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HUG_8/HUG39
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE TROISIÈME
1824-1828
ODE TROISIÈME
LES FUNÉRAILLES DE LOUIS XVIII
Ces changements lui sont peu difficiles ;
c'est l'œuvre de la droite du Très-Haut.
PS. LXXVI, 10.
I
La foule, au seuil d'un temple en priant est venue. 12
Mères, enfants, vieillards, gémissent réunis ; 12
Et l'airain qu'on balance ébranle dans la nue 12
Les hauts clochers de Saint-Denis. 8
5 Le sépulcre est troublé dans ses mornes ténèbres. 12
La Mort, de ces couches funèbres, 8
Resserre les rangs incomplets. 8
Silence au noir séjour que le trépas protège ! — 12
Le Roi Chrétien, suivi de son dernier cortège, 12
10 Entre dans son dernier palais. 8
II
Un autre avait dit : « De ma race 8
Ce grand tombeau sera le port ; 8
Je veux, aux rois que je remplace, 8
Succéder jusque dans la mort. 8
15 Ma dépouille ici doit descendre ! 8
C'est pour faire place à ma cendre 8
Qu'on dépeupla ces noirs caveaux. 8
Il faut un nouveau maître au monde : 8
À ce sépulcre, que je fonde, 8
20 Il faut des ossements nouveaux. 8
« Je promets ma poussière à ces voûtes funestes. 12
À cet insigne honneur ce temple a seul des droits ; 12
Car je veux que le ver qui rongera mes restes 12
Ait déjà dévoré des rois. 8
25 Et lorsque mes neveux, dans leur fortune altière, 12
Domineront l'Europe entière, 8
Du Kremlin à l'Escurial, 8
Ils viendront tour à tour dormir dans ces lieux sombres, 12
Afin que je sommeille, escorté de leurs ombres, 12
30 Dans mon linceul impérial ! » 8
Celui qui disait ces paroles 8
Croyait, soldat audacieux, 8
Voir, en magnifiques symboles, 8
Sa destinée écrite aux cieux. 8
35 Dans ses étreintes foudroyantes, 8
Son aigle aux serres flamboyantes 8
Eût étouffé l'aigle romain ; 8
La Victoire était sa compagne ; 8
Et le globe de Charlemagne 8
40 Était trop léger pour sa main. 8
Eh bien ! des potentats ce formidable maître 12
Dans l'espoir de sa mort par le ciel fut trompé. 12
De ses ambitions c'est la seule peut-être 12
Dont le but lui soit échappé. 8
45 En vain tout secondait sa marche meurtrière ; 12
En vain sa gloire incendiaire 8
En tous lieux portait son flambeau ; 8
Tout chargé de faisceaux, de sceptres, de couronnes, 12
Ce vaste ravisseur d'empires et de trônes 12
50 Ne put usurper un tombeau ! 8
Tombé sous la main qui châtie, 8
L'Europe le fit prisonnier. 8
Premier roi de sa dynastie, 8
Il en fut aussi le dernier. 8
55 Une île où grondent les tempêtes 8
Reçut ce géant des conquêtes, 8
Tyran que nul n'osait juger, 8
Vieux guerrier qui, dans sa misère, 8
Dut l'obole de Bélisaire 8
60 À la pitié de l'étranger. 8
Loin du sacré tombeau qu'il s'arrangeait naguère, 12
C'est là que, dépouillé du royal appareil, 12
Il dort enveloppé de son manteau de guerre, 12
Sans compagnon de son sommeil. 8
65 Et, tandis qu'il n'a plus de l'empire du monde 12
Qu'un noir rocher battu de l'onde, 8
Qu'un vieux saule battu du vent, 8
Un roi longtemps banni, qui fit nos jours prospères, 12
Descend au lit de mort où reposaient ses pères, 12
70 Sous la garde du Dieu vivant. 8
III
C'est qu'au gré de l'humble qui prie, 8
Le Seigneur, qui donne et reprend, 8
Rend à l'Exilé sa patrie, 8
Livre à l'exil le Conquérant ! 8
75 Dieu voulait qu'il mourût en France, 8
Ce Roi, si grand dans la souffrance, 8
Qui des douleurs portait le sceau, 8
Pour que, victime consolée, 8
Du seuil noir de son mausolée, 8
80 Il pût voir encor son berceau. 8
IV
Oh ! qu'il s'endorme en paix dans la nuit funéraire ! 12
N'a-t-il pas oublié ses maux pour nos malheurs ? 12
Ne nous lègue-t-i1 pas à son généreux frère, 12
Qui pleure en essuyant nos pleurs ? 8
85 N'a-t-i1 pas, dissipant nos rêves politiques, 12
De notre âge et des temps antiques 8
Proclamé l'auguste traité ? 8
Loi sage qui, domptant la fougue populaire, 12
Donne aux sujets égaux un maître tutélaire, 12
90 Esclave de leur liberté ! 8
Sur nous un Roi Chevalier veille. 8
Qu'il conserve l'aspect des cieux ! 8
Que nul bruit de longtemps n'éveille 8
Ce sépulcre silencieux ! 8
95 Hélas ! le démon régicide, 8
Qui, du sang des Bourbons avide, 8
Paya de meurtres leurs bienfaits, 8
A comblé d'assez de victimes 8
Ces murs, dépeuplés par des crimes, 8
100 Et repeuplés par des forfaits ! 8
Qu'il sache que jamais la couronne ne tombe ! 12
Ce haut sommet échappe à son fatal niveau. 12
Le supplice où des rois le corps mortel succombe 12
N'est pour eux qu'un sacre nouveau. 8
105 Louis, chargé de fers par des mains déloyales, 12
Dépouillé des pompes royales, 8
Sans cour, sans guerriers, sans hérauts, 8
Gardant sa royauté devant la hache même, 12
Jusque sur l'échafaud prouva son droit suprême, 12
110 En faisant grâce à ses bourreaux ! 8
V
De Saint-Denis, de Sainte-Hélène, 8
Ainsi je méditais le sort, 8
Sondant d'une vue incertaine 8
Ces grands mystères de la mort. 8
115 Qui donc êtes-vous, Dieu superbe ? 8
Quel bras jette les tours sous l'herbe, 8
Change la pourpre en vil lambeau ? 8
D'où vient votre souffle terrible ? 8
Et quelle est la main invisible 8
120 Qui garde les clefs du tombeau ? 8
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