Métrique en Ligne
HUG_7/HUG666
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE SECOND
III
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
III
CÉLÉBRATION DU 14 JUILLET
DANS LA FORÊT
Qu'il est joyeux aujourd'hui 7
Le chêne aux rameaux sans nombre, 7
Mystérieux point d'appui 7
De toute la forêt sombre ! 7
5 Comme quand nous triomphons, 7
Il frémit, l'arbre civique ; 7
Il répand à plis profonds 7
Sa grande ombre magnifique. 7
D'où lui vient cette gaieté ? 7
10 D'où vient qu'il vibre et se dresse, 7
Et semble faire à l'été 7
Une plus fière caresse ? 7
C'est le quatorze juillet. 7
À pareil jour, sur la terre 7
15 La liberté s'éveillait 7
Et riait dans le tonnerre. 7
Peuple, à pareil jour râlait 7
Le passé, ce noir pirate ; 7
Paris prenait au collet 7
20 La Bastille scélérate. 7
À pareil jour, un décret 7
Chassait la nuit de la France, 7
Et l'infini s'éclairait 7
Du côté de l'espérance. 7
25 Tous les ans, à pareil jour, 7
Le chêne au Dieu qui nous crée 7
Envoie un frisson d'amour, 7
Et rit à l'aube sacrée. 7
Il se souvient, tout joyeux, 7
30 Comme on lui prenait ses branches ! 7
L'âme humaine dans les cieux, 7
Fière, ouvrait ses ailes blanches. 7
Car le vieux chêne est gaulois : 7
Il hait la nuit et le cloître ; 7
35 Il ne sait pas d'autres lois 7
Que d'être grand et de croître. 7
Il est grec, il est romain ; 7
Sa cime monte, âpre et noire, 7
Au-dessus du genre humain 7
40 Dans une lueur de gloire. 7
Sa feuille, chère aux soldats, 7
Va, sans peur et sans reproche, 7
Du front d'Épaminondas 7
À l'uniforme de Hoche. 7
45 Il est le vieillard des bois ; 7
Il a, richesse de l'âge, 7
Dans sa racine Autrefois, 7
Et Demain dans son feuillage. 7
Les rayons, les vents, les eaux, 7
50 Tremblent dans toutes ses fibres ; 7
Comme il a besoin d'oiseaux, 7
Il aime les peuples libres. 7
C'est son jour. Il est content. 7
C'est l'immense anniversaire. 7
55 Paris était haletant. 7
La lumière était sincère. 7
Au loin roulait le tambour… 7
Jour béni ! jour populaire, 7
Où l'on vit un chant d'amour 7
60 Sortir d'un cri de colère ! 7
Il tressaille, aux vents bercé, 7
Colosse où dans l'ombre austère 7
L'avenir et le passé 7
Mêlent leur double mystère. 7
65 Les éclipses, s'il en est, 7
Ce vieux naïf les ignore. 7
Il sait que tout ce qui naît, 7
L'œuf muet, le vent sonore, 7
Le nid rempli de bonheur, 7
70 La fleur sortant des décombres, 7
Est la parole d'honneur 7
Que Dieu donne aux vivants sombres. 7
Il sait, calme et souriant, 7
Sérénité formidable ! 7
75 Qu'un peuple est un orient, 7
Et que l'astre est imperdable. 7
Il me salue en passant, 7
L'arbre auguste et centenaire ; 7
Et dans le bois innocent 7
80 Qui chante et que je vénère, 7
Étalant mille couleurs, 7
Autour du chêne superbe 7
Toutes les petites fleurs 7
Font leur toilette dans l'herbe. 7
85 L'aurore aux pavots dormants 7
Verse sa coupe enchantée ; 7
Le lys met ses diamants ; 7
La rose est décolletée. 7
Par-dessus les thyms fleuris 7
90 La violette regarde ; 7
Un encens sort de l’iris ; 7
L’œillet semble une cocarde. 7
Aux chenilles de velours 7
Le jasmin tend ses aiguières ; 7
95 L'arum conte ses amours, 7
Et la garance ses guerres. 7
Le moineau-franc, gai, taquin, 7
Dans le houx qui se pavoise, 7
D'un refrain républicain 7
100 Orne sa chanson grivoise. 7
L'ajonc rit près du chemin ; 7
Tous les buissons des ravines 7
Ont leur bouquet à la main ; 7
L'air est plein de voix divines. 7
105 Et ce doux monde charmant, 7
Heureux sous le ciel prospère, 7
Épanoui, dit gaiement : 7
C'est la fête du grand-père. 7
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