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HUG_8/HUG87
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE CINQUIÈME
1819-1828
ODE VINGT-CINQUIÈME
RÊVES
En la amena soledad
de aquesta apacible estancia,
bellisimo laberinto
de árboles, flores, y plantas,
Podeis dexarme, dexando
conmigo, que ellos me bastan
por campania, los libros
que os mande sacar de casa ;
que yo, en tanto que Antioquia
celebra con fiestas tantas
la fabrica de esse templo,
que oy à Jupiter consagra,
..........................
huyendo del gran bullicio,
que hay en sus calles, y plazas,
passar estudiando quiero
la edad que al dia le falta.
CALDERON, El Mágico prodigioso.
I
Amis, loin de la ville, 6
Loin des palais de roi, 6
Loin de la cour servile, 6
Loin de la foule vile, 6
5 Trouvez-moi, trouvez-moi, 6
Aux champs où l'âme oisive 6
Se recueille en rêvant, 6
Sur une obscure rive 6
Où du monde n'arrive 6
10 Ni le flot, ni le vent, 6
Quelque asile sauvage, 6
Quelque abri d'autrefois, 6
Un port sur le rivage, 6
Un nid sous le feuillage, 6
15 Un manoir dans les bois ! 6
Trouvez-le-moi bien sombre, 6
Bien calme, bien dormant, 6
Couvert d'arbres sans nombre, 6
Dans le silence et l'ombre, 6
20 Caché profondément ! 6
Que là, sur toute chose, 6
Fidèle à ceux qui m'ont, 6
Mon vers plane, et se pose 6
Tantôt sur une rose, 6
25 Tantôt sur un grand mont. 6
Qu'il puisse avec audace, 6
De tout nœud détaché, 6
D'un vol que rien ne lasse, 6
S'égarer dans l'espace 6
30 Comme un oiseau lâché. 6
II
Qu'un songe au ciel m'enlève, 6
Que plein d'ombre et d'amour, 6
Jamais il ne s'achève, 6
Et que la nuit je rêve 6
35 À mon rêve du jour ! 6
Aussi blanc que la voile 6
Qu'à l'horizon je voi, 6
Qu'il recèle une étoile, 6
Et qu'il soit comme un voile 6
40 Entre la vie et moi ! 6
Que la muse qui plonge 6
En ma nuit pour briller, 6
Le dore et le prolonge, 6
Et de l'éternel songe 6
45 Craigne de m'éveiller ! 6
Que toutes mes pensées 6
Viennent s'y déployer, 6
Et s'asseoir, empressées, 6
Se tenant embrassées, 6
50 En cercle à mon foyer. 6
Qu'à mon rêve enchaînées, 6
Toutes, l'œil triomphant, 6
Le bercent inclinées, 6
Comme des sœurs aînées 6
55 Bercent leur frère enfant ! 6
III
On croit sur la falaise, 6
On croit dans les forêts, 6
Tant on respire à l'aise, 6
Et tant rien ne nous pèse, 6
60 Voir le ciel de plus près ! 6
Là, tout est comme un rêve ; 6
Chaque voix a des mots, 6
Tout parle, un chant s'élève 6
De l'onde sur la grève, 6
65 De l'air dans les rameaux. 6
C'est une voix profonde, 6
Un chœur universel, 6
C'est le globe qui gronde, 6
C'est le roulis du monde 6
70 Sur l'océan du ciel. 6
C'est l'écho magnifique 6
Des voix de Jéhova, 6
C'est l'hymne séraphique 6
Du monde pacifique 6
75 Où va ce qui s'en va ; 6
Où, sourde aux cris de femmes, 6
Aux plaintes, aux sanglots, 6
L'âme se mêle aux âmes, 6
Comme la flamme aux flammes, 6
80 Comme le flot aux flots ! 6
IV
Ce bruit vaste, à toute heure, 6
On l'entend au désert. 6
Paris, folle demeure, 6
Pour cette voix qui pleure 6
85 Nous donne un vain concert. 6
Oh ! la Bretagne antique ! 6
Quelque roc écumant ! 6
Dans la forêt celtique 6
Quelque donjon gothique ! 6
90 Pourvu que seulement 6
La tour hospitalière 6
Où je pendrai mon nid, 6
Ait, vieille chevalière, 6
Un panache de lierre 6
95 Sur son front de granit ! 6
Pourvu que, blasonnée 6
D'un écusson altier, 6
La haute cheminée, 6
Béante, illuminée, 6
100 Dévore un chêne entier ! 6
Que, l'été, la charmille 6
Me dérobe un ciel bleu ; 6
Que l'hiver ma famille, 6
Dans l'âtre assise, brille 6
105 Toute rouge au grand feu ! 6
Dans les bois, mes royaumes, 6
Si le soir l'air bruit, 6
Qu'il semble, à voir leurs dômes, 6
Des têtes de fantômes 6
110 Se heurtant dans la nuit ! 6
Que des vierges, abeilles 6
Dont les cieux sont remplis, 6
Viennent sur moi, vermeilles, 6
Secouer dans mes veilles 6
115 Leur robe à mille plis ! 6
Qu'avec des voix plaintives, 6
Les ombres des héros 6
Repassent fugitives, 6
Blanches sous mes ogives, 6
120 Sombres sur mes vitraux ! 6
V
Si ma muse envolée 6
Porte son nid si cher 6
Et sa famille ailée 6
Dans la salle écroulée 6
125 D'un vieux baron de fer ; 6
C'est que j'aime ces âges 6
Plus beaux, sinon meilleurs, 6
Que nos siècles plus sages ; 6
À leurs débris sauvages 6
130 Je m'attache, et d'ailleurs 6
L'hirondelle enlevée 6
Par son vol sur la tour, 6
Parfois, des vents sauvée, 6
Choisit pour sa couvée 6
135 Un vieux nid de vautour. 6
Sa famille humble et douce, 6
Souvent, en se jouant, 6
Du bec remue et pousse, 6
Tout brisé sur la mousse, 6
140 L'œuf de l'oiseau géant. 6
Dans les armes antiques 6
Mes vers ainsi joûront, 6
Et remuant des piques, 6
Riront, nains fantastiques, 6
145 De grands casques au front ! 6
VI
Ainsi, noués en gerbe, 6
Reverdiront mes jours 6
Dans le donjon superbe, 6
Comme une touffe d'herbe 6
150 Dans les brèches des tours. 6
Mais, donjon ou chaumière, 6
Du monde délié, 6
Je vivrai de lumière, 6
D'extase et de prière, 6
155 Oubliant, oublié ! 6
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