BALLADES |
1823-1828 |
BALLADE DEUXIÈME |
LE SYLPHE |
Le vent, le froid et l'orage
Contre l'enfant faisaient rage.
— Ouvrez, dit-il, je suis nu !
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LA FONTAINE, Imitation d'Anacréon.
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« Toi, qu'en ces murs, pareille aux rêveuses Sylphides, |
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Ce vitrage éclairé montre à mes yeux avides, |
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Jeune fille, ouvre-moi ! Voici la nuit, j 'ai peur, |
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La nuit, qui, peuplant l'air de figures livides, |
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Donne aux âmes des morts des robes de vapeur ! |
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« Vierge, je ne suis point de ces pèlerins sages |
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Qui font de longs récits après de longs voyages ; |
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Ni de ces paladins, qu'aime et craint la beauté, |
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Dont le cor, éveillant les varlets et les pages, |
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Porte un appel de guerre à l'hospitalité. |
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« Je n'ai ni lourd bâton, ni lance redoutée, |
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Point de longs cheveux noirs, point de barbe argentée, |
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Ni d'humble chapelet, ni de glaive vainqueur. |
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Mon souffle, dont une herbe est à peine agitée, |
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N'arrache au cor des preux qu'un murmure moqueur. |
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« Je suis l'enfant de l'air, un sylphe, moins qu'un rêve, |
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Fils du printemps qui naît, du matin qui se lève, |
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L'hôte du clair foyer, durant les nuits d'hiver, |
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L'esprit que la lumière à la rosée enlève, |
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Diaphane habitant de l'invisible éther. |
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« Ce soir un couple heureux, d'une voix solennelle, |
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Parlait tout bas d'amour et de flamme éternelle. |
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J'entendais tout ; près d'eux je m'étais arrêté |
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Ils ont dans un baiser pris le bout de mon aile, |
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Et la nuit est venue avant ma liberté. |
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« Hélas ! il est trop tard pour rentrer dans ma rose ! |
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Châtelaine, ouvre-moi, car ma demeure est close. |
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Recueille un fils du jour, égaré dans la nuit ; |
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Permets, jusqu'à demain, qu'en ton lit je repose ; |
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Je tiendrai peu de place et ferai peu de bruit. |
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« Mes frères ont suivi la lumière éclipsée, |
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Ou les larmes du soir dont l'herbe est arrosée ; |
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Les lys leur ont ouvert leurs calices de miel ; |
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Où fuir ?… Je ne vois plus de gouttes de rosée, |
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Plus de fleurs dans les champs ! plus de rayons au ciel ! |
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« Damoiselle, entends-moi, de peur que la Nuit sombre, |
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Comme en un grand filet, ne me prenne en son ombre, |
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Parmi les spectres blancs et les fantômes noirs, |
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Les démons, dont l'enfer même ignore le nombre, |
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Les hiboux du sépulcre et l'autour des manoirs ! |
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« Voici l'heure où les morts dansent d'un pied débile. |
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La lune au pâle front les regarde, immobile ; |
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Et le hideux vampire, ô comble de frayeur ! |
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Soulevant d'un bras fort une pierre inutile, |
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Traîne en sa tombe ouverte un tremblant fossoyeur. |
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« Bientôt, nains monstrueux, noirs de poudre et de cendre, |
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Dans leur gouffre sans fond les Gnomes vont descendre. |
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Le follet fantastique erre sur les roseaux. |
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Au frais Ondin s'unit l'ardente Salamandre, |
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Et de bleuâtres feux se croisent sur les eaux. |
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« Oh !… Si pour amuser son ennui taciturne, |
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Un mort, parmi ses os, m'enfermait dans son urne ! |
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Si quelque nécromant, riant de mon effroi, |
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Dans la tour, d'où minuit lève sa voix nocturne, |
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Liait mon vol paisible au sinistre beffroi ! |
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« Que ta fenêtre s'ouvre !… Ah ! si tu me repousses, |
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Il me faudra chercher quelques vieux nids de mousses, |
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À des lézards troublés livrer de grands combats… |
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Ouvre !… mes yeux sont purs, mes paroles sont douces |
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Comme ce qu'à sa belle un amant dit tout bas. |
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« Et je suis si joli ! Si tu voyais mes ailes |
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Trembler aux feux du jour, transparentes et frêles !… |
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J'ai la blancheur des lys où, le soir, nous fuyons ; |
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Et les roses, nos sœurs, se disputent entr'elles |
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Mon souffle de parfums et mon corps de rayons. |
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« Je veux qu'un rêve heureux te révèle ma gloire. |
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Près de moi (ma Sylphide en garde la mémoire), |
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Les papillons sont lourds, les colibris sont laids, |
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Quand, roi vêtu d'azur, et de nacre et de moire, |
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Je vais de fleurs en fleurs visiter mes palais. |
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« J'ai froid : l'ombre me glace, et vainement je pleure. |
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Si je pouvais t'offrir, pour m'ouvrir ta demeure, |
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Ma goutte de rosée ou mes corolles d'or ! |
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Mais non : je n'ai plus rien, il faudra que je meure. |
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Chaque soleil me donne et me prend mon trésor. |
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« Que veux-tu qu'en dormant je t'apporte en échange ? |
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L'écharpe d'une fée, ou le voile d'un ange ?… |
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J'embellirai ta nuit des prestiges du jour ! |
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Ton sommeil passera, sans que ton bonheur change, |
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Des beaux songes du ciel aux doux rêves d'amour. |
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« Mais mon haleine en vain ternit la vitre humide ! |
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Ô Vierge, crois-tu donc que, dans la nuit perfide, |
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La voix du Sylphe errant cache un amant trompeur ? |
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Ne me crains pas, c'est moi qui suis faible et timide, |
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Et Si j 'avais une ombre, hélas ! j'en aurais peur. » |
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Il pleurait. — Tout à coup devant la tour antique, |
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S'éleva, murmurant comme un appel mystique, |
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Une voix… ce n'était sans doute qu'un esprit ! |
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Bientôt parut la dame à son balcon gothique : — |
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On ne sait si ce fut au Sylphe qu'elle ouvrit. |
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1823.
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