Métrique en Ligne
HUG_7/HUG645
Victor HUGO
Les Chansons des rues et des bois
1865
LIVRE PREMIER
JEUNESSE
V
SILHOUETTES DU TEMPS JADIS
X
CONFIANCE
À MÉRANTE
Ami, tu me dis : « Joie extrême ! 8
« Donc, ce matin, comblant ton vœu, 8
« Rougissante, elle a dit : Je t'aime ! 8
« Devant l'aube, cet autre aveu. 8
5 « Ta victoire, tu la dévoiles. 8
« On t'aime, ô Léandre, ô Saint-Preux, 8
« Et te voilà dans les étoiles, 8
« Sans parachute, malheureux ! » 8
Et tu souris. Mais que m'importe ! 8
10 Ton sourire est un envieux. 8
Sois gai ; moi, ma tristesse est morte. 8
Rire c'est bien, aimer c'est mieux. 8
Tu me croyais plus fort en thème, 8
N'est-ce pas ? tu te figurais 8
15 Que je te dirais : Elle m'aime, 8
Défions-nous, et buvons frais. 8
Point. J'ai des manières étranges ; 8
On fait mon bonheur, j'y consens ; 8
Je vois là-haut passer des anges 8
20 Et je me mêle à ces passants. 8
Je suis ingénu comme Homère, 8
Quand cet aveugle aux chants bénis 8
Adorait la mouche éphémère 8
Qui sort des joncs de l'Hypanis. 8
25 J'ai la foi. Mon esprit facile 8
Dès le premier jour constata 8
Dans la Sologne une Sicile, 8
Une Aréthuse en Rosita. 8
Je ne vois point dans une femme 8
30 Un filou, par l'ombre enhardi. 8
Je ne crois pas qu'on prenne une âme 8
Comme on vole un maravedi. 8
La supposer fausse, et plâtrée, 8
Non, justes dieux ! je suis épris. 8
35 Je ne commence point l'entrée 8
Au paradis, par le mépris. 8
Je lui donne un cœur sans lui dire : 8
Rends-moi la monnaie !Et je crois 8
À sa pudeur, à mon délire, 8
40 Au bleu du ciel, aux fleurs des bois. 8
J'entre en des sphères idéales 8
Sans fredonner le vieux pont-neuf 8
De Villon aux piliers des Halles 8
Et de Fronsac à l'Œil-de-Bœuf. 8
45 Je m'enivre des harmonies 8
Qui, de l'azur, à chaque pas, 8
M'arrivent, claires, infinies, 8
Joyeuses, et je ne crois pas 8
Que l'amour trompe nos attentes, 8
50 Qu'un bien-aimé soit un martyr, 8
Et que toutes ces voix chantantes 8
Descendent du ciel pour mentir. 8
Je suis rempli d'une musique ; 8
Je ne sens point, dans mes halliers, 8
55 La désillusion classique 8
Des vieillards et des écoliers. 8
J'écoute en moi l'hymne suprême 8
De mille instruments triomphaux 8
Qui tous répètent qu'elle m'aime, 8
60 Et dont pas un ne chante faux. 8
Oui, je t'adore ! oui, tu m'adores ! 8
C'est à ces mots-là que sont dus 8
Tous ces vagues clairons sonores 8
Dans un bruit de songe entendus. 8
65 Et, dans les grands bois qui m'entourent, 8
Je vois danser, d'un air vainqueur, 8
Les cupidons, gamins qui courent 8
Devant la fanfare du cœur. 8
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