Métrique en Ligne
HUG_7/HUG670
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE SECOND
III
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
VII
ÉGALITÉ
Dans un grand jardin en cinq actes, 8
Conforme aux préceptes du goût, 8
Où les branches étaient exactes, 8
Où les fleurs se tenaient debout, 8
5 Quelques clématites sauvages 8
Poussaient, pauvres bourgeons pensifs, 8
Parmi les nobles esclavages 8
Des buis, des myrtes et des ifs. 8
Tout près, croissait, sur la terrasse 8
10 Pleine de dieux bien copiés, 8
Un rosier de si grande race 8
Qu'il avait du marbre à ses pieds. 8
La rose sur les clématites 8
Fixait ce regard un peu sec 8
15 Que Rachel jette à ces petites 8
Qui font le chœur du drame grec. 8
Ces fleurs, tremblantes et pendantes, 8
Dont Zéphyre tenait le fil, 8
Avaient des airs de confidentes 8
20 Autour de la reine d'avril. 8
La haie, où s'ouvraient leurs calices 8
Et d'où sortaient ces humbles fleurs, 8
Écoutait du bord des coulisses 8
Le rire des bouvreuils siffleurs. 8
25 Parmi les brises murmurantes 8
Elle n'osait lever le front ; 8
Cette mère de figurantes 8
Était un peu honteuse au fond. 8
Et je m'écriai : — Fleurs éparses 8
30 Près de la rose en ce beau lieu, 8
Non, vous n'êtes pas les comparses 8
Du grand théâtre du bon Dieu. 8
Tout est de Dieu l'œuvre visible. 8
La rose, en ce drame fécond, 8
35 Dit le premier vers, c'est possible, 8
Mais le bleuet dit le second. 8
Les esprits vrais, que l'aube arrose, 8
Ne donnent point dans ce travers 8
Que les campagnes sont en prose 8
40 Et que les jardins sont en vers. 8
Avril dans les ronces se vautre, 8
Le faux art que l'ennui couva 8
Lâche le critique Lenôtre 8
Sur le poète Jéhovah. 8
45 Mais cela ne fait pas grand-chose 8
À l'immense sérénité, 8
Au ciel, au calme grandiose 8
Du philosophe et de l'été. 8
Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles ! 8
50 Sœurs, couvrez la terre aux flancs bruns, 8
L'hésitation des abeilles 8
Dit l'égalité des parfums. 8
Croissez, plantes, tiges sans nombre ! 8
Du verbe vous êtes les mots. 8
55 Les immenses frissons de l'ombre 8
Ont besoin de tous vos rameaux. 8
Laissez, broussailles étoilées, 8
Bougonner le vieux goût boudeur ; 8
Croissez, et sentez-vous mêlées 8
60 À l'inexprimable grandeur ! 8
Rien n'est haut et rien n'est infime. 8
Une goutte d'eau pèse un ciel ; 8
Et le mont Blanc n'a pas de cime 8
Sous le pouce de l'Éternel. 8
65 Toute fleur est un premier rôle ; 8
Un ver peut être une clarté ; 8
L'homme et l'astre ont le même pôle ; 8
L'infini, c'est l'égalité. 8
L'incommensurable harmonie, 8
70 Si tout n'avait pas sa beauté, 8
Serait insultée et punie 8
Dans tout être déshérité. 8
Dieu, dont les cieux sont les pilastres, 8
Dans son grand regard jamais las 8
75 Confond l'éternité des astres 8
Avec la saison des lilas. 8
Les prés, où chantent les cigales, 8
Et l'Ombre ont le même cadran. 8
Ô fleurs, vous êtes les égales 8
80 Du formidable Aldébaran. 8
L'intervalle n'est qu'apparence. 8
Ô bouton d'or tremblant d'émoi, 8
Dieu ne fait pas de différence 8
Entre le zodiaque et toi. 8
85 L'être insondable est sans frontière. 8
Il est juste, étant l'unité. 8
La création tout entière 8
Attendrit sa paternité. 8
Dieu, qui fit le souffle et la roche, 8
90 Œil de feu qui voit nos combats, 8
Oreille d'ombre qui s'approche 8
De tous les murmures d'en bas, 8
Dieu, le père qui mit des fêtes 8
Dans les éthers, dans les sillons, 8
95 Qui fit pour l'azur les comètes 8
Et pour l'herbe les papillons, 8
Et qui veut qu'une âme accompagne 8
Les êtres de son flanc sortis, 8
Que l'éclair vole à la montagne 8
100 Et la mouche au myosotis, 8
Dieu, parmi les mondes en fuite, 8
Sourit, dans les gouffres du jour, 8
Quand une fleur toute petite 8
Lui conte son premier amour. 8
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