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HUG_8/HUG25
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE PREMIER
1818-1822
ODE DIXIÈME
VISION
à M. le comte Gaspard de Pons
7. Quia defecimus in irâ tuâ, et in furore tuo
turbati sumus ;
8. Posuisti iniquitates nostras in conspectu tuo,
sæculum nostrum in illuminatione vultus tui ;
9. Quoniam omnes dies nostri defecerunt, et in
ira tuâ defecimus.
PSAUME LXXXIX.
Parce que nous sommes tombés dans votre colère,
et que nous avons été troublés dans votre fureur ;
Vous avez placé nos iniquités en votre présence,
et notre siècle dans la lumière de votre face ;
Puisque tous nos jours ont failli, et que nous
sommes tombés dans votre colère !
Voici ce qu'ont dit les Prophètes, 8
Aux jours où ces hommes pieux 8
Voyaient en songe sur leurs têtes 8
L'Esprit-Saint descendre des cieux : 8
5 « Dès qu'un siècle, éteint pour le monde, 8
Redescend dans la nuit profonde, 8
De gloire ou de honte chargé, 8
Il va répondre et comparaître 8
Devant le Dieu qui le fit naître, 8
10 Seul juge qui n'est pas jugé. » 8
Or écoutez, fils de la terre, 8
Vil peuple à la tombe appelé, 8
Ce qu'en un rêve solitaire 8
La vision m'a révélé. — 8
15 C'était dans la cité flottante, 8
De joie et de gloire éclatante, 8
Où le jour n'a pas de soleil, 8
D'où sortit la première aurore, 8
Et d'où résonneront encore 8
20 Les clairons du dernier réveil ! 8
Adorant l'Essence inconnue, 8
Les Saints, les Martyrs glorieux 8
Contemplaient, sous l'ardente nue, 8
Le Triangle mystérieux ! 8
25 Près du trône où dort le tonnerre 8
Parut un Spectre centenaire 8
Par l'Ange des Français conduit ; 8
Et l'Ange, vêtu d'un long voile, 8
Était pareil à l'humble étoile 8
30 Qui mène au ciel la sombre nuit. 8
Dans les cieux et dans les abîmes 8
Une Voix alors s'entendit, 8
Qui, jusque parmi ses victimes, 8
Fit trembler l'Archange maudit. 8
35 Le char des Séraphins fidèles, 8
Semé d'yeux, brillant d'étincelles, 8
S'arrêta sur son triple essieu ; 8
Et la roue, aux flammes bruyantes, 8
Et les quatre ailes tournoyantes 8
40 Se turent au souffle de Dieu. 8
LA VOIX
Déjà du Livre séculaire 8
La page a dix-sept fois tourné ; 8
Le gouffre attend que ma colère 8
Te pardonne ou t'ait condamné ! 8
45 Approche : — je tiens la balance : 8
Te voilà nu dans ma présence, 8
Siècle innocent ou criminel. 8
Faut-il que ton souvenir meure ? 8
Réponds : un siècle est comme une heure 8
50 Devant mon regard éternel. 8
LE SIÈCLE
J'ai, dans mes pensers magnanimes 8
Tout divisé, tout réuni ; 8
J'ai soumis à mes lois sublimes 8
Et l'Immuable et l'Infini ; 8
55 J'ai pesé tes volontés mêmes… 8
LA VOIX
Fantôme, arrête ! tes blasphèmes 8
Troublent mes Saints d'un juste effroi ; 8
Sors de ton orgueilleuse ivresse ; 8
Doute aujourd'hui de ta sagesse ; 8
60 Car tu ne peux douter de moi. 8
Fier de tes aveugles sciences, 8
N'as-tu pas ri, dans tes clameurs, 8
Et de mon être et des croyances 8
Qui gardent les lois et les mœurs ? 8
65 De la mort souillant le mystère, 8
N'as-tu pas effrayé la terre 8
D'un crime aux humains inconnu ? 8
Des Rois, avant les temps célestes, 8
N'as-tu pas réveillé les restes ? 8
LE SIÈCLE
70 Ô Dieu ! votre jour est venu ! 8
LA VOIX
Pleure, ô Siècle ! D'abord timide, 8
L'erreur grandit comme un géant ; 8
L'athée invite au régicide ; 8
Le chaos est fils du néant. 8
75 J'aimais une terre lointaine ; 8
Un Roi bon, une belle Reine, 8
Conduisaient son peuple joyeux, 8
Je bénissais leurs jours augustes 8
Réponds, qu'as-tu fait de ces justes ? 8
LE SIÈCLE
80 Seigneur, je les vois dans vos cieux. 8
LA VOIX
Oui, l'épouvante enfin t'éclaire ! 8
C'est moi qui marque leur séjour 8
Aux réprouvés de ma colère, 8
Comme aux élus de mon amour. 8
85 Qu'un rayon tombe de ma face, 8
Soudain tout s'anime ou s'efface, 8
Tout naît ou retourne au tombeau. 8
Mon souffle, propice ou terrible, 8
Allume l'incendie horrible, 8
90 Comme il éteint le pur flambeau ! 8
Que l'oubli muet te dévore ! 8
LE SIÈCLE
Seigneur, votre bras s'est levé ; 8
Seigneur, le maudit vous implore ! 8
LA VOIX
Non ; tais-toi, Siècle réprouvé ! 8
LE SIÈCLE
95 Eh bien donc ! l'Âge qui va naître 8
Absoudra mes forfaits peut-être 8
Par des forfaits plus odieux ! » 8
Ici gémit l'humble Espérance, 8
Et le bel Ange de la France 8
100 De son aile voila ses yeux. 8
LA VOIX
Va, ma main t'ouvre les abîmes ; 8
Un siècle nouveau prend l'essor, 8
Mais, loin de t'absoudre, ses crimes, 8
Maudit ! t'accuseront encor. » 8
105 Et, comme l'ouragan qui gronde 8
Chasse à grand bruit jusque sur l'onde 8
Le flocon vers les mers jeté ; 8
Longtemps la Voix inexorable 8
Poursuivit le Siècle coupable, 8
110 Qui tombait dans l'Éternité. 8
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