Métrique en Ligne
HUG_8/HUG22
Victor HUGO
Odes et Ballades
1826
ODES
LIVRE PREMIER
1818-1822
ODE SEPTIÈME
LA MORT DU DUC DE BERRY
Le Meurtre, d'une main violente, brise les liens
les plus sacrés ; la Mort vient enlever le jeune
homme florissant, et le Malheur s'approche
comme un ennemi rusé au milieu des jours de fête.
SCHILLER.
I
Modérons les transports d'une ivresse insensée ; 12
Le passage est bien court de la joie aux douleurs ; 12
La mort aime à poser sa main lourde et glacée 12
Sur des fronts couronnés de fleurs. 8
5 Demain, souillés de cendre, humbles, courbant nos têtes, 12
Le vain souvenir de nos fêtes 8
Sera pour nous presque un remords ; 8
Nos jeux seront suivis des pompes sépulcrales ; 12
Car chez nous, malheureux ! l'hymne des Saturnales 12
10 Sert de prélude au chant des Morts. 8
II
Fuis les banquets, fais trêve à ton joyeux délire, 12
Paris, triste cité ! détourne tes regards 12
Vers le cirque où l'on voit aux accords de la lyre 12
S'unir les prestiges des arts. 8
15 Chœurs, interrompez-vous ; cessez, danses légères ; 12
Qu'on change en torches funéraires 8
Ces feux purs, ces brillants flambeaux ; — 8
Dans cette enceinte, auprès d'une couche sanglante, 12
J'entends un prêtre saint dont la voix chancelante 12
20 Dit la prière des tombeaux ! 8
Sous ces lambris, frappés des éclats de la joie, 12
Près d'un lit où soupire un mourant étendu, 12
D'une famille auguste, au désespoir en proie, 12
Je vois le cortège éperdu. 8
25 C'est un père à genoux, c'est un frère en alarmes, 12
Une sœur qui n'a point de larmes 8
Pour calmer ses sombres douleurs ; 8
Car ses affreux revers ont, dès son plus jeune âge, 12
Dans ses yeux, enflammés d'un si mâle courage, 12
30 Tari la source de ses pleurs. 8
Sur l'échafaud, aux cris d'un sénat sanguinaire, 12
Sa mère est morte en reine et son père en héros ; 12
Elle a vu dans les fers périr son jeune frère, 12
Et n'a pu trouver des bourreaux. 8
35 Et, quand des rois ligués la main brisa ses chaînes, 12
Longtemps, sur des rives lointaines, 8
Elle a fui nos bords désolés ; 8
Elle a revu la France, après tant de misères, 12
Pour apprendre, en rentrant au palais de ses pères, 12
40 Que ses maux n'étaient pas comblés ! 8
Plus loin, c'est une épouse… Oh ! qui peindra ses craintes, 12
Sa force, ses doux soins, son amour assidu ? 12
Hélas ! et qui dira ses lamentables plaintes, 12
Quand tout espoir sera perdu ? 8
45 Quels étaient nos transports, ô vierge de Sicile, 12
Quand naguère à ta main docile 8
Berry joignit sa noble main ! 8
Devais-tu donc, princesse, en touchant ce rivage, 12
Voir sitôt succéder le crêpe du veuvage 12
50 Au chaste voile de l'hymen ? 8
Berry, quand nous vantions ta paisible conquête, 12
Nos chants ont réveillé le dragon endormi ; 12
L'Anarchie en grondant a relevé sa tête, 12
Et l'enfer même en a frémi. 8
55 Elle a rugi ; soudain, du milieu des ténèbres, 12
Clément poussa des cris funèbres, 8
Ravaillac agita ses fers ; 8
Et le monstre, étendant ses deux ailes livides, 12
Aux applaudissements des ombres régicides, 12
60 S'envola du fond des enfers ! 8
Le démon, vers nos bords tournant son vol funeste, 12
Voulut, brisant ces lys qu'il flétrit tant de fois, 12
Épuiser d'un seul coup le déplorable reste 12
D'un sang, trop fertile en bons rois. 8
65 Longtemps le sbire obscur qu'il arma pour son crime, 12
Rêveur, autour de la victime 8
Promena ses affreux loisirs ; 8
Enfin le ciel permet que son vœu s'accomplisse ; 12
Pleurons tous, car le meurtre a choisi pour complice 12
70 Le tumulte de nos plaisirs ! 8
Le fer brille… un cri part : guerriers, volez aux armes ! 12
C'en est fait ; la duchesse accourt en pâlissant ; 12
Son bras soutient Berry, qu'elle arrose de larmes, 12
Et qui l'inonde de son sang. 8
75 Dressez un lit funèbre : est-il quelque espérance ?… 12
Hélas ! un lugubre silence 8
A condamné son triste époux. 8
Assistez-le, madame, en ce moment horrible ; 12
Les soins cruels de l'art le rendront plus terrible, 12
80 Les vôtres le rendront plus doux. 8
Monarque en cheveux blancs, hâte-toi, le temps presse ; 12
Un Bourbon va rentrer au sein de ses aïeux ; 12
Viens, accours vers ce fils, l'espoir de ta vieillesse ; 12
Car ta main doit fermer ses yeux ! 8
85 Il a béni sa fille, à son amour ravie ; 12
Puis, des vanités de sa vie 8
Il proclame un noble abandon ; 8
Vivant, il pardonna ses maux à la patrie ; 12
Et son dernier soupir, digne du Dieu qu'il prie, 12
90 Est encore un cri de pardon. 8
Mort sublime ! ô regrets ! vois sa grande âme, et pleure, 12
Porte au ciel tes clameurs, ô peuple désolé. 12
Tu l'as trop peu connu ; c'est à sa dernière heure 12
Que le héros s'est révélé. 8
95 Pour consoler la veuve, apportez l'orpheline ; 12
Donnez sa fille à Caroline, 8
La nature encore a ses droits, 8
Mais, quand périt l'espoir d'une tige féconde, 12
Qui pourra consoler, dans sa terreur profonde, 12
100 La France, veuve de ses rois ? 8
À l'horrible récit, quels cris expiatoires 12
Vont pousser nos guerriers, fameux par leur valeur ! 12
L'Europe, qu'ébranlait le bruit de leurs victoires, 12
Va retentir de leur douleur. 8
105 Mais toi, que diras-tu, chère et noble Vendée ? 12
Si longtemps de sang inondée, 8
Tes regrets seront superflus ; 8
Et tu seras semblable à la mère accablée, 12
Qui s'assied sur sa couche et pleure inconsolée, 12
110 Parce que son enfant n'est plus ! 8
Bientôt vers Saint-Denis, désertant nos murailles, 12
Au bruit sourd des clairons, peuple, prêtres, soldats, 12
Nous suivrons à pas lents le char des funérailles, 12
Entouré des chars des combats. 8
115 Hélas ! jadis souillé par des mains téméraires, 12
Saint-Denis, où dormaient ses pères, 8
A vu déjà bien des forfaits ; 8
Du moins, puisse, à l'abri des complots parricides, 12
Sous ces murs profanés, parmi ces tombes vides, 12
120 Sa cendre reposer en paix ! 8
III
D'Enghien s'étonnera, dans les célestes sphères, 12
De voir sitôt l'ami, cher à ses jeunes ans, 12
À qui le vieux Condé, prêt à quitter nos terres, 12
Léguait ses devoirs bienfaisants. 8
125 À l'aspect de Berry, leur dernière espérance, 12
Des rois que révère la France 8
Les ombres frémiront d'effroi ; 8
Deux héros gémiront sur leurs races éteintes, 12
Et le vainqueur d' Ivry viendra mêler ses plaintes 12
130 Aux pleurs du vainqueur de Rocroy. 8
Ainsi, Bourbon, au bruit du forfait sanguinaire, 12
On te vit vers d'Artois accourir désolé ; 12
Car tu savais les maux que laisse au cœur d'un père 12
Un fils avant l'âge immolé. 8
135 Mais bientôt, chancelant dans ta marche incertaine, 12
L'affreux souvenir de Vincenne 8
Vint s'offrir à tes sens glacés ; 8
Tu pâlis ; et d'Artois, dans la douleur commune, 12
Sembla presque oublier sa récente infortune, 12
140 Pour plaindre tes revers passés. 8
Et toi, veuve éplorée, au milieu de l'orage 12
Attends des jours plus doux, espère un sort meilleur ; 12
Prends ta sœur pour modèle, et puisse ton courage 12
Être aussi grand que ton malheur ! 8
145 Tu porteras comme elle une urne funéraire ; 12
Comme elle, au sein du sanctuaire, 8
Tu gémiras sur un cercueil ; 8
L'Hydre des factions, qui, par des morts célèbres, 12
A marqué pour ta sœur tant d'époques funèbres, 12
150 Te fait aussi ton jour de deuil ! 8
IV
Pourtant, ô frêle appui de la tige royale, 12
Si Dieu par ton secours signale son pouvoir, 12
Tu peux sauver la France, et de l'Hydre infernale 12
Tromper encor l'affreux espoir. 8
155 Ainsi, quand le Serpent, auteur de tous les crimes, 12
Vouait d'avance aux noirs abîmes 8
L'homme que son forfait perdit, 8
Le Seigneur abaissa sa farouche arrogance ; 12
Une femme apparut, qui, faible et sans défense, 12
160 Brisa du pied son front maudit ! 8
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