Métrique en Ligne
HUG_7/HUG658
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE SECOND
I
AMA, CREDE
II
L'ÉGLISE
I
J'errais. Que de charmantes choses ! 8
Il avait plu ; j'étais crotté ; 8
Mais puisque j'ai vu tant de roses, 8
Je dois dire la vérité. 8
5 J'arrivai tout près d'une église, 8
De la verte église au bon Dieu, 8
Où qui voyage sans valise 8
Écoute chanter l'oiseau bleu. 8
C'était l'église en fleurs, bâtie 8
10 Sans pierre, au fond du bois mouvant, 8
Par l'aubépine et par l'ortie 8
Avec des feuilles et du vent. 8
Le porche était fait de deux branches, 8
D'une broussaille et d'un buisson ; 8
15 La voussure, toute en pervenches, 8
Était signée : Avril, maçon. 8
Dans cette vive architecture, 8
Ravissante aux yeux attendris, 8
On sentait l'art de la nature ; 8
20 On comprenait que la perdrix, 8
Que l'alouette et que la grive 8
Avaient donné de bons avis 8
Sur la courbure de l'ogive, 8
Et que Dieu les avait suivis. 8
25 Une haute rose trémière 8
Dressait sur le toit de chardons 8
Ses cloches pleines de lumière 8
Où carillonnaient les bourdons. 8
Cette flèche gardait l'entrée ; 8
30 Derrière on voyait s'ébaucher 8
Une digitale pourprée, 8
Le clocheton près du clocher. 8
Seul sous une pierre, un cloporte 8
Songeait, comme Jean à Pathmos ; 8
35 Un lys s'ouvrait près de la porte 8
Et tenait les fonts baptismaux. 8
Au centre où la mousse s'amasse, 8
L'autel, un caillou, rayonnait, 8
Lamé d'argent par la limace 8
40 Et brodé d'or par le genêt. 8
Un escalier de fleurs ouvertes, 8
Tordu dans le style saxon, 8
Copiait ses spirales vertes 8
Sur le dos d'un colimaçon. 8
45 Un cytise en pleine révolte, 8
Troublant l'ordre, étouffant l'écho, 8
Encombrait toute l'archivolte 8
D'un grand falbala rococo. 8
En regardant par la croisée, 8
50 Ô joie ! on sentait là quelqu'un. 8
L'eau bénite était en rosée, 8
Et l'encens était en parfum. 8
Les rayons à leur arrivée, 8
Et les gais zéphirs querelleurs, 8
55 Allaient de travée en travée 8
Baiser le front penché des fleurs. 8
Toute la nef, d'aube baignée, 8
Palpitait d'extase et d'émoi. 8
— Ami, me dit une araignée, 8
60 La grande rosace est de moi. 8
II
Tout était d'accord dans les plaines, 8
Tout était d'accord dans les bois 8
Avec la douceur des haleines, 8
Avec le mystère des voix. 8
65 Tout aimait ; tout faisait la paire. 8
L'arbre à la fleur disait : Nini ; 8
Le mouton disait : Notre Père, 8
Que votre sainfoin soit béni ! 8
Les abeilles dans l'anémone 8
70 Mendiaient, essaim diligent ; 8
Le printemps leur faisait l'aumône 8
Dans une corbeille d'argent. 8
Et l'on mariait dans l'église, 8
Sous le myrte et le haricot, 8
75 Un œillet nommé Cydalise 8
Avec un chou nommé Jacquot. 8
Un bon vieux pommier solitaire 8
Semait ses fleurs, tout triomphant, 8
Et j'aimais, dans ce frais mystère, 8
80 Cette gaieté de vieil enfant. 8
Au lutrin chantaient, couple allègre, 8
Pour des auditeurs point ingrats, 8
Le cricri, ce poète maigre, 8
Et l'ortolan, ce chantre gras. 8
85 Un vif pierrot, de tige en tige, 8
Sautait là, comme en son jardin ; 8
Je suivais des yeux la voltige 8
Qu'exécutait ce baladin, 8
Ainsi qu'aux temps où Notre-Dame, 8
90 Pour célébrer n'importe qui, 8
Faisait sur ses tours, comme une âme, 8
Envoler madame Saqui. 8
Un beau papillon dans sa chape 8
Officiait superbement. 8
95 Une rose riait sous cape 8
Avec un frelon son amant. 8
Et, du fond des molles cellules, 8
Les jardinières, les fourmis, 8
Les frémissantes libellules, 8
100 Les demoiselles, chastes miss, 8
Les mouches aux ailes de crêpes 8
Admiraient près de sa Phryné 8
Ce frelon, officier des guêpes, 8
Coiffé d'un képi galonné. 8
105 Cachés par une primevère, 8
Une caille, un merle siffleur, 8
Buvaient tous deux au même verre 8
Dans une belladone en fleur. 8
Pensif, j'observais en silence, 8
110 Car un cœur n'a jamais aimé 8
Sans remarquer la ressemblance 8
De l'amour et du mois de mai. 8
III
Les clochettes sonnaient la messe. 8
Tout ce petit temple béni 8
115 Faisait à l'âme une promesse 8
Que garantissait l'infini. 8
J'entendais, en strophes discrètes, 8
Monter, sous un frais corridor, 8
Le Te Deum des pâquerettes, 8
120 Et l'hosanna des boutons d'or. 8
Les mille feuilles que l'air froisse 8
Formaient le mur tremblant et doux. 8
Et je reconnus ma paroisse ; 8
Et j'y vis mon rêve à genoux. 8
125 J'y vis près de l'autel, derrière 8
Les résédas et les jasmins, 8
Les songes faisant leur prière, 8
L'espérance joignant les mains. 8
J'y vis mes bonheurs éphémères, 8
130 Les blancs spectres de mes beaux jours, 8
Parmi les oiseaux mes chimères, 8
Parmi les roses mes amours. 8
IV
Un grand houx, de forme incivile, 8
Du haut de sa fauve beauté, 8
135 Regardait mon habit de ville ; 8
Il était fleuri, moi crotté ; 8
J'étais crotté jusqu'à l'échine. 8
Le houx ressemblait au chardon 8
Que fait brouter l'ânier de Chine 8
140 À son âne de céladon. 8
Un bon crapaud faisait la lippe 8
Près d'un champignon malfaisant. 8
La chaire était une tulipe 8
Qu'illuminait un ver luisant. 8
145 Au seuil priait cette grisette 8
À l'air doucement fanfaron, 8
Qu'à Paris on nomme Lisette, 8
Qu'aux champs on nomme Liseron. 8
Un grimpereau, cherchant à boire, 8
150 Vit un arum, parmi le thym, 8
Qui dans sa feuille, blanc ciboire, 8
Cachait la perle du matin ; 8
Son bec, dans cette vasque ronde, 8
Prit la goutte d'eau qui brilla ; 8
155 La plus belle feuille du monde 8
Ne peut donner que ce qu'elle a. 8
Les chenilles peuplaient les ombres ; 8
L'enfant de chœur Coquelicot 8
Regardait ces fileuses sombres 8
160 Faire dans un coin leur tricot. 8
Les joncs, que coudoyait sans morgue 8
La violette, humble prélat, 8
Attendaient, pour jouer de l'orgue, 8
Qu'un bouc ou qu'un moine bêlât. 8
165 Au fond s'ouvrait une chapelle 8
Qu'on évitait avec horreur ; 8
C'est là qu'habite avec sa pelle 8
Le noir scarabée enterreur. 8
Mon pas troubla l'église fée ; 8
170 Je m'aperçus qu'on m'écoutait. 8
L'églantine dit : C'est Orphée. 8
La ronce dit : C'est Colletet. 8
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