Métrique en Ligne
HUG_7/HUG675
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE SECOND
IV
NIVÔSE
IV
CLÔTURE
À mon ami …
I
LA SAINTE CHAPELLE
Tu sais ? tu connais ma chapelle, 8
C'est la maison des passereaux. 8
L'abeille aux offices m'appelle 8
En bourdonnant dans les sureaux. 8
5 Là, mon cœur prend sa nourriture. 8
Dans ma stalle je vais m'asseoir. 8
Oh ! quel bénitier, la nature ! 8
Quel cierge, l'étoile du soir ! 8
Là, je vais prier ; je m'enivre 8
10 De l'idéal dans le réel ; 8
La fleur, c'est l'âme ; et je sens vivre, 8
À travers la terre, le ciel. 8
Et la rosée est mon baptême. 8
Et le vrai m'apparaît ! je crois. 8
15 Je dis : viens ! à celle que j'aime. 8
Elle, moi, Dieu, nous sommes trois. 8
(Car j'ai dans des bribes latines 8
Lu que Dieu veut le nombre impair.) 8
Je vais chez l'aurore à matines, 8
20 Je vais à vêpres chez Vesper. 8
La religion naturelle 8
M'ouvre son livre où Job lisait, 8
Où luit l'astre, où la sauterelle 8
Saute de verset en verset. 8
25 C'est le seul temple. Tout l'anime. 8
Je veux Christ ; un rayon descend ; 8
Et si je demande un minime, 8
L'infusoire me dit : Présent. 8
La lumière est la sainte hostie ; 8
30 Le lévite est le lys vermeil ; 8
Là, resplendit l'eucharistie 8
Qu'on appelle aussi le soleil. 8
La bouche de la primevère 8
S'ouvre, et reçoit le saint rayon ; 8
35 Je regarde la rose faire 8
Sa première communion. 8
II
AMOUR DE L'EAU
Je récite mon bréviaire 8
Dans les champs, et j'ai pour souffleur 8
Tantôt le jonc sur la rivière, 8
40 Tantôt la mouche dans la fleur. 8
Le poète aux torrents se plonge ; 8
Il aime un roc des vents battu ; 8
Ce qui coule ressemble au songe, 8
Et ce qui lave à la vertu. 8
45 Pas de ruisseau qui, sur sa rive 8
Où l'air jase, où germinal rit, 8
N'attire un bouvreuil, une grive, 8
Un merle, un poète, un esprit. 8
Le poète, assis sous l'yeuse, 8
50 Dans les fleurs, comme en un sérail, 8
Aime l'eau, cette paresseuse 8
Qui fait un si profond travail. 8
Que ce soit l'Erdre ou la Durance, 8
Pourvu que le flot soit flâneur, 8
55 Il se donne la transparence 8
D'une rivière pour bonheur. 8
Elle erre ; on dirait qu'elle écoute ; 8
Recevant de tout un tribut, 8
Oubliant comme lui sa route, 8
60 Et, comme lui, sachant son but. 8
Et sur sa berge il mène en laisse 8
Ode, roman, ou fabliau. 8
George Sand a la Gargilesse 8
Comme Horace avait l'Anio. 8
III
LE POÈTE EST UN RICHE
65 Nous avons des bonnes fortunes 8
Avec le bleuet dans les blés ; 8
Les halliers pleins de pâles lunes 8
Sont nos appartement meublés. 8
Nous y trouvons sous la ramée, 8
70 Où chante un pinson, gai marmot, 8
De l'eau, du vent, de la fumée, 8
Tout le nécessaire, en un mot. 8
Nous ne produirions rien qui vaille 8
Sans l'ormeau, le frêne et le houx ; 8
75 L'air nous aide ; et l'oiseau travaille 8
À nos poèmes avec nous. 8
Le pluvier, le geai, la colombe, 8
Nous accueillent dans le buisson, 8
Et plus d'un brin de mousse tombe 8
80 De leur nid dans notre chanson. 8
Nous habitons chez les pervenches 8
Des chambres de fleurs, à crédit ; 8
Quand la fougère a, sous les branches, 8
Une idée, elle nous la dit. 8
85 L'autan, l'azur, le rameau frêle, 8
Nous conseillent sur les hauteurs, 8
Et jamais on n'a de querelle 8
Avec ces collaborateurs. 8
Nous trouvons dans les eaux courantes 8
90 Maint hémistiche, et les lacs verts, 8
Les prés généreux, font des rentes 8
De rimes à nos pauvres vers. 8
Mon patrimoine est la chimère, 8
Sillon riche, ayant pour engrais 8
95 Les vérités, d'où vient Homère, 8
Et les songes, d'où sort Segrais. 8
Le poète est propriétaire 8
Des rayons, des parfums, des voix ; 8
C'est à ce songeur solitaire 8
100 Qu'appartient l'écho dans les bois. 8
Il est, dans le bleu, dans le rose, 8
Millionnaire, étant joyeux ; 8
L'illusion étant la chose 8
Que l'homme possède le mieux. 8
105 C'est pour lui qu'un ver luisant rampe ; 8
C'est pour lui que, sous le bouleau, 8
Le cheval de halage trempe 8
Par moments sa corde dans l'eau. 8
Sous la futaie où l'herbe est haute, 8
110 Il est le maître du logis 8
Autant que l'écureuil qui saute 8
Dans les pins par l'aube rougis. 8
Avec ses stances, il achète 8
Au bon Dieu le nuage noir, 8
115 L'astre, et le bruit de la clochette 8
Mêlée aux feuillages le soir. 8
Il achète le feu de forge, 8
L'écume des écueils grondants, 8
Le cou gonflé du rouge-gorge 8
120 Et les hymnes qui sont dedans. 8
Il achète le vent qui râle, 8
Les lichens du cloître détruit, 8
Et l'effraction sépulcrale 8
Du vitrail par l'oiseau de nuit, 8
125 Et l'espace où les souffles errent, 8
Et, quand hurlent les chiens méchants, 8
L'effroi des moutons qui se serrent 8
L'un contre l'autre dans les champs. 8
Il achète la roue obscure 8
130 Du char des songes dans l'horreur 8
Du ciel sombre, où rit Épicure 8
Et dont Horace est le doreur. 8
Il achète les rocs incultes, 8
Le mont chauve, et la quantité 8
135 D'infini qui sort des tumultes 8
D'un vaste branchage agité. 8
Il achète tous ces murmures, 8
Tout ce rêve, et, dans les taillis, 8
L'écrasement des fraises mûres 8
140 Sous les pieds nus d'Amaryllis. 8
Il achète un cri d'alouette, 8
Les diamants de l'arrosoir, 8
L'herbe, l'ombre et la silhouette 8
Des danses autour du pressoir. 8
145 Jadis la naïade à Boccace 8
Vendait le reflet d'un étang, 8
Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse, 8
Pour un sonnet, payé comptant. 8
Le poète est une hirondelle 8
150 Qui sort des eaux, que l'air attend, 8
Qui laisse parfois de son aile 8
Tomber des larmes en chantant. 8
L'or du genêt, l'or de la gerbe, 8
Sont à lui ; le monde est son champ ; 8
155 Il est le possesseur superbe 8
De tous les haillons du couchant. 8
Le soir, quand luit la brume informe, 8
Quand les brises dans les clartés 8
Balancent une pourpre énorme 8
160 De nuages déchiquetés, 8
Quand les heures font leur descente 8
Dans la nue où le jour passa, 8
Il voit la strophe éblouissante 8
Pendre à ce Décroche-moi-ça. 8
165 Maïa pour lui n'est pas défunte ; 8
Dans son vers, de pluie imbibé, 8
Il met la prairie ; il emprunte 8
Souvent de l'argent à Phœbé. 8
Pour lui le vieux saule se creuse. 8
170 Il a tout, aimer, croire et voir. 8
Dans son âme mystérieuse 8
Il agite un vague encensoir. 8
IV
NOTRE ANCIENNE DISPUTE
Te souviens-tu qu'en l'âge tendre 8
Où tu n'étais qu'un citadin, 8
175 Tu me raillais toujours de prendre 8
La nature pour mon jardin ? 8
Un jour, tu t'armas d'un air rogue, 8
Et moi d'accents très convaincus, 8
Et nous eûmes ce dialogue, 8
180 Alterné, comme dans Moschus : 8
TOI
« Si tu fais ce qu'on te conseille, 8
« Tu n'iras point dans ce vallon 8
« Affronter l'aigreur de l'oseille 8
« Et l'épigramme du frelon. 8
MOI
« J'irai.
TOI
185 La nature est morose
« Souvent, pour l'homme fourvoyé. 8
« Si l'on est baisé par la rose, 8
« Par l'épine on est tutoyé. 8
MOI
« Soit.
TOI
Paris à l'homme est propice.
190 « Perlet joue au Gymnase, vois, 8
« Ravignan prêche à Saint-Sulpice. 8
MOI
« Et la fauvette chante aux bois. 8
TOI
« Que viens-tu faire dans ces plaines ? 8
« On ne te connaît pas ici. 8
195 « Les bêtes parfois sont vilaines, 8
« L'herbe est parfois mauvaise ; ainsi 8
« Crois-moi, n'en franchis point la porte. 8
« On n'y sait pas ton nom.
MOI
Pardon !
« Vadius l'a dit au cloporte, 8
200 « Trissotin l'a dit au chardon. 8
TOI
« Reste dans la ville où nous sommes, 8
« Car les champs ne sont pas meilleurs. 8
MOI
« J'ai des ennemis chez les hommes, 8
« Je n'en ai point parmi les fleurs. » 8
V
CE JOUR-LÀ, TROUVAILLE DE L'ÉGLISE
205 Et ce même jour, jour insigne, 8
Je trouvai ce temple humble et grand 8
Dont Fénelon serait le cygne 8
Et Voltaire le moineau-franc. 8
Un moine, assis dans les coulisses, 8
210 Aux papillons, grands et petits, 8
Tâchait de vendre des calices 8
Que l'églantier donnait gratis. 8
Là, point d'orangers en livrée ; 8
Point de grenadiers alignés ; 8
215 Là, point d'ifs allant en soirée, 8
Pas de buis, par Boileau peignés. 8
Pas de lauriers dans des guérites ; 8
Mais, parmi les prés et les blés, 8
Les paysannes marguerites 8
220 Avec leurs bonnets étoilés. 8
Temple où les fronts se rassérènent, 8
Où se dissolvent les douleurs, 8
Où toutes les vérités prennent 8
La forme de toutes les fleurs ! 8
225 C'est là qu'avril oppose au diable, 8
Au pape, aux enfers, aux satans, 8
Cet alléluia formidable, 8
L'éclat de rire du printemps. 8
Oh ! la vraie église divine ! 8
230 Au fond de tout il faisait jour. 8
Une rose me dit : Devine. 8
Et je lui répondis : Amour. 8
VI
L'HIVER
L'autre mois pourtant, je dois dire 8
Que nous ne fûmes point reçus ; 8
235 L'église avait cessé de rire ; 8
Un brouillard sombre était dessus ; 8
Plus d'oiseaux, plus de scarabées ; 8
Et par des bourbiers, noirs fossés, 8
Par toutes les feuilles tombées, 8
240 Par tous les rameaux hérissés, 8
Par l'eau qui détrempait l'argile, 8
Nous trouvâmes barricadé 8
Ce temple qu'eût aimé Virgile 8
Et que n'eût point haï Vadé. 8
245 On était au premier novembre. 8
Un hibou, comme nous passions, 8
Nous cria du fond de sa chambre : 8
Fermé pour réparations. 8
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