Métrique en Ligne
HUG_7/HUG648
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
V
SILHOUETTES DU TEMPS JADIS
XIII
LES BONNES INTENTIONS DE ROSA
Ce bonhomme avait les yeux mornes 8
Et, sur son front, chargé d'ennui, 8
L'incorrection de deux cornes 8
Tout à fait visibles chez lui. 8
5 Ses vagues prunelles bourrues 8
Reflétaient dans leur blême éclair 8
Le sombre dédale des rues 8
De la grande ville d'enfer. 8
Son pied fourchu crevait ses chausses ; 8
10 Hors du gouffre il prenait le frais ; 8
Ses dents, certes, n'étaient point fausses, 8
Mais ses regards n'étaient pas vrais. 8
Il venait sur terre, vorace. 8
Dans ses mains, aux ongles de fer, 8
15 Il tenait un permis de chasse 8
Signé Dieu, plus bas Lucifer. 8
C'était Belzébuth, très bon diable. 8
Je le reconnus sur-le-champ. 8
Sa grimace irrémédiable 8
20 Lui donnait l'air d'un dieu méchant. 8
Un même destin, qui nous pèse, 8
Semble tous deux nous châtier, 8
Car dans l'amour je suis à l'aise 8
Comme lui dans un bénitier. 8
25 L'amour,jaloux, ne vous déplaise, 8
Est un doux gazon d'oasis 8
Fort ressemblant à de la braise 8
Sur laquelle on serait assis. 8
Une femme ! l'exquise chose ! 8
30 Je redeviens un écolier ; 8
Je décline Rosa la rose ; 8
Je suis amoureux à lier. 8
Or le diable est une rencontre ; 8
Et j'en suis toujours réjoui. 8
35 De tous les Pour il est le Contre ; 8
Il est le Non de tous les Oui. 8
Le diable est diseur de proverbes. 8
Il songeait. Son pied mal botté 8
Écrasait dans les hautes herbes 8
40 La forêt de fleurs de l'été. 8
L'un près de l'autre nous passâmes. 8
Çà, pensai-je, il est du métier. 8
Le diable se connaît en femmes, 8
En qualité de bijoutier. 8
45 Je m'approchai de son altesse, 8
Le chapeau bas ; ce carnassier, 8
Calme, me fit la politesse 8
D'un sourire hostile et princier. 8
Je lui dis : — Que pensez-vous d'elle ? 8
50 Contez-moi ce que vous savez. 8
— Son désir de t'être fidèle, 8
Dit-il, est un de mes pavés. 8
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