Métrique en Ligne
HUG_8/HUG27
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE DEUXIÈME
1822-1823
ODE PREMIÈRE
À MES ODES
Tentanda via est qua me quoque possim.
Tollere humo, victorque virum volitare per ora.
VIRGILE.
I
Mes odes, c'est l'instant de déployer vos ailes. 12
Cherchez d'un même essor les voûtes immortelles ; 12
Le moment est propice… Allons ! 8
La foudre en grondant vous éclaire, 8
5 Et la tempête populaire 8
Se livre au vol des aquilons. 8
Pour qui rêva longtemps le jour du sacrifice, 12
Oui, l'heure où vient l'orage est une heure propice ; 12
Mais moi, sous un ciel calme et pur, 8
10 Si j'avais, fortuné génie, 8
Dans la lumière et l'harmonie 8
Vu flotter vos robes d'azur ; 8
Si nul profanateur n'eût touché vos offrandes ; 12
Si nul reptile impur sur vos chastes guirlandes, 12
15 N'eût traîné ses nœuds flétrissants ; 8
Si la terre, à votre passage, 8
N'eût exhalé d'autre nuage 8
Que la vapeur d'un doux encens ; 8
J'aurais béni la muse et chanté ma victoire. 12
20 J'aurais dit au poète, élancé vers la gloire : 12
« Ô ruisseau ! qui cherches les mers, 8
Coule vers l'océan du monde 8
Sans craindre d'y mêler ton onde ; 8
Car ses flots ne sont pas amers. » 8
II
25 Heureux qui de l'oubli ne fuit point les ténèbres ! 12
Heureux qui ne sait pas combien d'échos funèbres 12
Le bruit d'un nom fait retentir ! 8
Et si la gloire est inquiète ! 8
Et si la palme du poète 8
30 Est une palme de martyr ! 8
Sans craindre le chasseur, l'orage ou le vertige, 12
Heureux l'oiseau qui plane et l'oiseau qui voltige ! 12
Heureux qui ne veut rien tenter ! 8
Heureux qui suit ce qu'il doit suivre ! 8
35 Heureux qui ne vit que pour vivre, 8
Qui ne chante que pour chanter ! 8
III
Vous ! ô mes chants, adieu ! cherchez votre fumée ! 12
Bientôt, sollicitant ma porte refermée, 12
Vous pleurerez, au sein du bruit, 8
40 Ce temps où, cachés sous des voiles, 8
Vous étiez pareils aux étoiles 8
Qui ne brillent que pour la nuit ; 8
Quand, tour à tour, prenant et rendant la balance, 12
Quelques amis, le soir, vous jugeaient en silence, 12
45 Poètes, par la lyre émus, 8
Qui fuyaient la ville sonore, 8
Et transplantaient les fleurs d'Isaure 8
Dans les jardins d'Académus. 8
Comme un ange porté sur ses ailes dorées, 12
50 Vous veniez, murmurant des paroles sacrées ; 12
Pour abattre et pour relever, 8
Vous disiez, dans votre délire, 8
Tout ce que peut chanter la lyre, 8
Tout ce que l'âme peut rêver. 8
55 Disputant un prix noble en une sainte arène, 12
Vous laissiez tout l'Olympe aux fils de l'Hippocrène, 12
Rivaux de votre ardent essor ; 8
Ainsi que l'amant d'Atalante, 8
Pour rendre leur course plus lente, 8
60 Vous leur jetiez les pommes d'or. 8
On vous voyait, suivis de sylphes et de fées, 12
Liant d'anciens faisceaux à nos jeunes trophées, 12
Chanter les camps et leurs travaux, 8
Ou pousser des cris prophétiques, 8
65 Ou demander aux temps gothiques 8
Leurs vieux contes, toujours nouveaux. 8
Souvent vos luths pieux consolaient les couronnes, 12
Et du haut du trépied vous défendiez les trônes ; 12
Souvent, appuis de l'innocent, 8
70 Comme un tribut expiatoire, 8
Vous mêliez, pour fléchir l'histoire, 8
Une larme à des flots de sang. 8
IV
C'en est fait maintenant, pareils aux hirondelles, 12
Partez ; qu'un même but vous retrouve fidèles. 12
75 Et moi, pourvu qu'en vos combats 8
De votre foi nul cœur ne doute, 8
Et qu'une âme en secret écoute 8
Ce que vous lui direz tout bas ; 8
Pourvu, quand sur les flots en vingt courants contraires 12
80 L'ouragan chassera vos voiles téméraires, 12
Qu'un seul ami, plaignant mon sort, 8
Vous voyant battus de l'orage, 8
Pose un fanal sur le rivage, 8
S'afflige, et vous souhaite un port ; 8
85 D'un œil moins désolé je verrai vos naufrages. 12
Mais le temps presse, allez ! rassemblez vos courages. 12
Il faut combattre les méchants. 8
C'est un sceptre aussi que la lyre ! 8
Dieu, dont nos âmes sont l'empire, 8
90 A mis un pouvoir dans les chants. 8
V
Le poète, inspiré lorsque la terre ignore, 12
Ressemble à ces grands monts que la nouvelle aurore 12
Dore avant tous à son réveil, 8
Et qui, longtemps vainqueurs de l'ombre, 8
95 Gardent jusque dans la nuit sombre 8
Le dernier rayon du soleil. 8
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