta Bible et les belles images, |
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Le ciel d'or, les saints bleus, les saintes à genoux, |
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L'enfant-Jésus, la crèche, et le bœuf, et les mages ; |
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Fais-nous lire du doigt, dans le milieu des pages, |
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Un peu de ce latin, qui parle à Dieu de nous. |
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« Mère !… — Hélas ! par degrés s'affaisse la lumière, |
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L'ombre joyeuse danse autour du noir foyer, |
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Les esprits vont peut-être entrer dans la chaumière… |
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Oh ! sors de ton sommeil, interromps ta prière ; |
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Toi qui nous rassurais, veux-tu nous effrayer ? |
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« Dieu ! que tes bras sont froids ! rouvre les yeux… Naguère |
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Tu nous parlais d'un monde, où nous mènent nos pas, |
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Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère, |
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Tu parlais de la mort… dis-nous, ô notre mère ! |
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Qu'est-ce donc que la mort ? — Tu ne nous réponds pas ! » |
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Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule. |
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La jeune aube parut sans réveiller l'aïeule. |
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La cloche frappa l'air de ses funèbres coups ; |
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Et, le soir, un passant, par la porte entrouverte |
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Vit, devant le saint livre et la couche déserte, |
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Les deux petits enfants qui priaient à genoux. |
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1825.
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