Métrique en Ligne
HUG_8/HUG82
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE CINQUIÈME
1819-1828
ODE VINGTIÈME
PROMENADE
Voici les lieux chers à ma rêverie,
voici les prés dont j'ai chanté les fleurs…
AMABLE TASTU, La Lyre égarée.
Ceins le voile de gaze aux pudiques couleurs, 12
Où la féconde aiguille a semé tant de fleurs ! 12
Viens respirer sous les platanes ; 8
Couvre-toi du tissu, trésor de Cachemir, 12
5 Qui peut-être a caché le poignard d'un émir, 12
Ou le sein jaloux des sultanes. 8
Aux lueurs du couchant vois fumer les hameaux. 12
La vapeur monte et passe ; ainsi s'en vont nos maux, 12
Gloire, ambition, renommée ! 8
10 Nous brillons tour à tour, jouets d'un fol espoir : 12
Tel ce dernier rayon, ce dernier vent du soir 12
Dore et berce un peu de fumée. 8
A l'heure où le jour meurt à l'horizon lointain, 12
Qu'il m'est doux, près d'un cœur qui bat pour mon destin 12
15 D'égarer mes pas dans la plaine ! 8
Qu'il m'est doux, près de toi d'errer libre d'ennuis, 12
Quand tu mêles, pensive, à la brise des nuits 12
Le parfum de ta douce haleine ! 8
C'est pour un tel bonheur, dès l'enfance rêvé, 12
20 Que j 'ai longtemps souffert et que j'ai tout bravé ! 12
Dans nos temps de fureurs civiles, 8
Je te dois une paix que rien ne peut troubler. 12
Plus de vide en mes jours ! Pour moi tu sais peupler 12
Tous les déserts, même les villes ! 8
25 Chaque étoile à son tour vient apparaître au ciel. 12
Tels, quand un grand festin d'ambroisie et de miel 12
Embaume une riche demeure, 8
Souvent sur le velours et le damas soyeux, 12
On voit les plus hâtifs des convives joyeux 12
30 S'asseoir au banquet avant l'heure. 8
Vois, — c'est un météore ! il éclate et s'éteint. 12
Plus d'un grand homme aussi, d'un mal secret atteint, 12
Rayonne et descend dans la tombe. 8
Le vulgaire l'ignore et suit le tourbillon ; 12
35 Au laboureur courbé le soir sur le sillon, 12
Qu'importe l'étoile qui tombe ! 8
Ah ! tu n'es point ainsi, toi dont les nobles pleurs 12
De toute âme sublime honorent les malheurs ! 12
Toi qui gémis sur le poète ! 8
40 Toi qui plains la victime et surtout les bourreaux ! 12
Qui visites souvent la tombe des héros, 12
Silencieuse, et non muette ! 8
Si quelque ancien château, devant tes pas distraits, 12
Lève son donjon noir sur les noires forêts, 12
45 Bien loin de la ville importune, 8
Tu t'arrêtes soudain ; et ton œil tour à tour 12
Cherche et perd à travers les créneaux de la tour 12
Le pâle croissant de la lune. 8
C'est moi qui t'inspirai d'aimer ces vieux piliers, 12
50 Ces temples où jadis les jeunes chevaliers 12
Priaient, armés par leur marraine ; 8
Ces palais où parfois le poète endormi 12
A senti sur sa bouche entrouverte à demi 12
Tomber le baiser d'une reine. 8
55 Mais rentrons ; vois le ciel d'ombres s'environner ; 12
Déjà le frêle esquif qui nous doit ramener 12
Sur les eaux du lac étincelle ; 8
Cette barque ressemble à nos jours inconstants 12
Qui flottent dans la nuit sur l'abîme des temps ; 12
60 Le gouffre porte la nacelle ! 8
La vie à chaque instant fuit vers l'éternité ; 12
Et le corps, sur la terre où l'âme l'a quitté, 12
Reste comme un fardeau frivole. 8
Ainsi quand meurt la rose, aux royales couleurs, 12
65 Sa feuille, que l'aurore en vain baigne de pleurs, 12
Tombe, et son doux parfum s'envole ! 8
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